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L'oeil du Selen - le Retour

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12 mars 2008

Désinformation, le cas Marion Cotillard

    Aujourd'hui, mercredi 12 mars, est la journée de la cyberdissidence, initiée par reporters sans frontières. Vous me direz, y en a marre de ces journées consacrées à un truc pour qu'on y pense pas les 364 autres jours. C'est vrai. Cependant, j'ai décidé d'en profiter pour mettre en lumière un cas de désinformation majeure, rejoignant ainsi la masse d'internautes qui s'est déjà préoccupée de ce cas, constituant petit à petit une dissidence médiatique au sein de la société.

    Et pour commencer, quelques mots sur la désinformation elle-même. Soyons rigoureux, tentons de la définir, et pour cela, je vous propose un petit détour du côté de la presse.

    Quel est le rôle des médias, dans une société, et plus particulièrement de la presse, qu'elle soit écrite ou audiovisuelle. Comme je l'ai déjà abordé dans ma série d'articles sur le conditionnement, il semble que son premier rôle soit tout bêtement d'informer. C'est à dire de relayer l'information de sa source vers son public, le peuple. Car c'est bien nous, le peuple, qui sommes les premiers concernés par ce qui se passe dans le monde, n'est-ce pas ?

    Comme nous n'avons pas tous le temps de nous pencher sérieusement sur les choses, et donc parfois du mal à les comprendre, il parait nécessaire que des professionnels se chargent du boulot de capter les informations et de les rédiger ensuite en une forme rapidement compréhensible par le public.

    Cela est élémentaire. Pourtant cela comporte deux difficultés majeures :

    La première est que, puisqu'il faut que le public puisse rapidement saisir la teneur d'une information, celle-ci doit être simplifiée et épurée, au point de devenir partiellement fausse, ou en tout cas donnant une image faussée des faits. Or comme on n'a a fortiori pas le temps de vérifier si les informations qui nous parviennent sont pas du tout, partiellement, ou totalement fausses, cela revient à dire que pour croire à une information relayée par la presse, il faut avoir confiance en elle. Ce qui me mène au deuxième point.

    Cette deuxième difficulté tient au fait que puisque l'information est relayée par des professionnels, il se crée un écart entre le public et les dits spécialistes qui lui délivrent l'information. Cela a pour conséquence que les professionnels ne peuvent que difficilement être remis en question par le public auxquels ils s'adressent, de même que l'on aurait du mal à contredire notre médecin, quand l'on n'aurait aucune connaissance médicale particulière, tant que les faits ne viennent pas à notre secours. Il en résulte, et cela renforce la première difficulté, qu'il faut faire confiance aux professionnels, à moins d'avoir le temps et la compétence pour les contredire, ou que les faits nous prouvent que ces professionnels se trompent. Car qui a dit qu'un professionnel ne se trompait jamais ?

    C'est ce que tentent de faire les blogueurs, sur internet.

    Puisque le rôle des médias est donc de relayer l'information avec professionnalisme en direction d'un public théoriquement en manque de temps et de compétence, les premiers doivent se montrer d'une grande rigueur, car ils sont de fait à la fois juge et partie, dès lors qu'aucune autorité compétente n'est capable de les remettre en question, à part eux-mêmes. Cela comporte le danger d'une très grave dérive, qui mènerait à ce que la presse s'auto-satisfasse d'elle-même, dénigrant tout ceux qui tenteraient de faire le même travail avec de moins grands moyens, et finisse ainsi par se décrédibiliser progressivement en méprisant son propre public.

    Si cette dérive survenait, cela voudrait dire que les défauts de la presse officielle ont éclaté aux yeux du public, que celui-ci a commencé à perdre confiance dans les médias en général, en somme que la presse n'est plus en mesure d'accomplir son rôle, car elle a failli à sa tâche qui est de fournir une information sérieuse et rigoureuse.

    Or je vous l'annonce d'emblée, cette dérive est déjà survenue.

    A présent en effet, il est clair pour moi et pour beaucoup d'internautes qui prennent le temps de couper et recouper certaines informations sur le net, que si on ne nous cache pas tout, en tout cas on ne nous dit pas tout, et que si on ne nous ment pas sur tout, en tout cas, ou "oublie" de nous dire la vérité complexe qui se cache sous certains faits apparemment assez simples. Les exemples d'occultations, déformations et désinformations pour venir étayer cette affirmation seraient formidablement nombreux, pour illustrer ce que l'on pourrait appeler une république du fait divers, mais je vais me concentrer sur un seul.

    Revenons donc à notre Marion.

    Il y a peu, le site internet du journal Marianne publiait cet article :

http://www.marianne2.fr/Plus-fort-que-Thierry-Meyssan-Marion-Cotillard-%21_a84388.html?voir_commentaire=oui

    Je vous encourage à le lire et à parcourir une partie des commentaires si le coeur vous en dit. A l'heure où j'écrit cet article, il n'y a pas moins de 848 commentaires, et je ne peux m'empêcher de noter que les deux derniers émanent d'internautes outrés qui annoncent clairement qu'ils se désabonnent du journal en question, ne voulant plus rien à faire avec ça. C'est donc déjà un signe de la perte de confiance des personnes averties, par rapport à la presse. On ne peut certes pas affirmer dors et déjà que ces réactions sont fondées, mais on doit au moins admettre qu'elles existent.

    Or que fait le même site, dans l'article suivant sur le même sujet ? Et bien il ne se gêne pas pour se moquer des commentaires des gens qui ne partagent pas l'opinion exprimée dans le premier article, abusant non seulement de son privilège de pouvoir bénéficier de la possibilité de s'exprimer publiquement, mais déniant en plus ce même droit à ses propres lecteurs, sous prétexte que ceux-ci ne seraient pas capables de penser par eux-mêmes, si on les suit bien. C'est ce que je me propose de démontrer en décortiquant le second article, dont voici l'adresse :

http://www.marianne2.fr/Marion-Cotillard-Marianne2-cible-des-adeptes-de-Thierry-Meyssan_a84396.html

    A présent, entrons dans le vif du sujet et abordons l'article dans le détail, démontrant je l'espère, qu'un internaute est finalement à même de fournir une analyse critique bien plus fine que ce genre de torchon !

Marion Cotillard : Marianne2 cible des adeptes de Thierry Meyssan
Marianne2 a été littéralement pris d'assaut par des adeptes de Thierry Meyssan qui ont déversé leur haine et un flot de calomnies. Autant en profiter pour expliquer le pourquoi de cette publication.

   

    Cette intro est déjà une honte, venant d'une "professionnelle" que je n'ai même pas envie de nommer, tellement son nom ne mérite pas plus que celui de n'importe quel internaute d'être retenu.

    Pourquoi est-ce une honte ? Parce que cette intro procède par amalgame, ce qui est un procédé de rhétorique lamentable, digne des pires forums sur internet. Cette intro nous dit clairement que tout ceux qui ne croient pas que ce qu'on nous a raconté sur le 11 septembre 2001 et qui sont venus s'insurger sur le site, à la suite de l'article, sont des "adeptes" d'un certain Thierry Meyssan, qui fut lui-même discrédité en son temps par le biais des mêmes procédés odieux. Puis on ajoute aussi que ces gens sont haineux et qu'ils se livrent à la calomnie. Ce qui, pour la majorité d'entre eux, qui sont contrairement à ce qu'on veut nous faire croire, des gens capables de réfléchir par eux-mêmes, est précisément une façon de... les calomnier. Ou comment exercer soi-même ce que l'on reproche aux autres. Mais il est vrai que selon la presse elle-même, seule la presse est à même de décider ce qui est vrai ou faux, et ceci sans même avoir besoin d'argumenter. Je ne sais pas comment appeler ça autrement que de prendre les gens pour des cons.


Marion Cotillard : Marianne2 cible des adeptes de Thierry Meyssan
Cinq cent cinquante et un commentaires et plus encore si l'on compte ceux engrangés par la reprise de l'information sur d'autres sites, comme ceux de Jean-Marc Morandini, lepost.fr, nouvelobs.com, etc. Presque un record ! C'est Bénédicte Charles qui pouvait être contente ! Son article sur les propos de Marion Cotillard concernant le 11 septembre a connu un vif succès et a été repris par de nombreux médias. Apparemment, il a aussi retenu l'attention des lecteurs de Marianne2. C'est du moins ce qu'on se dit au premier abord. Sauf que…

    Si l'article de cette dame dont je ne parviens décidément pas à retenir le nom a connu un si vif succès, c'est uniquement parce que beaucoup d'internautes ont assez de jugeote pour comprendre, comme moi, que le procédé est lamentable et totalement indigne d'un corps de métier si important dans le monde moderne. Il y a visiblement, dans l'ironie de ce passage, une irresponsabilité qui me hérisse les cheveux sur la tête.

Les Mariannautes aux abonnés absents
Sauf qu'à la lecture des commentaires, on ne reconnaît guère la signature des Mariannautes. A force de les lire tous les jours, on finit par les connaître pourtant tous par leur petit nom. Pas de bigorneau libre, pas de Cyrano, pas de cool Jimmy et autres George Glise. La liste des pseudos de ceux avec qui nous conversons par Web interposé est longue, mais cette fois-ci, une chose est sûre, à quelques exceptions près, ils ne sont pas au rendez-vous… En revanche, le ton des posts s'avère tout de suite très agressif. Des fans de Marion Cotillard ont-ils investi le forum ? La comédienne est talentueuse : après tout, il serait bien légitime que ses admirateurs soient venus prendre sa défense. Sauf que…

    Ça alors ! Marianne s'étonne que son article papier-chiotte attise le mécontentement au-delà du cercle des paisibles et serviles commentateurs habituels ! C'est tellement mieux, et surtout plus facile, de rester dans son petit train-train et de se contenter de discréditer d'éventuels fans un peu neuneus de l'artiste... En revanche, le journal s'abstient d'essayer de comprendre pourquoi les commentateurs habituels se montrent aussi silencieux pour défendre l'article... Peut-être n'est-il tout simplement pas défendable ? Mais c'est une hypothèse qu'un journaliste digne de ce nom ne devrait même pas envisager, si ?


Marianne à la solde de Bush
Sauf que les commentaires haineux ou faussement naïfs viennent de quelques négationnistes acharnés. Les mêmes anathèmes reviennent en boucle : Bénédicte Charles serait la pire des journalistes, Marianne serait l'organe de la « pensée unique » et, surtout, on nous ment, on nous spolie, l'effondrement des tours jumelles le 11 septembre n'est que le résultat d'un vaste complot organisé par George Bush lui-même à grands coups d'explosifs. Est-ce d'avoir cité le nom de l'auteur de cette thèse, Thierry Meyssan, qui a attiré ses partisans ? Une chose est sûre : ils ont des progrès à faire dans l'art de la propagande.

    Voilà comment caricaturer une thèse en n'en reprenant que les éléments les moins crédibles, sortis par les moins intelligents (c'est un euphémisme) des commentateurs irrités par la mauvaise qualité de l'article et sa mauvaise foi, que l'on retrouve dans toute sa splendeur dans ce passage.

    Il est certain que parmi le flot de commentaires courroucés, il y a des commentaires crétins, agressifs, complètement sans intérêt ou à côté de la plaque. Etait-il besoin de ne vraiment reprendre que ceux-ci pour tenter désespérément de redorer le blason du journal et de son employée ?

    Même si celle-ci était la pire des journalistes, ce qui est possible, mais improbable, cela ne suffirait pas à dédouaner le journal d'avoir laissé passer une telle chose, et quatre fois en plus ! Car il y a eu deux autres articles, ensuite... Car si on les suit sur ce terrain, les citoyens avertis qui dénoncent les défauts avérés de la thèse officielle concernant les attentats du 11 septembre ne seraient qu'une bande de méchants négationnistes acharnés et décérébrés qui croient quasiment que c'est Bush en personne qui conduisait les deux avions, parce que c'est Thierry Meyssan qui leur a dit de penser ça. C'est un peu gros non ? Et s'ils sont aussi influençables que cela, pour répéter comme des moutons les thèses de Meyssan, pourquoi ne répètent-ils pas plutôt la thèse officielle, que les journaux ne cessent de répéter ad nauseam depuis plus de 6 ans ? Parce que cette dernière est moins crédible ? Mais c'est une hypothèse qu'un journaliste digne de ce nom ne devrait même pas envisager. Si ?

    Quant à cela, c'est le peut-être le comble de l'article :

Les méthodes des négationnistes de passage ont la finesse de leurs propos, au point qu'André se demande pourquoi ils ne vont pas plutôt lire « National hebdo ou d'autres torchon d'extrême droite du même acabit ».

    Ainsi, ce cher André parvient au point Godwin, traitant quasiment ceux qui émettent des doutes sains de fachos... Et Marianne ne trouve rien de mieux que cela pour aller dans son sens... C'est ce qui s'appelle se couvrir de ridicule.


Marion Cotillard : Marianne2 cible des adeptes de Thierry Meyssan
Le père de Bénédicte Charles déçu
80% des messages ne sont pas signés d'adresses e-mail ou utilisent des mails bidons. Ils manient l'invective à répétition, sans beaucoup d'imagination, insultant grossièrement et nominativement. « Bénédicte Charles, un nom à ne pas retenir », selon Manu, « T'as vraiment rien à foutre Bénédicte Charles », dixit Charles, « Si j'étais Nicolas S, je lui dirais « Casse toi pauvre… » à Bénédicte Charles », lance Noy. L'un d'eux signe même « le père de Bénédicte Charles » pour lui conter combien il est déçu de son manque de professionnalisme ! D'un message à l'autre, émanant soi-disant d'intervenants différents, les mêmes attaques se déclinent. Et pour finir, ils finissent tous par bégayer les mêmes bêtises, prétendant de Marianne serait « détenue à 25% par le groupe Carlyle » (une thèse diffusée par un site pro-Thierry Meyssan et reprise par un certain Clem et nombre de ses « amis »), et ne serait qu'un valet de George Bush. Les Mariannautes savent bien que ces fanatiques perdent leur temps à débiter mensonges et anathèmes. Mais l'ensemble de leur prose donne à voir un tableau « hallucinant ». Au point que Fantie n'en croit « pas ses yeux ». Pourtant, si, Fantie, tout cela est bien réel : en 2008, il y a des gens qui, bien à l'abri derrière leur petit écran, prisonniers de leur peur panique du complot, ne craignent pas d'employer les moyens plus bas pour défendre la forteresse assiégée de leurs illusions. Manifestement, ils ne craignent pas le ridicule non plus.

    Marianne est un journal qui se dit sérieux. En épluchant cet article, je ne me lasse pas de remarquer à quel point ils se complaisent à s'embourber dans la fange des propos les plus stupides et les plus haineux, ceci dans le but de décrédibiliser les autres, majoritaires, qui sont un tant soit peu argumentés, postés par des gens posés, réfléchis et intelligents, n'adhérant clairement à aucune secte obscurantiste et remplissant seulement, en fin de compte, une sorte de devoir de citoyen, qui est de s'intéresser vraiment au monde dans lequel ils vivent.

    A lire un tel passage, je me dis que la pire insulte n'est pas celle que dénonce le journal, mais qu'elle réside dans le ton méprisant de l'article à l'égard de ceux qui, de manières diverses, ont exprimé un désaccord et un mécontentement vifs, clairs et précis. Et que ne pas prendre en compte cela, mais plutôt tenter de noyer ce poisson dans le brouhaha qu'on veut bien l'entourer, cela relève de l'abandon de la cause journalistique, qui est, je le rappelle, d'établir un lien informatif entre le public, c'est à dire le peuple, et le monde. En outre, cela est la démonstration que le milieu du journalisme professionnel est particulièrement réticent au dialogue et plus généralement à s'adapter aux nouvelles technologies qui remettent en cause ses modes de fonctionnement.


Le précédent de Thierry Ardisson
Nous ne pensions pas, en exhumant cet interview de l'actrice, déclencher un tel torrent de réactions. Bien sûr, nous avons mesuré les possibles conséquences de cette publication pour Marion Cotillard, les Américains étant – on peut les comprendre - assez peu portés à la plaisanterie sur le 11 septembre.

    Coupez !

    Voilà un passage très intéressant... Cette dernière phrase relève de l'argument d'autorité, qui est certainement l'une des pires, et des plus symptomatiques façons de tenter de noyer un problème parce qu'on ne sait pas vraiment comment l'argumenter.

    Dans cette phrase est concentrée toute la bêtise que l'on retrouve parfois, malheureusement de plus en plus souvent, dans les médias. Le travail des journalistes est de rassembler, vérifier et recouper les informations afin de les restituer à son public. Manifestement, rien de tout cela n'a été accompli ici et c'est parfaitement déplorable qu'au moins le journal ne le reconnaisse pas...

    Les américains seraient assez peu portés à la plaisanterie sur le 11 septembre ? C'est en effet compréhensible et c'est sans doute vrai. Seulement encore faut-il ne pas oublier pourquoi... Il se trouve en effet que la population américaine est fortement partagée au sujet du 11 septembre, et pour cause, ce sont les premiers concernés, et ce sont ceux qui ont le mieux eu l'occasion de se rendre compte des carences graves de la théorie officielle, qui est celle du complot islamiste. A tel point qu'en 2006, 42 % des américains ont de sérieux doutes sur cette thèse :

http://www.voltairenet.org/article139474.html

Depuis 2006, ce chiffre a dépassé les 50 %, et cette proportion est encore plus forte chez les new-yorkais, qui se sont fortement penchés sur la question, et qu'on ne peut donc soupçonner de ne pas être avertis dans leur ensemble, à moins encore une fois de prendre les citoyens pour des crétins par défaut...

    Alors dire, sur le ton de l'autorité, que c'est pas bien de remettre en cause la vérité sur ces attentats, parce que ça fait de nous un négationniste qui n'a aucune considération pour la souffrance légitime des américains, c'est vraiment une preuve d'incompétence manifeste ou une absence de neutralité éclatante, ou encore les deux, et dans tous les cas c'est grave. Un journaliste qui aborde ce sujet est un professionnel, et ne peut donc pas se permettre de le méconnaître à ce point, que même ces blogueurs qui sont si décriés par les médias, sont réellement en mesure de trouver mieux en un rien de temps. Au fond, c'est peut-être cela qui leur pose problème ? N'en déplaise aux médias, si les internautes n'ont pas tous l'intelligence de faire le bon tri sur les sujets habituellement traités par la presse, il en existe toutefois un bon nombre qui n'ont effectivement pas besoin d'avoir un diplôme de journalisme pour savoir comment exercer cette tâche de manière correcte, parfois même plus correcte que les journaleux eux-mêmes. On peut donc comprendre que leur amour propre en prenne un coup, mais on n'y peut rien, et cela ne justifie ni leur ignorance des sujets dont ils causent, ni la légèreté avec laquelle ils traitent la "blogosphère" qui leur fait tant de concurrence...




En réalité, notre logique est assez simple : le propos de Marion Cotillard est significatif d'une forme de dérive qui affecte les rangs de la gauche depuis quelques années. Il méritait, à ce titre, d'être rapporté, quelles qu'en soient les conséquences pour l'actrice. De plus, ce dérapage montre l'irresponsabilité du système médiatique. De même que l'intervention de Thierry Meyssan n'avait provoqué aucune réaction de la part de Thierry Ardisson, toujours en recherche de provocations (il avait dû s'excuser ensuite), les dires de Marion Cotillard n'ont pas suscité la moindre réserve de la part du journaliste qui l'interviewait ni d'aucune plume du bataillon de critiques télévisuels qui animent les rubriques culture ou télévision des médias. Bien sûr, l'émission de Xavier Desmoulin, et c'est ce qui fait son charme, est bâtie sur le registre de l'interview brute et sans commentaires. Mais tout de même, si demain, une personnalité de la nuit clame son amour des scientologues ou sa détestation des Arabes, la chaîne laissera-t-elle passer l'interview pour rester dans l'épure de la formule ? Une émission comme Strip-tease, sur France 3, est également fondée sur le document brut et l'absence apparente des journalistes. Mais elle est réalisée avec un énorme travail de montage qui aménage un propos au documentaire. Le contraire, précisément, de l'illusion consistant à offrir des images brutes prétendant restituer « la réalité » aux télespectateurs. Plutôt que de menacer de poursuite les sites qui ont rediffusé les images de l'interview (ce n'est pas le cas de Marianne2.fr), la chaîne Paris-Première ferait mieux de s'interroger sur la signification de ses pratiques.

    Voilà en conclusion comment politiser un thème qui ne l'est pas au départ : la vérité n'a pas de camp politique. Pourtant Marianne voudrait nous faire croire que seuls les gauchistes sont assez "cons" pour la désirer...

    Dans la fin de cet article, qui n'est grossièrement qu'une insipide tentative de donner une caution déontologique à une connerie monstrueuse, je ne retiendrai que deux phrases :

Le contraire, précisément, de l'illusion consistant à offrir des images brutes prétendant restituer « la réalité » aux télespectateurs.

    Ceci part du dogme que la presse donne un éclairage systématiquement neutre et objectif des faits dits "bruts". Ce dogme a été maintes fois vérifié comme étant faux, puisque loin d'être systématique. Le fonctionnement de la presse, que ce soit dans les démocraties comme dans les régimes autoritaires, consiste à colorer l'information afin de la mettre en valeur et de permettre au public, souvent supposé bêta, d'y accéder et de la comprendre. La plupart du temps, et tous les observateurs même non-conspirationnistes, de la presse, le savent bien, cela équivaut aussi à l'orienter idéologiquement et politiquement. C'est ainsi que Marianne est considéré comme plutôt centriste, tandis qu'il existe des journaux plutôt de gauche ou plutôt de droite. Centriste ne voulant pas dire neutre, bien au contraire, naturellement.

    Par essence, une information relayée par la presse n'est donc pas l'exposé incolore d'un fait brut, en effet, sauf que personne n'a prétendu cela, à part peut-être quelques journalistes professionnels ? Ici l'on voit bien en effet que l'information relayée est tout sauf un fait brut.

    Tout au contraire, le premier article consiste à dépeindre Marion Cotillard comme une sorte d'idiote qui ne tourne pas sa langue 7 fois avant d'en sortir une, et les autres articles reviennent principalement à adopter l'idéologie qui colle à la thèse officielle (que rien ne démontre pourtant) et à combattre ceux qui défendent une autre thèse, en se moquant d'eux si besoin est. Par exemple en les mettant en parallèle avec l'imbécilité prétendue de Marion Cotillard, ou en les amalgamant tous avec les idées d'un type présenté comme un gourou paranoïaque.  Si cela est du journalisme, alors il n'est guère étonnant que les gens s'en détournent au point que les ventes de journaux sont en chute libre avec l'essor d'internet qui, quoiqu'on en dise, permet l'accès à une information plus libre de toute influence.

    Enfin rassurons-nous, il y a dans cet article au moins une phrase qui sonne tout à fait juste :

De plus, ce dérapage montre l'irresponsabilité du système médiatique.

    Si c'est Marianne qui le dit, croyons-les, car c'est indubitablement un journal exempt de tout reproche qui peut se permettre de distribuer les bons et les mauvais points...

Si vous voulez en lire plus sur ce sujet, après ce déjà long article, voici deux liens :

http://souk-fares.blogspot.com/2008/03/marion-cotillard-et-le-11-septembre.html

http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=37074

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11 mars 2008

Réveil de Malice, Chapitre 3

17 - Protection spirituelle

    Mardi matin. Ainsi avait-elle passé sa première nuit complète depuis la semaine précédente. Ce matin là, en descendant chercher son courrier, elle se sentait, sans vraiment savoir pourquoi, toute neuve. Toute fatigue semblait l'avoir abandonnée, définitivement ou temporairement.

    Quant au courrier, elle ne fut pas surprise d'y trouver une lettre de convocation, en plus des factures du mois. Il n'avait pas perdu de temps, le bougre. Et comme prévu, sans elle pour lui mâcher le boulot, elle était affligée de nombreuses fautes d'orthographe. Heureusement que les administrations n'en sont pas à ça près.

    Elle lut la lettre en remontant les escaliers. Son patron la convoquait à un entretien préalable à son licenciement. Licenciement ? S'offusqua-t-elle.

    "Trop tard, j'ai dé-mis-si-on-né !" Articula-t-elle en froissant le papier pour le balancer dans sa corbeille aussitôt revenue dans son appartement. Elle n'avait même pas envie de se poser la question plus longtemps.

    Puis s'asseyant sur son canapé, elle se demanda quel était le programme, ce matin. C'est alors qu'elle considéra le meuble sur lequel s'était trouvé la télé, avec à présent les fils qui pendaient autour inutilement.

    "Ah oui, c'est vrai, plus de télé..." Fit-elle, puis elle s'esclaffa bruyamment en repensant à son défoulement d'il y avait quelques jours.

    Alors ce jour-là, elle lut. Chose qu'elle n'avait que très peu faite, ces dernières années. A tel point que tous les livres qu'on lui avait offert s'étaient entassés dans un coin de la pièce, derrière l'ex-télé.

    Elle lut tant et si bien, retrouvant ce plaisir quasi oublié de son adolescence, que la journée entière passa sans qu'elle s'en aperçoive. Lorsque la lumière déclina, elle fut forcée de relever les yeux de son livre, et réalisa alors qu'elle avait à peine mangé un rapide petit déjeuner, depuis son lever. Elle réalisa qu'après tout, elle avait tout le temps de se cuisiner quelque chose, sans tout ce temps absorbé par le boulot et la télévision, alors elle fouilla ses placards et son frigo, et y trouva quelques denrées qui semblaient dignes d'être cuisinées. Une autre chose à laquelle elle ne s'était guère livrée depuis son emménagement ici, pour venir travailler dans cette ville.

    Alors elle cuisina, patiemment, sans se presser, réalisant quelle chance elle avait d'avoir tout ce temps à elle. Elle songea soudain que désormais, et jusqu'à nouvel ordre, elle pourrait se mettre à la peinture, elle qui avait quelque talent pour le dessin. Cette idée se mit alors à la démanger comme une piqûre de moustique qui se réveille, et ne la quitta plus de la soirée...

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    Le lendemain, elle sortit donc et visita les boutiques d'arts plastique de la ville. Elle ne connaissait rien au matériel spécialisé. Elle se contenta donc de quelques pinceaux, des tubes de gouache, une palette, et acheva de se ruiner en acquérant deux toiles et un tréteau. Heureusement, elle avait pu mettre de l'argent de côté, grâce à son travail. Puis elle rentra installer tout cela dans son salon.

    Lorsque ce fut fait, elle fit une pause, s'installant au fond de son canapé, en se demandant ce qu'elle allait peindre, au juste... C'était bien la seule chose à laquelle elle n'avait pas réfléchi, dans tout cela.

    Tandis qu'elle se posait la question, elle triturait le pantin en bois qui reposait au fond de la poche de son gilet. Elle ne savait pourquoi, mais elle avait l'impression que cela la destressait. Après tout, "Attila" avait dit que ce machin la protégerait. Ce n'est pas vraiment qu'elle y croyait, mais après tout, cela ne lui coûtait rien de ne pas rejeter cela au rang des superstitions idiotes. Alors elle commençait à s'habituer à le garder contre elle, dans une poche, ce qui, incontestablement, était une régression qui tendait à lui rappeler son enfance et son adolescence encore récente. Ce n'était pas désagréable, quoiqu'il ne lui semblait pas que c'était ce qu'elle voulait vraiment.

    Elle cessa donc, pour revenir à son problème premier. Qu'allait-elle peindre, sur ces toiles ?

    Tout d'abord, la question lui fut embarrassante. Elle avait bien griffonné quelques dessins, il y avait quelques années de ça, mais jamais elle n'avait entrepris de réaliser une peinture complète.  Elle réalisa la tâche que cela pouvait représenter, de structurer le dessin, de ne pas se tromper dans la perspective et surtout de trouver un sujet qui lui convenait pour arriver à ces fins.

    Puis tandis qu'elle rêvassait à ce propos en triturant l'homme-oiseau dans sa poche, les images commencèrent à affluer dans son esprit, sans qu'elle sache trop comment. Des paysages inconnus s'imposèrent à elle, et des êtres aux formes extraordinaires s'y mouvaient, sans qu'elle puisse mettre un nom sur toutes les choses qu'elle voyait. Elle avait certes toujours eu de l'imagination, mais cet imaginaire là, elle l'avait ignoré jusqu'à ce jour...

    Elle était tellement plongée dans ses rêveries qu'elle ne voyait plus le décor qui l'entourait. Le spectacle de ce paysage imaginaire occupait tout l'espace de ses sensations, et en particulier de son champ visuel.

    Il lui fallut pour émergée, quelque peu héberluée par le spectacle étrange auquel elle venait d'assister malgré elle, avec ses paysages inconnus et ses créatures à peine imaginables. Au moins avait-elle son sujet, même si, en définitive, elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'était ce qu'elle allait peindre...

    Elle s'installa donc devant la toile, le matériel nécessaire à portée de main, et déjà ses pinceaux commencèrent à effectuer des tracés hésitants. Au début, ce ne furent que quelques traits noirs et indigos, puis ils commencèrent à se tramer en structures compréhensibles. Elle n'avait pas vraiment l'impression de contrôler sa main, tandis qu'elle travaillait de la sorte, mais se rendit à peine compte que son esprit recommençait à vagabonder dans des sphères exotiques.

    Il fallut peut-être juste un bref instant, ou peut-être une longue éternité pour que cela se produise, mais à présent, son esprit ne faisait plus qu'un avec la toile et ses graffitis encore peu organisés. Il se mit à errer, de manière apparemment aléatoire, dans le labyrinthe de traits que sa main continuait de tracer mécaniquement, avant que tout à coup, le décor tout entier prenne vie.

    Elle se sentit comme aspirée par sa propre toile à peine esquissée. Si bien que pendant l'espace d'une seconde, elle eut la sensation que ses chairs pénétraient l'étoffe de la toile, fusionnaient avec elle, avant de s'en dégager pour resurgir de l'autre côté.

    De l'autre côté, dans un univers baigné d'une lumière nocturne, d'un bleu sombre. Dans le ciel dansaient des millions d'étoiles d'argent qui se reflétaient sur la surface d'une sorte de lac de montagne, dont la profondeur produisait une sorte de résonance, comme un battement rythmique. Ce lac était bordé de rocs, et un troupeau d'animaux paissait sur sa rive, arrachant de généreuses touffes d'une herbe grasse que l'on aurait dit de couleur bleue, par cette nuit si extraordinaire.

    Elle n'était même pas capable de se demander ce qu'elle faisait là, comment elle y était arrivée, elle sentait sa poitrine exploser, comme si un vent puissant pénétrait dans sa gorge à mesure qu'elle essayait de trouver un équilibre. Car en effet elle avait une sensation de vertige prononcée, et alors qu'elle tentait de faire quelques pas dans ce monde inconnu, elle se sentit tituber. Il n'y avait rien à sa portée, pour se raccrocher, cependant elle ne tomba pas. Son corps oscillait comme s'il était maintenu debout par de l'eau. Pourtant, et en dépit de la confusion qui avait tendance à envahir son esprit, elle était loin du lac et ne pouvait se trouver dans l'eau à ce moment là. Elle continua donc de se mouvoir un peu au hasard dans ce paysage venu d'ailleurs.

    Les ruminants d'allure bizarre lui lancèrent quelques paresseux regards, sans montrer le moindre signe d'inquiétude. Toutefois, cela changea bientôt, lorsqu'un cri strident cingla tout l'espace environnant, comme un trait rouge dans le ciel de velours. Malice sursauta en même temps que les ruminants filaient en tout sens, peinant à reformer le troupeau pour fuir enfin tous dans la même direction. Elle chercha du regard d'où était venu ce cri, et elle pensa avoir trouvé, lorsqu'elle aperçut la silhouette d'un pourpre foncé qui fendait le ciel, éclipsant momentanément les étoiles de son corps imposant soutenu par quatre larges ailes.

    L'étrange créature se mit à tournoyer dans le ciel, et elle ne mit que peu de temps à comprendre que c'était au-dessus d'elle qu'elle effectuait ce manège, comme si elle l'avait repérée et qu'elle faisait partie de ses plans prochains. Malice comprit confusément que cette créature la chassait !

    Effectuant ses cercles concentriques dans le ciel, tel un requin volant, elle cherchait à jauger sa proie, certainement inhabituelle ici, et ses cercles se faisaient de plus en plus court. C'est alors qu'elle perdit de la vitesse puis... tomba sur elle comme un rocher !

    C'est paralysée par la frayeur que Malice s'aperçut que la créature était véritablement énorme. Ce n'était pas un requin volant, mais plutôt une baleine carnivore volante, s'il avait fallut donner une comparaison sur sa taille. Et cette montagne de muscles volante, à la longue gueule armée de dents violettes, longues comme des poignards, fondait sur elle à grande vitesse.

    Elle voulut esquiver l'attaque d'un leste plongeon, mais elle continuait de se déplacer comme si elle était embourbée dans de la confiture. Elle s'affala lentement au sol, comme sur un lit de coussins. Par chance, cela lui suffit à éviter cette première charge, et elle sentit tout le sol autour d'elle trembler violemment, alors que la créature venait de heurter le sol à moins de deux mètres d'elle. Tournant son regard vers elle, elle la vit secouer la tête, puis se redresser face à elle, brandissant autour d'elle ses quatre ailes comme une menace, ou comme une barrage à une fuite éventuelle. La seule tête de la créature devait être aussi grande qu'elle, et elle trembla de tout son corps, le sentant se refroidir dramatiquement, ressentant soudain ce que pouvait vivre une souris en face d'un chat, ou encore une misérable sauterelle face à une mygale. Bientôt, cette créature ne ferait qu'une bouchée d'elle et elle terminerait ici, dans l'estomac d'un monstre venu de nulle part, ignorée de tous. Elle ne pouvait en supporter plus et tenta de reculer précipitamment.

    Sans doute excitée par cette fuite, la créature lança sa mâchoire en avant et la fit claquer à deux doigts de sa tête. Son sang ne fit qu'un tour, et elle tenta un dérisoire coup de poing sur le bout de son museau, telle une gazelle essayant désespérément d'éloigner le lion à coup de sabot.

    Le résultat de ce coup fut une surprise. A l'instant où son poing rebondit sur la peau épaisse de la bête, une énergie formidable en jaillit, sous formes d'étincelles bleutées. Et c'est de ces étincelles que surgit l'homme-oiseau. Il était immense. Aussi immense que la créature elle-même, et ses larges ailes blanches éblouirent tout le monde qui l'entourait d'une clarté surnaturelle. Une puissance solaire émanait de cet être fantastique, aux membres forts et à l'air aussi déterminé qu'un condor en quête de survie. L'on aurait dit un ange d'une espèce rare, mais ce n'était pas une naïve vertu asexuée qui le caractérisait, mais au contraire une force surhumaine et fortement masculine.

    Il s'élança d'un bond vers le prédateur et lui expédia un coup qui le fit bouler plus de dix mètres en arrière, mettant Malice hors de danger pour un temps. Puis il s'éleva majestueusement, surplombant le plateau montagneux et dominant la créature furieuse qui s'ébrouait pour retrouver ses esprits. Celle-ci était lourde, et elle eut beau essayer de s'envoler précipitamment, elle n'y parvint pas, ce qui rassura Malice, qui profita de ce répit pour se remettre debout.

    Puis l'homme-oiseau, d'un vol lent et prodigieux, faisant presque du surplace, se dressa au-dessus de la bête. Il fit mine de la menacer d'un nouveau coup, ce qui obligea celle-ci, malgré sa taille énorme et la dangerosité extrême qu'elle représentait, à se dresser sur ses pattes, également au nombre de quatre, pour faire volte face et déguerpir entre deux pics. Le sol trembla encore mollement au rythme de sa fuite, puis elle disparut définitivement de la scène. Exténuée par la terreur et le soulagement qui avaient été aussi soudain l'un que l'autre, Malice peinait à retrouver son souffle. C'est alors que l'homme-oiseau vint se poser devant elle, repliant ses ailes dont l'éclat diminua alors suffisamment pour qu'elle puisse regarder l'être plus en détail.

    Sa plastique était tellement parfaite, musculeuse et parfaitement proportionnée qu'elle lui évoqua immanquablement une statue grecque. Son visage, à la fois humain et surnaturelle, au dessin particulier, la mâchoire puissante sans être proéminente, les pommettes légèrement saillantes, semblait taillé dans le roc. Son corps nu était imberbe et sa vision jetait en elle un trouble qu'elle tenta de réprimer. Quant à ses ailes d'une parfaite blancheur, elles étaient aussi amples qu'un autobus.

    "Il m'avait dit que vous seriez mon protecteur... dit-elle enfin.

    - Oui, répondit-il d'une voix étrange, qui semblait résonner dans plusieurs tonalités simultanées. Mais à présent tu dois rentrer dans ton monde. Maintenant, tu commences à connaître les particularités et les dangers du monde des esprits, et bientôt tu devras passer à l'étape supérieure. Afin de pouvoir lutter toi-même contre les mauvais-esprits et accomplir ce que tu as à accomplir.

    Et il fit un geste de la main dans sa direction. Elle voulut poser une question.

    - L'étape supérieure ?"

    Mais déjà elle quittait ce monde, et se sentait transportée ailleurs. Vers un ailleurs qui lui était beaucoup plus familier...

5 mars 2008

Mises au point sur le Chamanisme

    Bon, à la demande générale, je vais lancer quelques articles sur le chamanisme, et viens d'ailleurs de créer une rubrique à cet effet. Et pour commencer, quelques avertissements, pour tordre le cou à quelques idées reçues sur le chamanisme en général.

Le mythe du bon sauvage

    Et tout d'abord une première mise au point. Lorsque l'on pense au chamanisme, il vient immanquablement à l'idée des images romantiques d'amérindiens au coeur pur ou de sauvages fondamentalement bienveillants. Cette imagerie est tentante et enchanteuse quelque peu trompeuse.

    Certes, les amérindiens, comme tous les autres peuples premiers, sont des êtres humains admirables, plein de qualités, avec une culture formidablement intéressante et une vision du monde passionnante, qui en remontrerait à beaucoup de nos "savants" occidentaux. Mais ce sont avant tout des êtres humains comme les autres, avec les mêmes potentialités, les mêmes qualités et donc les mêmes vices.

    J'enfonce peut-être là, pour beaucoup une porte ouverte, mais il me semblait important de le rappeler, tant dans les esprits naïfs, ce fait n'est pas aussi évident que cela, et est forte la tentation d'idéaliser ces peuples. On se les représente par exemple souvent comme fondamentalement et radicalement pacifistes et non-violents, alors que les choses sont tout de même plus nuancées que cela.

    Ce serait oublier aussi, dans le domaine qui nous intéresse dans cet article, c'est à dire le chamanisme, la dimension guerrière qui est indéniable dans cette pratique. Certains disent que c'est une dérive, une sorte de perversion arrivée avec le temps (idem pour le chapitre des psychothropes), et ce n'est pas totalement à écarter, bien que je trouve que cette conception des choses relève plus probablement d'une ignorance de la nature humaine, ou tout du moins d'une certaine naïveté, quant à celle-ci. Cela n'est pas non plus sans rapport avec une vision fondamentaliste des choses, c'est à dire la tendance à vouloir réduire quelque chose à son expression la plus "pure". Pour moi, cela conduit au risque de simplifier excessivement les choses jusqu'au manichéisme et d'en donner une idée fausse. Je suis désolé, mais sur terre, il n'y a pas les méchants d'un côté, les gentils de l'autre, comme dans les fictions à la Disney.

    Je ne vais pas m'épancher ici dans un documentaire sur la réalité amérindienne, ce n'est pas mon propos du tout, je voulais simplement rappeler cette évidence.

    Je terminerai ce premier avertissement par deux points.

    Tout d'abord, et cela ne me semble pas non plus inutile de le rappeler, le chamanisme ne se limite pas aux amérindiens. Tout au contraire, le chamanisme existe sur tous les continents, et sous des formes et variantes très diverses, semblant parfois se contredire les unes les autres dans leurs spécificités. Ces contradictions ne sont qu'apparentes, mais c'est encore un autre sujet à développer.

    Enfin pour conclure, je reviens sur l'aspect guerrier du chamanisme, pour en préciser la nature. Quelle est-elle donc ? Et bien pour comprendre cet aspect, et son importance, il faut se replacer dans le contexte de peuples qui vivent le plus souvent comme nomades, semi-nomades et toutes les variantes de chasseurs-cueilleurs. D'une part, ces peuples ont besoin de ressources. D'autre part, ils sont confrontés aux maladies et à toutes les difficultés qui attendent les hommes dans la nature, telles que les catastrophes naturelles, les famines, etc. Et enfin, ils sont en concurrence les uns avec les autres, surtout dans les périodes de crise ou de pénurie. L'un des rôles du chamane, en tant que protecteur de la tribu devient alors parfois de nuire au concurrent, c'est à dire à l'ennemi. Ceci par des sortilèges, malédictions, en employant l'aide d'esprits-alliés et ainsi de suite. On relate aussi, souvent, des conflits entre chamanes, sorte de duels magiques, dont l'issu conditionnera beaucoup de choses, en ce qui concerne la sûreté des tribus qu'ils défendent. C'est ainsi que l'on parle de chamanes noirs, ou de sorciers-chamanes, en Amérique du sud par exemple. L'on évoque aussi souvent le chamane-guerrier, dont les pouvoirs chamaniques doivent autant soutenir le clan lors des chasses que lors des combats entre clans. S'il est vrai que beaucoup de combats claniques sont ritualisés, afin de limiter les brutalités et les victimes, ce n'est pas toujours le cas pour autant.

    N'oublions pas que nous parlons de peuples, certes souvent idéalisés et perçus d'une manière tronquée et un peu puérile, mais vivant en fait en permanence dans une nature sauvage qui ne pardonne guère les erreurs et les faiblesses... Et non d'enfants de choeur passifs et bienheureux, à l'ombre de cloîtres... Il serait temps, au lieu de les insulter par une vision partielle et angélique de ce qu'ils sont, et de leur mode de vie exigeant, souvent dans des conditions rigoureuses (pensons par exemple aux inuits ou aux nombreux peuples de Sibérie, qui pratiquent aussi le chamanisme, et dont la mentalité est parfois assez rugueuse, sans leur faire offense) de rendre hommage aussi à leur courage, et à leurs compétences de survie, dont la place est cruciale, dans le chamanisme. Tout cela demandant des compromissions avec l'idée de bien absolu que nous avons trop facilement tendance à nous représenter, du loin de nos mégalopoles.


Le chamanisme et la modernité

    Une idée reçue courante est que le chamanisme est un concept dépassé, une spiritualité d'un autre temps. Tiens donc, la notion d'équilibre entre l'homme et son environnement, de la juste place de l'homme dans sa nature, mais aussi de la connaissance de la nature humaine, ou encore du respect de la vie seraient des choses démodées ?

    Le chamanisme, ce n'est pas seulement jouer avec des osselets, cela n'a rien à voir avec se prendre pour un super-héros avec de super-pouvoirs, et si l'époque est celle du désenchantement, et d'un certain rejet de la chose spirituelle, ce n'est pas pour autant qu'il faut oublier de rendre hommage à nos ancêtres, d'accorder de l'importance aux personnes décédées ou aux liens qui existent entre les mondes. Ça n'est pas parce que le nihilisme règne qu'il est la bonne voie. Ça n'est pas parce que l'époque rejette la morale, comme si c'était une chose fondamentalement nuisible, parce qu'elle a été dévoyée par l'obscurantisme et la soif de domination des grandes religions, qu'il faut jeter le bébé avec l'eau du bain. La morale est souvent énoncée comme une chose étriquée, un obstacle à l'expression de l'individualité, pourtant à l'origine, elle est la base de l'art de vivre ensemble et contribue même à l'acceptation de la différence.

    Tout cela démontre bien que rien de ce que l'on trouve dans le chamanisme, des notions sociales aux aspects cultuels en passant par les notions de responsabilité envers la nature qu'il contient, rien de cela, donc, n'est démodé. Ce sont des choses intemporelles, qui de tout temps ne peuvent que contribuer à un plus grand bien être, au contraire, et c'est bien cela l'essentiel.

    L'on soutient aussi souvent que la médecine chamanique est dépassée, que la médecine moderne fait bien mieux. Mais c'est une stupidité que de mettre en concurrence ces deux approches qui peuvent être complémentaires. L'Organisation Mondiale de la Santé reconnaît elle-même l'efficacité et l'utilité du chamanisme, dans le domaine des maladies dites psychosomatiques, sur lesquelles la médecine classique, y compris dans le milieu de la psychologique, bute souvent. De nombreux psychiatres vont même jusqu'à s'inspirer du chamanisme pour étoffer leurs pratiques. Cela choquera sans doute les chantres étroits d'esprit qui défendent habituellement le purisme de la médecine institutionnelle, mais rejeter le chamanisme au rang des pratiques superstitieuses, du maraboutisme du "grigri" et ce genre de chose est une insulte à sa complexité et à la pertinence de ses techniques, dont certaines relèvent ni plus ni moins de l'étude des plantes sur plusieurs générations. Une telle somme de connaissance n'a pas grand chose en commun avec les découvertes pointilleuses et encore récentes des laborantins occidentaux, dont on mesure encore mal l'étendue des effets secondaires et tertiaires produits par les médicaments qu'ils ont inventé...

    Pour terminer sur ce point, je vais donner deux exemples à méditer.

    A charge du dossier sur le chamanisme, on peut noter qu'il existe, avec l'iboga par exemple (qui est à la fois une plante psychotrope, et le nom associé de la tradition chamanique gabonaise en rapport avec cette plante, bien que la religion en question se nomme en fait "Bwiti"), une technique extrêmement puissante de travail sur les dépendances. A tel point qu'elle a été adoptée par certains de nos médecins, en France. Attention tout de même, l'ibogaïne a des effets neuro-toxiques.

http://www.unige.ch/presse/archives/unes/2004/20041110neuchatel.php?seek=print

http://www.asud.org/produits/iboga_asud34.php

    A contrario, l'on retrouve des résidus médicamenteux dans les eaux des rivières et des lacs, et ces résidus contaminent la faune et la flore... Et oui, quand nous prenons des médicaments, nous en éliminons une partie en allant aux toilettes, et il faut bien qu'elle se retrouve quelque part... On ne mesure absolument pas les conséquences de ce fait, à ce jour.

http://news.doctissimo.fr/environnement-les-medicaments-pollueurs_article3576.html

http://www.eaudeparis.fr/cgi/actualite/images/residus_medicamenteux_mj.pdf

    L'on peut donc conclure que si la médecine chamanique, et en particulier l'utilisation de plantes psychotropes, comporte des dangers certains, il n'en va pas différemment avec la médecine officielle, dont les effets secondaires sont encore plus difficiles à mesurer, surtout dans le temps, et dans l'espace. Le chamanisme, de par son efficacité sur certaines pathologies et certains syndromes que l'on classe par facilité dans les domaines psychiques et psychosomatiques, a incontestablement toujours sa place dans la panoplie des thérapies modernes, jusqu'en occident, pour peu que les techniques soient appliquées, comme toutes techniques médicales, avec rigueur et précaution. Quant aux aspects sociaux, moraux et écologiques du chamanisme, non-seulement ils me paraissent avoir leur place dans le monde moderne, mais je dirais même : plus que jamais !

Chamanisme et scientisme

    L'obscurantisme fut l'un des maux les plus dévastateurs de l'ère récente. Il n'a pas disparu avec l'affaiblissement des religions consécutif aux grandes révolutions européennes. Il s'est simplement reporté sur les sciences, qui ont bien malheureusement atteint, chez pas mal d'esprits étroits, le statut de nouvelle religion. C'est le culte de la vérité scientifique, qui a encore de beaux jours devant lui.

    Devant ce culte, il faut s'incliner. Son commandement principal est de ne croire qu'en la preuve scientifique et de refuser tout possibilité de légitimation alternative. Cette hypertrophie de l'importance accordée à la raison toute-puissante implique que même les faits peuvent être amenés à s'incliner devant elle, si la raison ne peut les comprendre, les digérer, les expliquer, les ranger dans de petits tiroirs.

    Cette exagération du rationalisme scientifique, ou du doute (qui n'a souvent plus rien de raisonnable) que l'on retrouve dans la zététique, est un des fléaux de notre temps. Devant ce bulldozer sans discernement doivent fuir toutes les médecines alternatives, toutes les croyances non-institutionnelles et toutes sortes de minorités voulant échapper à la pensée unique.

    Avec cette pensée dominante, c'est en quelque sorte de règne d'une autre sorte d'arbitraire. Arbitraire qui décide qu'il est hérésie de croire en quelque chose qui n'a pas été scientifiquement prouvé, qu'il est folie de se soigner avec des thérapies non officiellement démontrées, et sottise de croire en quelque chose que l'on n'a pas vu. Comme si la raison était décidément le seul outil de la cognition humaine, comme si l'intuition était fondamentalement plus faillible que celle-ci (alors que c'est un mode d'appréhension du monde non-négligeable, et très important dans la démarche chamanique, ce qui comporte certes des risques, on ne peut le nier, mais est-ce une raison suffisante pour la rejeter ?), ou comme si une technique thérapeutique ne méritait pas d'être appliquée sous prétexte que son mode de fonctionnement n'a pas été expliqué et démontré, alors que cette technique marche, et soulage effectivement des gens.

    C'est dans ce contexte que le chamanisme évolue aujourd'hui, et il faut bien dire que c'est le seul obstacle à sa mise en oeuvre dans le monde moderne, tant le mépris exercé par ce culte, à l'égard de tout ce qui fonctionne autrement, est influent, sur nos modes de pensée. Si influent que beaucoup se sentent obligés de rechercher la caution scientifique, pour des choses qui sont a priori à l'extérieur du domaine de la science rationnelle telle qu'on l'appréhende aujourd'hui. Faut-il rappeler que le mot science se rapporte étymologiquement à la connaissance, ou au savoir, sans référence à la bonne ou mauvaise manière de l'obtenir, sans a priori sur la nature de ce savoir ? En effet, rien ne dit que la science est le domaine de chasse réservée du rationalisme...

    A vrai dire, le mot science peut tout aussi bien s'appliquer à la science médicale chamanique, ou à la sapience spirituelle... Ce sont des savoirs, au sens large du terme. Mais de nos jours, le scientisme s'est accaparé la marque déposée du savoir, sous prétexte de lutte contre les vérités alternatives. Atterrant, quand on y pense.

   

Chamanisme et new-age

    Un autre fléau du chamanisme est le courant new-age. Courant qui lui fit, et lui fait encore, beaucoup de tort, en infantilisant son approche, et en l'amalgamant avec toutes sortes de choses qui n'ont rien à voir, ce qui a tendance à le ridiculiser.

    Le new-age, cette nébuleuse incohérente de magies, de spiritualités anciennes et de croyances contemporaines sans relation les unes avec les autres, sans buts communs ni même, souvent, de concepts que l'on puisse sérieusement rapprocher. Un tel gloubi-boulga de tout et n'importe quoi qu'il constitue en soi-même la porte ouverte à toutes les dérives charlatanes en même temps qu'aux canulars les plus grotesques, sans parler du mercantilisme qui domine ce milieu.

    Le chamanisme n'y a naturellement pas échappé. Puisse-t-on le tenir autant que possible éloigné de cette confusion lamentable. Je ne vois rien de plus à en dire.

La folie du chamane

    Un autre thème qui génère une grande incompréhension, vis à vis du chamanisme. A l'opposé de la croyance que je décrivais au départ des amérindiens "êtres parfaits" et de leurs chamanes "incarnations vivantes de l'idée même de la sagesse", il existe aussi l'idée que les chamanes sont des malades mentaux ou des pervers, parfois les deux à la fois.

    Pourquoi ? Les deux causes principales en sont une incompréhension fondamentale de la nature du chamane et une propagande politique qui fut répandue sous l'ère stalinienne, en Russie, qui a vu l'extermination et l'oppression d'énormément de chamanes et de peuplades animistes.

    Dans le deuxième cas, soutenu par des ouvrages pseudo-scientifiques se basant sur la psychanalyse et la psychologie, le gouvernement russe de l'époque a fait passer l'idée que les chamanes ne sont que des schizophrènes comme les autres, en plus d'être de dangereux émissaires de la spiritualité et de la religion, ce qu'on appelait l'opium du peuple. Ils étaient donc des ennemis de l'état qu'il fallait dénigrer, discréditer et éliminer par tous les moyens possibles.

    Dans le premier cas, c'est un peu différent, car l'incompréhension fondamentale de la nature du chamane vient du fait qu'il est en lien direct avec l'autre monde, et qu'il en acquiert certains aspects. Pour ainsi dire, le chamane intègre en lui-même certaines particularités du monde des esprits. Selon les régions et les traditions, cela se traduit souvent par une certaine ambiguïté sexuelle, qui pourrait s'expliquer de plusieurs manières. Je vous livre un lien qui en donne une explication possible, à la fin de ce paragraphe. Je pense quant à moi qu'une autre explication est que pour être investi de l'ensemble de ses pouvoirs, le chamane a besoin d'expérimenter en lui-même les potentialités des deux sexes. Mais c'est un sujet tellement vaste que je le développerai probablement plus avant une autre fois.

    Quoiqu'il en soit, ce qu'il faut retenir, c'est que les chamanes sont souvent incompris, soit à cause de leur nature, et de la tentation fondamentale de rejet, qui existe chez l'homme à l'égard de tout ce qui est différent et qu'il ne comprend pas. Soit parce que certaines propagandes politiques ou des récupérations religieuses ont volontairement jeté la confusion et le discrédit sur la spiritualité chamanique. C'est pourquoi je tenais à soulever ce point ici. Il est vrai que les chamanes sont souvent des personnalités étranges, surprenantes, dont les actes sont même parfois choquants, ainsi que leur manière de vivre, cependant toutes ces choses ne sont que des expressions de leur caractère particulier.

http://lapirogue.free.fr/chamane.htm

Le dogmatisme

    Le dogmatisme, c'est évidemment l'une des tentations les plus fortes de l'homme, tant il est plus aisé de retenir les formules et de les appliquer, que de chercher à les remettre en cause en y réfléchissant plus avant, et se demander si elles sont vraiment fondées... C'est en quelque sorte une paresse du mental.

    Inutile de dire que le chamanisme et les religions païennes en général n'échappent tristement pas à ce constat. Il y a quelques années d'ailleurs, j'avais fait remarquer lors d'un débat sur un forum que décidément l'on ne cesse de dire que le paganisme est "a-dogmatique", à tel point que l'on pourrait ériger ce principe en dogme... Ce sur quoi la discussion a dérivé sur une amusante digression qui a accouché des neuf dogmes du paganisme, à cause de l'espièglerie d'un ami. En voici le résultat, sur son site qu'il ne m'en voudra sûrement pas de citer.

http://www.lething.org/articles.php?lng=fr&pg=4

    Quoiqu'on puisse penser de cette lutinerie à laquelle j'accorde personnellement une valeur quelque peu provocatrice, ce qui n'est pas péjoratif dans mon esprit, il n'en est pas moins vrai que le dogmatisme ronge tous les domaines de la pensée. C'est à dire bien entendu toutes les religions (y compris les paganismes), mais aussi les sciences, les sciences humaines, les arts (dont les académies constituent souvent les capitales du dogmatisme créatif), ou encore les disciplines ésotériques, telles que le chamanisme.

    Alors bien sûr, le dogmatisme est peut-être un obstacle à certaines dérives, mais est-ce vraiment un mur infranchissable pour les dérives new-ageuses, sectaires et autres ? L'expérience prouve le contraire, et même tend à démontrer que le dogmatisme en est l'une des inspirations premières...

    C'est pourquoi j'ai tendance à me tenir éloigné du dogmatisme comme de la lèpre.

    Ainsi, si l'on en croit certaines littératures et idées reçues on transforme une discipline pratique en une religion fermée. Alors qu'il suffit de se pencher sérieusement sur la question pour se rendre compte qu'en réalité, les tabous, interdictions, ainsi que les cosmogonies fondatrices des différentes traditions chamaniques se contredisent entre elles, si bien que lorsque l'on supprime toutes ces superstitions, dont peu sont réellement fondées, on constate qu'il n'en demeure au bout du compte qu'une pratique commune (la transe), quelques principes communs (comme une morale visant à accorder l'homme à son environnement), et quelques éléments irréductibles tels que la croyance dans les esprits (dont les ancêtres), leur présence à nos côtés et leur influence sur nos vies et notre environnement.

    Le reste ce ne sont rien d'autre que des croyances, tout à fait respectables, mais qui diffèrent d'une région à une autre, et auxquelles je ne me fierais donc pas, pour appréhender l'essence même du chamanisme, mais plutôt la signification particulière de tel rite, dans tel contexte. Ces croyances sont à appréhender de la même manière que nos mythes anciens, c'est à dire comme des récits contenants une éminente sagesse, qu'il ne faut pas mépriser, mais qu'il ne faut prendre comme rien d'autre.

    Ainsi je pense que ces superstitions plus ou moins ridicules et ces croyances locales respectables, mais propres à des peuples et à des époques, ont souvent contribué à donner une idée fausse du chamanisme, et à rendre son étude étriquée. Heureusement, tous ne tombent pas dans cet écueil, et tous ne font pas l'erreur de mettre sur le même plan le danger d'absorber n'importe comment des plantes psychotropes, et celui d'offenser un esprit en oubliant de jeter du sel par dessus son épaule gauche avant un repas...

    D'ailleurs, n'en déplaise à nos colporteurs de dogmes contemporains, et aussi pour finir cet article en cassant une dernière idée reçue sur le progressisme, les peuples animistes sont souvent les plus prompts à modifier leurs croyances pour les adapter au monde tel qu'ils le voient évoluer, contrairement à nous, qui sommes encore en recherche d'une nouvelle voie spirituelle, après l'échec manifeste des différents christianismes, perpétré par ses Eglises...

    Recherche qui ouvre précisément la brèche aux dérives new-age, aux tentatives politiciennes de contrôle, ou encore à des cultes qui s'ignorent, tel que celui de la Vérité scientifique, comme je l'ai dit plus haut.

    Pour en finir avec ces quelques mises au point qui n'engagent que moi et ma liberté de penser autrement, je terminerai par ceci :

"Les chats existent dans notre monde pour réfuter le dogme que toutes choses furent créées pour servir l'homme." [Froquevielle]















__Chamanisme et scientisme__

    L'obscurantisme fut l'un des maux les plus dévastateurs de l'ère récente. Il n'a pas disparu avec l'affaiblissement des religions consécutif aux grandes révolutions européennes. Il s'est simplement reporté sur les sciences, qui ont bien malheureusement atteint, chez pas mal d'esprits étroits, le statut de nouvelle religion. C'est le culte de la vérité scientifique, qui a encore de beaux jours devant lui.

    Devant ce culte, il faut s'incliner. Son commandement principal est de ne croire qu'en la preuve scientifique et de refuser tout possibilité de légitimation alternative. Cette hypertrophie de l'importance accordée à la raison toute-puissante implique que même les faits peuvent être amenés à s'incliner devant elle, si la raison ne peut les comprendre, les digérer, les expliquer, les ranger dans de petits tiroirs.

    Cette exagération du rationalisme scientifique, ou du doute (qui n'a souvent plus rien de raisonnable) que l'on retrouve dans la zététique, est un des fléaux de notre temps. Devant ce bulldozer sans discernement doivent fuir toutes les médecines alternatives, toutes les croyances non-institutionnelles et toutes sortes de minorités voulant échapper à la pensée unique.

    Avec cette pensée dominante, c'est en quelque sorte de règne d'une autre sorte d'arbitraire. Arbitraire qui décide qu'il est hérésie de croire en quelque chose qui n'a pas été scientifiquement prouvé, qu'il est folie de se soigner avec des thérapies non officiellement démontrées, et sottise de croire en quelque chose que l'on n'a pas vu. Comme si la raison était décidément le seul outil de la cognition humaine, comme si l'intuition était fondamentalement plus faillible que celle-ci (alors que c'est un mode d'appréhension du monde non-négligeable, et très important dans la démarche chamanique, ce qui comporte certes des risques, on ne peut le nier, mais est-ce une raison suffisante pour la rejeter ?), ou comme si une technique thérapeutique ne méritait pas d'être appliquée sous prétexte que son mode de fonctionnement n'a pas été expliqué et démontré, alors que cette technique marche, et soulage effectivement des gens.

    C'est dans ce contexte que le chamanisme évolue aujourd'hui, et il faut bien dire que c'est le seul obstacle à sa mise en oeuvre dans le monde moderne, tant le mépris exercé par ce culte, à l'égard de tout ce qui fonctionne autrement, est influent, sur nos modes de pensée. Si influent que beaucoup se sentent obligés de rechercher la caution scientifique, pour des choses qui sont a priori à l'extérieur du domaine de la science rationnelle telle qu'on l'appréhende aujourd'hui. Faut-il rappeler que le mot science se rapporte étymologiquement à la connaissance, ou au savoir, sans référence à la bonne ou mauvaise manière de l'obtenir, sans a priori sur la nature de ce savoir ? En effet, rien ne dit que la science est le domaine de chasse réservée du rationalisme...

    A vrai dire, le mot science peut tout aussi bien s'appliquer à la science médicale chamanique, ou à la sapience spirituelle... Ce sont des savoirs, au sens large du terme. Mais de nos jours, le scientisme s'est accaparé la marque déposée du savoir, sous prétexte de lutte contre les vérités alternatives. Atterrant, quand on y pense.

   

__Chamanisme et new-age__

    Un autre fléau du chamanisme est le courant new-age. Courant qui lui fit, et lui fait encore, beaucoup de tort, en infantilisant son approche, et en l'amalgamant avec toutes sortes de choses qui n'ont rien à voir, ce qui a tendance à le ridiculiser.

    Le new-age, cette nébuleuse incohérente de magies, de spiritualités anciennes et de croyances contemporaines sans relation les unes avec les autres, sans buts communs ni même, souvent, de concepts que l'on puisse sérieusement rapprocher. Un tel gloubi-boulga de tout et n'importe quoi qu'il constitue en soi-même la porte ouverte à toutes les dérives charlatanes en même temps qu'aux canulars les plus grotesques, sans parler du mercantilisme qui domine ce milieu.

    Le chamanisme n'y a naturellement pas échappé. Puisse-t-on le tenir autant que possible éloigné de cette confusion lamentable. Je ne vois rien de plus à en dire.

__La folie du chamane__

    Un autre thème qui génère une grande incompréhension, vis à vis du chamanisme. A l'opposé de la croyance que je décrivais au départ des amérindiens "êtres parfaits" et de leurs chamanes "incarnations vivantes de l'idée même de la sagesse", il existe aussi l'idée que les chamanes sont des malades mentaux ou des pervers, parfois les deux à la fois.

    Pourquoi ? Les deux causes principales en sont une incompréhension fondamentale de la nature du chamane et une propagande politique qui fut répandue sous l'ère stalinienne, en Russie, qui a vu l'extermination et l'oppression d'énormément de chamanes et de peuplades animistes.

    Dans le deuxième cas, soutenu par des ouvrages pseudo-scientifiques se basant sur la psychanalyse et la psychologie, le gouvernement russe de l'époque a fait passer l'idée que les chamanes ne sont que des schizophrènes comme les autres, en plus d'être de dangereux émissaires de la spiritualité et de la religion, ce qu'on appelait l'opium du peuple. Ils étaient donc des ennemis de l'état qu'il fallait dénigrer, discréditer et éliminer par tous les moyens possibles.

    Dans le premier cas, c'est un peu différent, car l'incompréhension fondamentale de la nature du chamane vient du fait qu'il est en lien direct avec l'autre monde, et qu'il en acquiert certains aspects. Pour ainsi dire, le chamane intègre en lui-même certaines particularités du monde des esprits. Selon les régions et les traditions, cela se traduit souvent par une certaine ambiguïté sexuelle, qui pourrait s'expliquer de plusieurs manières. Je vous livre un lien qui en donne une explication possible, à la fin de ce paragraphe. Je pense quant à moi qu'une autre explication est que pour être investi de l'ensemble de ses pouvoirs, le chamane a besoin d'expérimenter en lui-même les potentialités des deux sexes. Mais c'est un sujet tellement vaste que je le développerai probablement plus avant une autre fois.

    Quoiqu'il en soit, ce qu'il faut retenir, c'est que les chamanes sont souvent incompris, soit à cause de leur nature, et de la tentation fondamentale de rejet, qui existe chez l'homme à l'égard de tout ce qui est différent et qu'il ne comprend pas. Soit parce que certaines propagandes politiques ou des récupérations religieuses ont volontairement jeté la confusion et le discrédit sur la spiritualité chamanique. C'est pourquoi je tenais à soulever ce point ici. Il est vrai que les chamanes sont souvent des personnalités étranges, surprenantes, dont les actes sont même parfois choquants, ainsi que leur manière de vivre, cependant toutes ces choses ne sont que des expressions de leur caractère particulier.

http://lapirogue.free.fr/chamane.htm

__Le dogmatisme__

    Le dogmatisme, c'est évidemment l'une des tentations les plus fortes de l'homme, tant il est plus aisé de retenir les formules et de les appliquer, que de chercher à les remettre en cause en y réfléchissant plus avant, et se demander si elles sont vraiment fondées... C'est en quelque sorte une paresse du mental.

    Inutile de dire que le chamanisme et les religions païennes en général n'échappent tristement pas à ce constat. Il y a quelques années d'ailleurs, j'avais fait remarquer lors d'un débat sur un forum que décidément l'on ne cesse de dire que le paganisme est "a-dogmatique", à tel point que l'on pourrait ériger ce principe en dogme... Ce sur quoi la discussion a dérivé sur une amusante digression qui a accouché des neuf dogmes du paganisme, à cause de l'espièglerie d'un ami. En voici le résultat, sur son site qu'il ne m'en voudra sûrement pas de citer.

[http://www.lething.org/articles.php?lng=fr&pg=4|http://www.lething.org/articles.php?lng=fr&pg=4|fr]

    Quoiqu'on puisse penser de cette lutinerie à laquelle j'accorde personnellement une valeur quelque peu provocatrice, ce qui n'est pas péjoratif dans mon esprit, il n'en est pas moins vrai que le dogmatisme ronge tous les domaines de la pensée. C'est à dire bien entendu toutes les religions (y compris les paganismes), mais aussi les sciences, les sciences humaines, les arts (dont les académies constituent souvent les capitales du dogmatisme créatif), ou encore les disciplines ésotériques, telles que le chamanisme.

    Alors bien sûr, le dogmatisme est peut-être un obstacle à certaines dérives, mais est-ce vraiment un mur infranchissable pour les dérives new-ageuses, sectaires et autres ? L'expérience prouve le contraire, et même tend à démontrer que le dogmatisme en est l'une des inspirations premières...

    C'est pourquoi j'ai tendance à me tenir éloigné du dogmatisme comme de la lèpre.

    Ainsi, si l'on en croit certaines littératures et idées reçues on transforme une discipline pratique en une religion fermée. Alors qu'il suffit de se pencher sérieusement sur la question pour se rendre compte qu'en réalité, les tabous, interdictions, ainsi que les cosmogonies fondatrices des différentes traditions chamaniques se contredisent entre elles, si bien que lorsque l'on supprime toutes ces superstitions, dont peu sont réellement fondées, on constate qu'il n'en demeure au bout du compte qu'une pratique commune (la transe), quelques principes communs (comme une morale visant à accorder l'homme à son environnement), et quelques éléments irréductibles tels que la croyance dans les esprits (dont les ancêtres), leur présence à nos côtés et leur influence sur nos vies et notre environnement.

    Le reste ce ne sont rien d'autre que des croyances, tout à fait respectables, mais qui diffèrent d'une région à une autre, et auxquelles je ne me fierais donc pas, pour appréhender l'essence même du chamanisme, mais plutôt la signification particulière de tel rite, dans tel contexte. Ces croyances sont à appréhender de la même manière que nos mythes anciens, c'est à dire comme des récits contenants une éminente sagesse, qu'il ne faut pas mépriser, mais qu'il ne faut prendre comme rien d'autre.

    Ainsi je pense que ces superstitions plus ou moins ridicules et ces croyances locales respectables, mais propres à des peuples et à des époques, ont souvent contribué à donner une idée fausse du chamanisme, et à rendre son étude étriquée. Heureusement, tous ne tombent pas dans cet écueil, et tous ne font pas l'erreur de mettre sur le même plan le danger d'absorber n'importe comment des plantes psychotropes, et celui d'offenser un esprit en oubliant de jeter du sel par dessus son épaule gauche avant un repas...

    D'ailleurs, n'en déplaise à nos colporteurs de dogmes contemporains, et aussi pour finir cet article en cassant une dernière idée reçue sur le progressisme, les peuples animistes sont souvent les plus prompts à modifier leurs croyances pour les adapter au monde tel qu'ils le voient évoluer, contrairement à nous, qui sommes encore en recherche d'une nouvelle voie spirituelle, après l'échec manifeste des différents christianismes, perpétré par ses Eglises...

    Recherche qui ouvre précisément la brèche aux dérives new-age, aux tentatives politiciennes de contrôle, ou encore à des cultes qui s'ignorent, tel que celui de la Vérité scientifique, comme je l'ai dit plus haut.

    Pour en finir avec ces quelques mises au point qui n'engagent que moi et ma liberté de penser autrement, je terminerai par ceci :

"Les chats existent dans notre monde pour réfuter le dogme que toutes choses furent créées pour servir l'homme." [Froquevielle]

4 mars 2008

Réveil de Malice, Chapitre 2

9 - L'ouverture

    Le jour était déjà levé lorsqu'elle franchit le seuil de son appartement. Jetant sans y penser ses bottes quelque part dans le décor de son appartement parfaitement en ordre, elle se dirigea aussitôt vers sa chambre, et s'allongea, presque d'un bond, sur son lit tiré à quatre épingles.
    La lumière du jour lui écorcha les paupières, les traversant de ses épines cruelles, mais elle parvint tout de même à trouver le sommeil.

    Tout du moins jusqu'à ce qu'un problème inattendu l'interrompe.
    Quelqu'un était entré chez elle. Oui, pendant son sommeil. Comment avait-elle pu être aussi sotte et négligente ?
    C'était trop tard. Ce quelqu'un se tenait à côté de son lit, dans une tenue bizarre, de couleur bleue-verte, claire, avec un masque sur la bouche. Il la contemplait d'un regard intense par-dessus ce masque retenu par ses élastiques, puis ployant le coude, il leva la main d'un geste nerveux et quasiment mécanique.
    Dans cette main, une lame. Un large poignard qui n'avait vraiment rien du petit scalpel de chirurgien qui était censé aller avec une telle tenue.
    Réagissant rapidement, elle tenta de se redresser et de s'extirper de son lit pour échapper à ce maniaque, mais découvrit bien trop tard qu'elle était complètement ligotée sur son lit. Des liens avaient été passés, on ne savait comment, autour de ses membres et par dessous son dos, tandis qu'elle était allongée sur son lit, dormant paisiblement. Et son haut avait été ouvert sur son buste.
    L'intrus lui adressa un regard désapprobateur, par-dessus son masque, et retourna la lame dans son poing, toujours avec la même brusquerie, la dirigeant vers son abdomen. Il fit descendre son bras, d'un geste si mécanique que l'on aurait presque pu entendre des rouages qui s'activaient à la place de ses articulations, et la lame vint chatouiller le ventre de Malice.
    Elle tenta une protestation, mais réalisa que sa bouche n'était pas capable d'articuler le moindre son, bien qu'aucun bâillon ne semblât l'entraver.
    Et, contre son gré, la lame plongea dans son ventre en produisant un atroce bruit de chair se déchirant comme du tissu usé. Elle s'y plongea si profondément qu'elle dut l'éventrer jusqu'aux tripes, puis commença à remonter en direction de sa poitrine.
    C'est alors seulement que sa bouche daigna produire un son. Non pas un cri d'horreur ou de douleur, mais une phrase très correctement articulée.
    "Mais qu'est-ce que vous faites, vous êtes fou ?
    S'agitant légèrement de bas en haut, la lame traçait une profonde ouverture qui peina un peu au moment de sectionner son nombril. Aucun sang ne s'en écoulait, et aucune douleur ne sourdait de son ventre.
    Ne trouvant pas la force de s'étonner de ce "détail", Malice tenta de se débattre entre ses liens. Et à mesure que la lame cisaillait son ventre, elle avait vaguement l'impression que ce n'était pas vraiment son corps qui était tranché, en vérité, mais quelque chose de beaucoup plus subtil qui lui échappait, comme si cette lame ne faisait en fait que séparer les pans d'un voile qui la séparait de la véritable réalité.
    Elle en était là de ses réflexions étranges, lorsque le chirurgien intrusif se décida enfin à lui adresser la parole.
    - Ne bougez pas, ça pourrait faire mal... Il y a tant de choses qui puent, là-dessous...
    Et tout en continuant à ouvrir son abdomen en direction de sa poitrine, il plongea sa main libre - recouverte d'un gant de plastique - dans son ventre dont les deux côtés s'écartaient mollement. Et il fouilla à l'intérieur.
    A cette vision d'horreur, Malice eut vaguement envie de crier de terreur autant que de colère. Comment cet énergumène pouvait-il lui faire ça ? Pourtant, elle avait toujours cette impression que ce n'était pas vraiment son corps physique qui subissait ce traitement, mais tout autre chose. Toutefois, lorsqu'il ressortit sa main de son ventre, toute chargée d'un paquet de choses noires et dégoulinantes, cela rompit le cours de ses réflexions affolées, et lui coupa toute envie de parler. Une nausée lui tordit les tripes, ou du moins ce qui devait lui en rester.
    Pendant ce temps, la lame atteignait sa poitrine, entreprenant de séparer ses deux seins, chacun sur une moitié équivalente...
    La main jeta par terre ce paquet de choses dégoûtantes, et replongea dedans, pour en extirper d'autres quelques secondes plus tard.
    - Qu'est-ce que je vous disais ? fit le chirurgien à l'air cinglé. Il y en a des choses à jeter et à oublier là-dedans... Voyons en haut...
    Et il replongea son gant souillé dans sa poitrine ouverte, la fouillant comme une vulgaire poubelle oubliée.
    - Voilà... On va y arriver.
    Et il entreprit de retirer sa main, plus lentement, cette fois.
    Bizarrement, Malice ne ressentait toujours aucune douleur, mis à part la nausée, en subissant ce traitement. Il y avait là manifestement quelque chose d'étrange qu'elle ne pouvait absolument pas comprendre. Aussi observa-t-elle docilement, mais nerveusement, la main ressortir de sa poitrine sectionnée, empoignant fermement une chose dégoûtante et ruisselante de ce qui semblait bien être du pus... Cela ne fit que la tordre davantage de nausée, entre ses liens serrés.
    Il jeta également la chose au sol, avec les autres, sans plus de considération pour tout cela.
    - Bon... Le nettoyage est fait. C'est toujours moi qui fait le sale boulot, mais rassurez-vous, j'ai l'habitude. Mes collègues se chargeront des autres étapes.
    - Les autres étapes ?
    Avant de lui répondre, il prit soin d'enlever proprement ses gants, et de les jeter sur le tas d'immondices qui s'était amoncelé au pied du lit.
    - Oui. Le reste du boulot, quoi. Vous ne pensez pas qu'on va vous laisser comme ça, tout de même...
    Malice jeta un coup d'oeil à son corps totalement éventré, duquel ne s'écoulait toujours pas la moindre goutte de sang. Enfin, devant l'incongruité de la scène, elle eut une sorte d'éclair de lucidité qui ne s'avéra pas tout à fait convainquant.
    - Euh... C'est un cauchemar, et je vais me réveiller, n'est-ce pas ?
    - Un cauchemar ? Ah ah ! Oui... C'est vrai... Ils pensent tous cela, au début. Bah. En tout cas, la prochaine fois, cela vaudrait le coup de vous maquiller, histoire d'être plus présentable. Là, on voit bien que vous avez passé une nuit blanche complète, vous avez une mine effrayante.
    Il la fixa comme si son visage était un spectacle plus choquant que son buste totalement découpé, et comme elle essayait de se persuader qu'elle était vraiment en train de rêver et qu'elle allait se réveiller, elle essuya un cuisant échec.
    Impossible de sortir de cette scène. Cela était-il vraiment réel ?
    - Vous allez me laisser comme ça ? finit-elle par demander en faisant un geste du menton vers son torse sectionné.
    - Oh... Bien sûr que non, comme je vous l'ai déjà dit. Pardonnez-moi. Mais il faut que je vous demande d'abord de fermer les yeux. Le spectacle du retour pourrait vous choquer affreusement, vous savez...
    - Le spectacle du retour ?"
    Et comme elle espérait encore une réponse qui ne vint pas, il posa d'autorité sa main sur ses yeux, pour les lui masquer. Une sensation étrange s'empara de tout son être, comme si elle était soulevée, puis soudain, la main s'évanouit, lui montrant le décor de sa chambre.
    Tout semblait parfaitement normal. La lumière baissait, c'était vraisemblablement le soir, et elle était allongée là, sans qu'aucun lien n'entrave son corps. Aucun tas d'immondice sur le sol, ses vêtements - dans lesquels elle s'était couchée au matin - parfaitement en place, même pas froissés. Et, comme elle put le voir en défaisant un ou deux boutons de son chemisier, aucune ouverture, ni même de cicatrice sur son torse. Quant au chirurgien, il avait évidemment disparu, lui aussi.
    Avait-ce été un rêve comme elle l'avait supposé un moment ? Pourtant elle n'avait pas réellement l'impression de revenir d'un sommeil agité, tout au plus celle d'être parfaitement reposée physiquement, comme si elle avait excellemment dormi et était levée depuis au moins une heure... Elle n'était même pas en sueur, comme elle l'aurait du, après un pareil cauchemar.
    Elle eut beau se poser des tas et des tas de questions, aucune réponse ne se présenta à son esprit. La voix nasillarde du chirurgien, quelque peu étouffée par son masque, résonnait encore dans son esprit, comme si elle avait résonné dans cette chambre seulement quelques instants auparavant...

10 - La télévision, une fenêtre sur le monde (de l'ineptie)

    La nuit suivante, elle retourna au musée, mais tout était fermé. Probablement parce que c'était le week end. Pourquoi travaillait-il la nuit, d'ailleurs ? Peut-être juste à cause d'un coup de bourre avant le week end...

    Lorsque le dimanche matin arriva, elle avait donc passé une nuit blanche, et se sentait un peu bizarre, comme dans un état second. Son rêve de la veille - elle était à présent presque persuadée qu'il ne s'était agi que d'un rêve - tournait encore dans son esprit, bien quelle essayât de ne plus y prêter attention.

    Installée dans le fond de son canapé, sans vouloir allumer la télé, son chat la regardant de biais, elle remarqua que son appartement n'était plus aussi en ordre qu'il l'était seulement deux jours auparavant. Ses bottes traînaient au milieu de la cuisine, un peu de vaisselle restait sur la table, et quelques autres objets, vêtements et choses diverses n'étaient pas encore à leur place. Elle se sentait trop lasse pour tout ranger maintenant. Sans doute à cause de ses errements de ce week end... Elle se dit toutefois avec un certain soulagement mêlé d'anxiété que demain, elle n'aurait pas à retourner au boulot. Peut-être la contacterait-on pour lui signifier qu'elle était virée. Elle se demanda aussi comment elle allait subvenir à ses moyens, maintenant... Mais elle décida de ne pas s'en soucier dès à présent. Elle voulait juste continuer à jouir de sa nouvelle liberté. Les soucis viendraient bien quand il serait temps de s'en occuper...

    Conformément à ces quelques réflexions, elle s'enfonça davantage dans son canapé et se décida à allumer la télé. La fin de la matinée approchait déjà et elle tomba sur les émissions censées occuper le commun des mortels, assommé par le désoeuvrement dominical autant que par les stupidités télévisuelles... Une page de pub, et déjà c'en fut trop. Elle éteignit la télé avec la furieuse envie de balancer sa télécommande en pleine face d'une gourde nourrie à la lessive, mais se retint, soin impulsion brisée par l'image qui disparut juste à temps. Ces dernières semaines déjà, elle s'était trouvée allergique à cette machine à projeter des images abêtissantes, et ça ne faisait qu'empirer. Son rêve était d'un jour pouvoir bazarder sa télé par la fenêtre. Elle avait déjà songé maintes fois au sentiment de libération et de jubilation qui l'emplirait après un tel acte, un véritable orgasme protestataire. D'ailleurs pourquoi ne pas le faire maintenant ? Quel meilleur jour qu'un dimanche, jour du seigneur, pour accomplir une tâche aussi sacrée ?

    Rien qu'à cette idée, elle sentit des picotements de plaisir au bout des doigts, et sa tête et son coeur se réchauffer comme à l'idée d'un bon repas de fête. Cela suffit à lui redonner l'envie de se relever, et déjà elle faisait le tour de la télé pour regarder comment elle était branchée. Pas dur... Juste défaire ça et ça, et...

    Allait-elle vraiment le faire ? Cela lui vaudrait sûrement des problèmes... Peut-être une amende, une convocation au commissariat... Elle se rassit, prise d'un subit accès de raison.

    Puis elle reprit la télécommande et ralluma la télé. Peut-être que ça n'était pas si débile, au fond... La télé s'alluma sur M6. Une pub pour le Loto. Un mec qui fait sa vaisselle en tirant au fusil dedans comme si c'était un ball-trap. Encouragement au gaspillage et à tout flamber ? Elle avait lu quelque part que beaucoup de gagnants du Loto se retrouvaient ruinés en quelques mois ou quelques années, car incapables de gérer leur fortune et de se rendre compte qu'elle n'est pas infinie... Soupirant, elle changea de chaîne. Une émission humoristique sur la une... Des tartes à la crème en pleine rue, un homme dont le pantalon se déchire... Ça ne lui arracha même pas un sourire. Alors c'est à ce genre de stupidités et de trucs grand-guignolesques que les gens passent leur temps ? Pendant que la planète part en fumée, que des espèces s'éteignent, on regarde si le président a des bourrelets, s'il va rester avec sa femme, si la croissance est toujours bonne et si le moral des ménages est au beau fixe ? C'est ce genre de "temps de cerveau" que l'on vend aux publicitaires ? Ecoeurée et commençant à se sentir vraiment agacée, elle changea de chaîne. Pub sur la 5... Décidément, y a pas moyen d'y échapper ! A chaque instant dans ce pays, on peut alimenter son esprit par la publicité : il y a toujours au moins une chaîne qui est en train d'en diffuser...

    Voiture, musique agaçante, parfum, cuisines aménagées, re-voiture... Un grand tourbillon de prêt à consommer, de sécurité vendue à prix raisonnable, de valeurs qui sont vendues en lot avec les produits eux-mêmes : liberté, écologie, moralité...

    Prise dans ce tourbillon de folie, elle réalisa à peine qu'elle avait déjà propulsé sa télécommande dans l'écran. Avec une telle force que celui-ci s'était ébréché. Elle vit la fêlure qui allait courir en travers du visage parfait d'une femme qui s'empêchait de vieillir en se droguant au Nivéa. Cette balafre la réjouit et fut la dernière chose qu'elle vit avant de débrancher la télé sans même l'éteindre, alors que son sang ne faisait qu'un tour. Elle la souleva des deux mains. Pas trop grosse, pas trop lourde, tant mieux. Direction la fenêtre.

    Les fils se balancèrent sur le chemin, essayant de s'accrocher à un pied de table ou à une chaise, ultime tentative pour que l'appareil ne finisse pas comme tout appareil de ce genre devrait finir, finalement... S'appuyant contre le mur, elle put ouvrir la fenêtre. Elle se pencha, pour voir. Quatrième étage, pratiquement personne en bas. Dimanche, jour du seigneur, normal. Elle appuya le bloc de plastique et de verre contre le bord de la fenêtre, poussa... Il bascula, et elle se pencha avec empressement pour pouvoir jouir de ce spectacle si délectable. Franchissant l'espace qui la séparait des pavés de la rue piétonne, la télé effectuait une sorte de révolution sur elle-même, tel un objet en suspension dans l'espace interplanétaire. C'était aussi beau qu'on astronaute en état d'apesanteur sur fond de lune argentée. Enfin la télé heurta le sol sans aucune douceur ni grâce, tel un astéroïde creusant son cratère lunaire. Elle se répandit avec fracas, en mille morceaux de verre, de métal, de plastique, d'objets électroniques, les fils lancèrent un dernier coup de fouet, pareil à un spasme, avant de s'étendre au sol comme des membres morts. Un cri de joie intense monta en elle tandis qu'elle observait longuement le cadavre de la chose immonde qui ne bougeait plus, en bas de la rue. Ses débris s'étalant sur plusieurs mètres. Même pas une étincelle, même pas un crissement d'agonie. Juste la plus totale inertie, la plus complète indifférence.

    Après tout, il n'y avait pas de quoi être fier d'être une télévision.

    Si on lui posait la moindre question, elle répondrait que c'était un suicide.

11 - Comme un lundi... pas comme les autres

    La nuit suivante, elle parvint enfin à dormir normalement. Elle s'éveilla tôt, et trouva que son appartement était sens dessus-dessous. Bon c'était sans doute exagéré, il y avait juste quelques affaires qui traînaient de-ci de-là, et puis bien sûr sa télé qui manquait, ce qui donnait une impression de vide dans la pièce. Quant à son chat, il avait trouvé, on ne savait où, des bonbons, qu'il avait envoyé valser par terre pour pouvoir jouer avec.

    Il était encore assez tôt quand elle s'était extirpée de son lit, et elle avait découvert la ville sous les premiers rayons du soleil. Tout en sirotant un thé léger, elle se dit une fois de plus que tout ce qu'elle avait vécu ces derniers jours n'avait pas été un rêve. En se penchant par la fenêtre, elle avait pu voir que la télé avait été enlevée, probablement par les éboueurs, mais personne n'était venu lui demander de comptes à ce sujet. On voyait encore quelques débris de la télé s'étaler d'un côté et de l'autre de la rue, en scintillant sous le soleil matinal.

    Elle aussi, sans savoir pourquoi, se sentait réduite en pièces. Elle avait toujours eu un caractère bien trempé - en termes plus familiers, on dirait un caractère de cochon - mais les choses bizarres qui lui étaient arrivées ces derniers jours la déstabilisaient tout de même fortement.

    Elle se demandait d'ailleurs quel jour il était. Elle avait été si décalée ce week-end, qu'il lui fallut vérifier qu'on était bien lundi. C'était peut-être pour cela qu'elle s'était réveillée naturellement si tôt : son corps avait pris l'habitude de se préparer au travail, dès le lundi matin. Mais cette semaine, elle ne travaillerait pas. Il était hors de question, après la scène de vendredi passé, qu'elle retourne au travail. Elle la visualisa en esprit, en essayant de conserver son calme...

    Son patron, qui l'avait littéralement harcelée toute la semaine pour qu'elle accomplisse - en plus de son propre travail - celui de sa collègue en arrêt maladie, l'avait sévèrement sermonnée devant un groupe de clients. Songeant que si sa collègue s'était mise en arrêt pour dépression nerveuse, c'était parce qu'elle avait été le souffre-douleur du dit patron pendant des mois, son sang n'avait fait qu'un tour. Non, elle ne serait pas le nouveau martyr de cette tâche ambulante. Et la claque était partie, violente et sonore, devant l'assemblée médusée des clients. Et elle avait quitté le standard. Ainsi, il pourrait se trouver deux nouvelles secrétaires pour les traiter comme des boniches, si ça lui chantait, mais elle espérait ainsi qu'il se trouverait bien dans la merde !

    Elle eut un petit sourire en pensant au tour qu'elle lui avait fait. Il lui ferait sans doute des soucis, après cela, c'était même pratiquement certain, mais elle n'en avait rien à faire. Elle regrettait même de ne pas lui avoir fait ce coup là en pleine journée et en plein milieu de semaine, plutôt que d'avoir attendu le coup de bourre du vendredi soir pour le lâcher avec des clients. L'essentiel était qu'il allait se trouver sans secrétaires ce lundi matin... Peut-être s'attendait-il à la voir se pointer au boulot ce matin, la tête basse. Peut-être même qu'il avait soigneusement rédigé un sermon pendant tout le week-end, spécialement pour elle. Peut-être encore avait-il prévu qu'il y ait des témoins de sa colère divine, mais elle ne lui ferait pas le plaisir de se représenter au boulot pour cela. A moins d'y retourner juste pour lui coller une bonne paire de baffe ? Ça pourrait être jouissif... Elle esquissa un sourire en coin pour elle-même en songeant à la scène.

    Mais non. Aujourd'hui elle avait décidé de se rendre au musée, afin de voir si cela était ouvert, ou à défaut si elle pourrait y trouver des horaires d'ouverture ou des renseignements sur cet homme, dont elle ne savait toujours pas le nom, aux ateliers. C'est dans cette idée qu'elle se prépara à sortir, et non pour aller au boulot.

12 - Accidents de terrain

    Elle se rendit donc au musée, sans toutefois y arriver trop tôt, flânant d'abord un peu en ville. Seulement les lundis matin, les musées n'étaient pas plus ouverts que la plupart des magasins, comme elle le découvrit. Elle poireauta bien un petit moment devant, sans trop savoir pourquoi, puis laissa tomber après avoir bien pris note que, comme l'indiquait une affichette, le musée ne rouvrirait que le lendemain, à 10 heure.

    Elle décida alors de profiter de ce moment de tranquillité pour faire ce qu'elle n'avait pas eu le temps de faire depuis qu'elle travaillait, c'est à dire depuis plus d'un an, déjà : errer en ville à la recherche de rues et de quartiers inconnus, un jour de semaine comme un autre. Bon, un lundi, quoi. Un jour particulièrement calme, comme elle le constata rapidement.

    Tout en commençant à s'enfoncer un peu au hasard dans les rues, elle se demanda si elle parviendrait réellement à s'occuper, le temps de trouver un nouveau travail ou une nouvelle activité digne de remplir ses journées. Après tout, elle n'avait cessé d'être active, et même si elle avait quitté le lycée un peu comme elle venait de quitter son travail, elle n'avait passé qu'à peine un an sans travailler, à la sortie. Elle essaya de se rappeler alors ce qu'elle avait fait de son temps, pendant toute cette période.

    Voyons, des moments passés avec les amis de lycée qu'elle avait encore, des heures devant des ordinateurs et d'autres machines proposant leurs jeux à qui voulait gaspiller un peu, ou beaucoup de son temps, et encore du temps devant la télé... Ouf, pour cela au moins, elle était à présent sauvée... Peut-être pourrait-elle s'atteler à cette chose qu'elle voulait tant faire, depuis fort longtemps, et que le travail l'avait aussi empêché de faire, aspirant tout son temps : écrire une pièce de théâtre épique, dans laquelle elle mettrait tous ses rêves et tous ses cauchemars... Elle avait cette idée depuis qu'elle était toute petite. Elle avait même en tête les costumes des acteurs, les différents et nombreux décors, et elle avait toujours voulu réaliser chacune de ces choses de ses propres mains, ce qui était une tâche titanesque, pour quelqu'un qui ne s'en était jamais vraiment servi... Tout ce qu'elle avait fait jusque là de notable avec, était de dessiner perpétuellement des éléments de costume et de décor, notamment sur ses feuilles de cours... Elle ne pourrait jamais réaliser une telle oeuvre toute seule. En vérité, ce qu'il lui fallait, ce dont elle aurait vraiment envie, c'était de trouver une troupe de théâtre qui voudrait bien l'aider dans cette tâche. Mais qui ferait confiance à une fille comme elle, incompétente et à peine sortie de l'adolescence ? Peut-être devrait-elle se faire d'abord embaucher dans un théâtre et y accomplir de petites tâches ? Et peu à peu, le chemin de son rêve s'ouvrirait devant elle ? Enfin, il était permis d'en rêver, en tout cas. De toute façon, elle ne connaissait strictement personne dans le milieu du théâtre. D'ailleurs, elle avait déjà perdu tous ses amis du lycée, tant elle passait du temps au travail, et elle se rendit soudain compte qu'à part sa collègue dépressive, elle n'avait plus guère de proches en ce monde, si l'on exceptait, bien sûr, sa famille, qui vivait dans une autre ville de province, à des centaines de kilomètres de là...

    Il fallait pourtant bien qu'elle commence quelque part. Elle n'avait aucune envie de continuer à faire ce travail, que ce soit avec ce même patron, ou un autre...

    Bon, pour le moment, elle n'avait pas vraiment de solution, alors elle rejeta ces réflexions à plus tard, quitte à ce que ce soit aux calendes grecques.

    Autour d'elle, alors que ses pas l'emmenaient sans qu'elle en ait vraiment conscience, le paysage avait changé. Elle avait commencé à grimper le long d'une rue qui rampait contre le flanc d'une colline qu'elle ne pouvait reconnaître avec certitude. Il y avait quelque chose d'étrange dans cette rue. Peut-être n'était-ce que l'impression donnée par le brusque voilement du ciel, mais elle avait vraiment la sensation que quelque chose ne tournait pas rond, ici. Peut-être étaient-ce ces bâtiments, sur le côté, qui avaient une allure particulière ?

    Elle les considéra avec curiosité. Soit elle avait la berlue, soit ils n'étaient pas droits. Elle se déplaça pour se mettre bien en face, sur le trottoir opposé. Et plus elle les regardait, plus elle en était sûre. Ils penchaient. Et pas qu'un peu. A tel point qu'elle se demanda comment elle avait pu en douter plus d'une seconde. Il y avait là toute une série de bâtiments qui penchaient nettement, de plusieurs degrés, comme suivant un creux formé par la rue. Elle constata d'ailleurs que l'asphalte de la route était fissurée à différents endroits. La pente était telle qu'il devait bien y avoir une différence de 3 ou 4 mètres de hauteur, d'un bout à l'autre du toit de ces immeubles qui semblaient complètement abandonnés. Elle remarqua en outre qu'un bandeau, collé sur la porte de certains, indiquait clairement qu'ils étaient condamnés. Sûr qu'avec une telle inclinaison, ils seraient tombés, s'ils n'étaient retenus de chaque côté par d'autres blocs d'immeubles encore droits, eux...

    La façade de l'un des bâtiments arborait aussi une fissure discrète, mais qui attirait de plus en plus son regard. Il la barrait en diagonale sur toute sa largeur et sa hauteur, formant quelques arabesques autour des fenêtres aveugles auxquelles on avait enlevé les vitres. Probablement qu'elles avaient explosé sous la tension lorsque cette partie de la rue s'était affaissée. Elle réalisa seulement que c'était un fait qui n'était pas si rare, dans cette ville aux sous-sols rongés par les galeries de mines, et qui parfois s'effondraient, laissant de telles traces à la surface... Elle en avait souvent entendu parler, mais ne l'avait jamais constaté, considérant jusque là que ce n'était que racontars et légendes urbaines...

    Son regard s'accrochait à cette fissure, en suivait les circonvolutions avec perplexité... A chaque instant, elle avait l'impression que cette fissure ne faisait que s'élargir, mais c'était sans doute un effet d'optique, et rien de plus... Elle se campa bien sur ses pieds, pour prendre le temps d'observer ces façades mornes, qui cachaient des appartements que l'on devinait facilement vides, à l'absence de rideaux et d'autres décorations, ainsi qu'à l'obscurité relative qui régnait au-delà. Cela donnait à ce groupe d'immeubles une allure fantomatique qui la fascinait.

    Elle ne pouvait se lasser d'observer ces fenêtres penchées sur un côté, comme des objets en suspens sur une étagère cassée, d'essayer de percer leurs ténèbres, et de suivre les bords de la fissure qui sillonnait la façade, et continuait de lui donner l'impression de s'élargir à chaque fois qu'elle la regardait, mais aussi à chaque fois qu'elle la lâchait du regard. Elle essayait aussi de deviner si le bâtiment penchait non seulement sur le côté, mais aussi vers l'avant ou l'arrière, mais cela n'était pas perceptible. Elle se demanda ce qui se passerait, si cela lui arrivait. Si, tandis qu'elle était tranquillement installée chez elle, soudain, le sol se dérobait sous son immeuble, et que le plancher s'inclinait sans prévenir. Tomberait-elle ? Crierait-elle ? Aurait-elle une crise cardiaque ? Resterait-elle tout à fait stoïque, se disant que c'était normal, puisque cela arrivait régulièrement, par ici ? Et continuerait-elle à s'affairer tranquillement tandis que les choses tomberaient des placards ?

    On croit souvent que les choses sont immuables, que nos villes sont permanentes, que nos constructions humaines vivent leur vie, puis sont remplacées par d'autres, sans coup férir, simplement quand il est temps. Mais c'est faux. Le monde est aussi soumis à la destruction, à l'impermanence, à la brutalité, la violence, la soudaineté, et lorsque quelque chose survient, même lorsque c'est le fruit d'une longue usure, cela arrive d'un seul coup, sans qu'on s'y attende, et provoque dans la foulée une cascade d'événements. Elle songea aux civilisations antiques disparues, aux guerres qui se déclenchent sans qu'on puisse bien comprendre pourquoi, aux tremblements de terre, et à toutes les sources de destruction qui interviennent brusquement dans nos vies. On dit que la vie est un long fleuve tranquille, mais même un fleuve connaît des cascades, des accidents, des gouffres, des détours, des assèchements parfois brusques...

    Des gens étaient-ils morts, dans ces bâtiments, comme cela arrive lors des séismes ? Probablement pas, puisqu'il y avait quelqu'un, à l'une des fenêtres.

    Quelqu'un ?

    Malice ouvrit de grands yeux pour détailler cette personne qui était apparue à l'une des fenêtres, sans prévenir, elle non plus. Une personne tout ce qu'il y a de plus normale. Une femme, la cinquantaine avancée, peut-être la soixantaine, vêtue d'un pull rouge, cheveux châtains orangés, probablement teints. Leurs regards se croisèrent, et tout d'un coup elle se trouva gênée de rester là à observer ces bâtiments. Ils avaient pourtant l'air totalement déserts. Peut-être que cette femme était juste venue rechercher des choses à elle, ici, après tout. Rien de si surprenant à cela... Elle détourna alors le regard, se disant qu'il valait mieux la laisser tranquille et reprendre son chemin, et alors que la femme au pull rouge passait progressivement dans son champ de vision périphérique, d'un seul coup elle ne la vit plus.

    Elle ramena le regard par là, comme pour s'en convaincre. Mais il n'y avait plus la moindre trace de cette dame qui, une fraction de seconde auparavant, occupait le milieu de cette fenêtre, s'appuyant fermement sur celle-ci, de ses deux mains. Malice en était si certaine qu'elle revoyait encore son corps qui penchait exactement selon le même angle que l'immeuble, si bien qu'elle était parfaitement alignée avec la fenêtre. Quelqu'un de tout à fait normal se serait-il tenu de cette façon là ? Probablement que oui... Mais peut-être que non...

    Elle resta interdite, face à la fenêtre vide, se demandant si tout cela n'était pas juste un rêve, une fois de plus...

    Elle brûlait d'envie d'aller voir de plus près, mais bon sang, elle ne pouvait quand même pas entrer dans cet immeuble... C'était sans doute dangereux...

13 - Les nuances du temps

    Elle regarda d'un côté et de l'autre de la rue. Personne. Bah, au moins, elle pouvait s'approcher du bâtiment sans craindre le ridicule...

    C'est donc ce qu'elle fit sans plus hésiter.

    Sa façade, en dehors de la fissure qui la parcourait d'un coin à l'autre, et de son inclinaison, avait l'air tout à fait normale. Banale, classique. C'est à dire, pour un immeuble de cette ville, grise, sans relief particulier. Elle qui n'y connaissait rien ou pas grand chose en architecture ni en maçonnerie, n'aurait même pas su dire en quoi elle était bâtie. Et si sa porte était barrée et la plupart des fenêtres du rez-de-chaussée condamnées, il y en avait au moins une qui ne l'était pas.

    Entièrement nue, dépourvue de vitre et de cadre, c'était une sorte de rectangle creux qui donnait directement sur la pénombre intérieure.

    Malice y plongea le regard, s'en approchant en vérifiant encore une fois que personne ne venait d'un bout ou de l'autre de la rue. Elle se pencha pour essayer de percer les ténèbres qui baignaient l'intérieur. Tout ce qu'elle put distinguer, c'était des murs encore vêtus de leur papier peint blanc à motif abstrait qui évoquait vaguement des fleurs de lys ou des flèches, et un peu de la moquette de couleur indéfinissable qui recouvrait le sol.

    Bien entendu, il n'y avait pas un chat là-dedans, et il y régnait un calme et un silence absolu. Une sorte de ruine en pleine ville moderne. Cela la troublait. Quelque part, cela lui semblait contraire à la nature des choses, et c'est peut-être pour cela qu'elle se sentait tellement attirée par cet intérieur. Elle réalisa même que, à présent qu'elle était si proche de la façade de la bâtisse, la rumeur de la ville s'était muée en un quasi silence, elle aussi, comme si le lieu était un sanctuaire que l'agitation urbaine ne pouvait atteindre.

    Elle commença à se demander ce qu'elle pourrait ressentir si elle entrait dans le ventre de ce vieil immeuble, à tel point que cela l'obséda rapidement. Cependant elle ne pouvait pas s'y résoudre. Entrer comme ça dans une habitation, comme une voleuse, non, ça n'était pas son genre, et elle se sentirait beaucoup trop mal à l'aise...

    Elle se remit alors à promener son regard le long de la façade fissurée, encore relativement insouciante, lorsqu'un impressionnant éclair zébra le ciel pourtant encore bleu, juste au-dessus d'elle. Tout d'abord elle ne comprit pas vraiment ce qui s'était passé lorsque la façade s'était brusquement illuminée. Ce n'est que le claquement violent et persistant du tonnerre qui l'aida à comprendre. S'ensuivit le plus effrayant roulement de tonnerre qu'elle entendit jamais. C'était un grondement tellement menaçant, sec, et qui semblait si proche, si palpable, qu'elle se demanda si il se pouvait réellement que ce ne fut que le tonnerre. Elle leva les yeux vers le ciel, le contemplant, presque implorante, et constata qu'il était en grande partie bleu, à part quelques nuages grisâtres qui en envahissaient une part. Cependant la clarté précédente venait de laisser place à une grisaille sombre qui recouvrit toute la ville. Et alors qu'elle gardait le regard tourné vers l'étendue céleste toute puissante, le roulement de tonnerre s'éteignant dans le lointain, elle reçut sur la figure les premières gouttes fines d'une bruine qui se muèrent très rapidement en grosses gouttes lourdes qui se firent piquantes sur sa face.

    Elle réalisa alors que ce qui coulait sur elle était une fine grêle qui allait en grossissant. Elle baissa la tête pour ne plus ressentir ce picotement qui devenait douloureux, et frissonna en se demandant comment cela allait tourner.

    La réponse ne se fit pas attendre avec des grêlons de plus en plus gros et virulents. Et devant elle, l'ouverture rectangulaire qui semblait l'inviter. Elle y serait à l'abri. C'était vrai. Et la taille des fragments de ciel qui lui tombaient sur la tête continuait de s'amplifier. Plus d'hésitation. Sans même regarder autour d'elle, elle s'appuya sur le bord bas de la fenêtre, l'enjamba en faisant attention de ne pas l'accrocher avec sa jupe, et se retrouva à l'intérieur, dans un bain d'obscurité qui remplaçait avantageusement la douche de glaçons qu'elle venait de se prendre.

    Epoussetant ses épaules des petits grêlons qui s'y accrochaient encore, elle se rendit compte qu'il faisait vraiment sombre ici, à tel point qu'elle voyait à peine sa main tendue devant elle. Cependant elle pouvait tout de même voir distinctement les contours des ouvertures, l'encadrement des portes qui menaient vers d'autres pièces. Lorsque son regard se serait habitué à l'obscurité, elle pourrait s'aventurer un peu plus avant. Juste le temps que l'orage se calme...

    Tendant l'oreille, elle constata à nouveau que, de manière étrange, un silence total occupait ces lieux. Même l'orage ne se faisait plus entendre... Perplexe, elle se retourna.

    Au-dehors, plus de grêle. Juste une fine pluie qui s'affaiblissait à chaque seconde, jusqu'à soudain s'arrêter sous ses yeux... La rue était à peine humide, juste parsemée de fins grêlons en train de fondre sur le bitume. Cela la déconcerta. C'était comme si on l'avait poussée à entrer ici, dans ce domaine du silence et de l'obscurité, sanctuaire de la tranquillité au sein de la jungle urbaine.

    Elle haussa les épaules. De toute façon, dans la diversion créée par l'orage soudain, personne n'avait du la voir entrer. Autant visiter tout de même. Et puis son regard parvenait déjà à mieux distinguer les détails de cet intérieur. Elle pouvait même voir la trace laissée par la longue occupation des meubles, qui avaient conservé la vivacité des couleurs du papier peint dans des rectangles de mur, ou marqué l'empreinte de leurs pieds au sol par de petites dépressions dans la moquette. Elle chercha autour d'elle les signes d'une occupation humaine, au sein de cette pièce qui avait peut-être été une salle à manger, mais les meubles avaient, semble-t-il, eut une existence plus marquante... Sans doute, après des années, des décennies, les meubles entretenaient-ils une relation avec les lieux qui les abritaient... Elle se prit à imaginer une sorte de dialogue inaudible pour l'homme, entre des armoires, des parois murales, des moulages de plâtre... Et si toutes ces choses avaient une vie propre ? Et si elles se liaient entre elles, si elles avaient des relations amicales insoupçonnées ? Et si elles s'imprégnaient de toute la charge affective qui émanaient des humains, et la réutilisaient à leur compte ?

    Elle commença à libérer ses pas, à l'intérieur de la pièce, pour aller voir de plus près à quoi ressemblait la pièce adjacente. Une chambre à coucher ?

    Au vu de la décoration des lieux, ou de ce qu'il en restait, il semblait que cet appartement avait été habité par quelqu'un d'un autre âge. Elle se représenta, sans savoir pourquoi, une vieille dame aux cheveux blancs dont le brushing impeccable témoignait que l'âge ne l'avait pas encore ruinée complètement. Elle continuait de prendre soin d'elle. Elle la voyait, distinctement, assise ici sur un fauteuil comme on n'en voit plus que chez les antiquaires, en train de lire un livre d'un auteur disparu qu'elle avait sûrement apprécié depuis longtemps. Peut-être Colette, Céline, Victor Hugo, Emile Zola, Georges Sand, comment savoir ?

    En s'approchant ?

    Elle s'approcha de l'endroit où elle visualisait cette vieille dame vêtue d'une robe élégante, mais aux couleurs passées. Cette pièce était un peu plus claire, et lui permit de mieux distinguer les détails. Sur la couverture jaunie, presque brune, illustrée d'un lapin que l'on devinait avoir été blanc, portant un chapeau et des lunettes, était écrit en lettres majuscules enjolivées de courbes comme on n'en faisait plus : "ALICE IN WONDERLAND".

    Et tout en bas : "IN.WORDS.OF.ONE.SYLLABLE".

    Intriguée, elle mit un certain temps à remarquer qu'au premier plan se tenait une petite fille châtain, un noeud noir dans les cheveux, vêtue d'une robe d'un bleu délavé par le temps. Et sur l'arrière de couverture, la même petite fille était dessinée dans une robe blanche, dont le bras s'accrochait à celui d'une dame à grosse tête, accoutrée telle une reine.

    Elle observa un moment la vieille femme qui tenait ce livre ouvert entre ses mains ouvertes. Pourquoi lisait-elle un livre pour enfant, à son âge ? Et en anglais, qui plus est ? Peut-être était-elle d'origine étrangère ? Ou bien avait-elle anciennement été professeur d'anglais...

    Puis soudain, elle réalisa l'absurdité de ces questions... C'était elle qui avait inventé cette vieille dame ! Il lui suffisait de décider de le vouloir, et elle allait disparaître.

    Voilà. Comme cela.

    Mais pourquoi le livre ne disparaissait pas, lui ? La dame en robe avait laissé place au vide, ainsi que son fauteuil imaginaire, mais le vieil illustré d'Alice au pays des merveilles restait suspendu dans les airs, comme pour la narguer.

    Allons ! Il suffisait d'un petit effort de concentration, et elle le ferait disparaître aussi !

    Elle concentra alors toute son attention sur le bouquin, encore ouvert, couverture présentée à elle, comme si des mains invisibles le tenaient en l'air. Bientôt, il allait disparaître. Oui.

    Voilà, n'était-il pas en train de se dématérialiser ?

    Non.

    Il était plus présent que jamais. Elle pouvait presque sentir son odeur, et ses couleurs frappaient ses yeux, malgré la relative pénombre de la pièce. Elle avait d'ailleurs l'impression que la robe bleue de la fille était maintenant moins délavée, que le papier était moins jauni. Plus elle se concentrait, et plus le livre, qui avait des dimensions à peine supérieures à un livre de poche, prenait des couleurs, et perdait son aspect usé par le temps.

    C'est devant son regard de plus en plus médusé qu'il affichait à présent de vives couleurs imprimées sur une couverture parfaitement blanche.

    Elle sursauta lorsque, brusquement, le livre tomba au sol en se refermant, dans un bruit un peu mou.

    A présent, il gisait, là, à moins d'un mètre devant ses pieds, continuant à la narguer, alors qu'elle se trouvait complètement estomaquée. Se pouvait-il que ce livre soit réel ?

    Elle resta un moment, comme paralysée, à le contempler, gisant sur le sol, immobile. Peut-être s'était-il simplement trouvé là depuis le début sans qu'elle le remarque, et elle l'avait intégré à sa rêverie ?

    Elle décida tout de même de se pencher, pour voir. Il avait l'air bien réel, en tout cas... Elle tendit la main, curieuse, et comme un chat craintif voulant examiner quelque chose du bout de sa patte, elle caressa la couverture de l'index. C'était du papier cartonné, tout ce qu'il y a de plus normal, un peu renforcé, mais pas plastifié, plutôt doux au toucher, bien que légèrement rugueux.

    Elle retourna d'abord le livre à même le sol, regardant un instant l'illustration de l'arrière de la couverture, montrant Alice au bras de ce qu'il lui semblait être la reine de coeur, si ses souvenirs étaient bons. Puis elle saisit le livre, et se redressa, pour le regarder de plus près. Il avait l'air tout à fait neuf. Sa couverture lisse et bien blanche exhibait une illustration bien nette, aux couleurs franches et éclatantes et aux contours nets, comme si elle sortait juste de l'imprimerie. Cela semblait être, pourtant, une très vieille édition du livre de Lewis Carroll, en anglais.

    Elle l'ouvrit pour s'en assurer. Seulement, c'est avec quelque stupéfaction qu'elle constata que chacune des pages était entièrement vierge.

    Longuement, elle les tourna, les feuilleta de ses doigts nerveux, mais il n'y en avait pas une qui n'était pas de la blancheur impeccable que vantent les moins originales et imaginatives des marques de lessive... C'est dubitative qu'elle le referma en un claquement sec, se demandant quoi faire, à présent...

14 - la Brèche

    Elle était toujours entourée de la maison, dans cette pièce dans laquelle elle venait de découvrir le livre. Elle avait peine à croire en sa réalité, et pourtant il était toujours bien là, entre ses mains.

    Elle ne savait pourquoi, mais elle avait quelque peu l'impression de suffoquer, à présent. Cette maison lui avait pourtant semblé accueillante, de prime abord. Mais elle s'y sentait soudain à l'étroit. Peut-être une allergie à un champignon qui poussait par là, à cause de l'humidité, et qui gênait sa respiration ?

    Elle songea que de toute façon, il valait mieux qu'elle parte. Elle n'avait plus rien à faire ici. Aussi, serrant le livre contre sa poitrine, elle revint dans la première pièce et se tourna vers la fenêtre par laquelle elle était entrée. A l'extérieur, il faisait toujours gris, bien que le ciel semblât s'être éclairci. Elle fit un pas en direction de la fenêtre, mais un craquement l'arrêta.

    Elle se figea sur place, comme si la maison allait soudain s'effondrer ou se replier sur elle. Elle ne savait pas pourquoi elle avait cette terrible impression qui la glaçait, c'était absurde. C'était sans doute juste le plancher qui avait craqué sous son pied. Pourtant, un grincement s'ensuivit et, tournant lentement la tête dans sa direction, aperçut une porte à laquelle elle n'avait pas fait attention jusqu'ici, qui était en train de pivoter toute seule sur ses gonds. Sans doute le bâtiment s'était-il déséquilibré et déformé, depuis l'affaissement de la rue, et les portes ne tenaient plus très bien.

    Elle regarda par là. De l'autre côté de l'ouverture, il faisait particulièrement sombre, et elle distingua un plafond en pente, qui indiquait qu'il s'agissait là d'un escalier descendant vers la cave, ou quelque chose de ce genre. Intriguée et curieuse, elle s'approcha de cet escalier et observa vers le bas, oubliant momentanément sa décision de s'en aller.

    Une ampoule nue et éteinte pendait à mi-chemin du plafond, au-dessus de l'escalier qui semblait fait de béton. Dans cet espèce de couloir descendant, tout était gris et découvert, sans décoration, presque sinistre. Elle avait alors du mal à s'expliquer pourquoi elle se sentait attirée par cette pente qui s'enfonçait sous le sol.

    Jetant un regard de gauche et de droite, puis se penchant vers l'escalier, serrant le livre contre sa poitrine comme elle aurait serré un nounours pour se rassurer, elle estima qu'il ne semblait y avoir aucun risque ni danger. Elle posa alors un pied timide sur la première marche, puis s'immobilisa comme une chatte à l'affût, comme dans l'attente d'une catastrophe quelconque. Au contraire, maintenant qu'elle s'était aventurée dans cette voie, elle avait oublié la sensation de suffocation qu'elle avait ressenti dans la pièce. Elle descendit donc une marche de plus, puis encore une autre. Jusqu'à se retrouver au milieu du couloir, sous l'ampoule blanche et opaque à laquelle elle jeta le regard dubitatif qu'elle aurait lancé à une caméra de surveillance, se demandant vaguement si un oeil ne se cachait pas derrière, la dévisageant. Mais elle poursuivit sa descente, parvenant finalement jusqu'à une porte de bois simple qui barrait le passage. Elle n'hésita pas longtemps avant de tourner la poignée, espérant au fond d'elle-même que la serrure n'était pas fermée.

    La porte s'ouvrit sans histoire, dans un mouvement souple et parfaitement silencieux, donnant directement sur le sol d'une cave sombre. Elle chercha un interrupteur en se penchant dans la pièce. Il y en avait bien un, à côté de la porte, mais le courant était sans doute coupé par sécurité, dans le coin. Elle tenta tout de même sa chance.

    Une autre ampoule nue, pendant au bout d'un fil électrique vert, s'illumina au milieu du plafond carré de la cave. Elle se mit à l'examiner.

    Elle était quasiment vide. On y trouvait seulement un vieux vélo poussiéreux qui n'avait plus qu'une roue, une sorte de petite brouette et un empilement de cartons dans un coin. Elle poussa toutefois la porte pour mieux voir, et fit un pas à l'intérieur. C'est alors qu'elle vit la large fissure qui s'ouvrait du côté que la porte lui avait jusqu'à présent dissimulé, et se mit à la contempler avec incrédulité. Etait-ce le prolongement de la fissure qu'elle avait vu sur la façade du bâtiment ? Mais elle était beaucoup plus large... Pouvait-ce être alors une communication avec une galerie de mines ? Les galeries ne se situaient-elles pas beaucoup plus en profondeur que cela ?

    Sa faible connaissance minière ne lui donnait aucune idée de la réponse, aussi supposa-t-elle que c'était possible lorsque, s'approchant de la fissure, elle constata que celle-ci donnait sur une espèce de large galerie aux parois sombres et légèrement brillantes, comme si elles étaient faites de quartz ou de charbon.

    Elle resta longuement debout, sur le rebord surplombant cette galerie - dont le sol se situait légèrement en contrebas de celui de la cave - commençant à se demander si l'idée qui germait dans son esprit, et qui consistait à s'y aventurer, était vraiment bien raisonnable...

15 - La chute

    C'est avec appréhension qu'elle s'abaissa suffisamment pour pouvoir poser l'un de ses pieds bottés sur le sol de la galerie, tout en maintenant le livre aux pages blanches précieusement serré contre sa poitrine.

    Il aurait du faire sombre, ici, mais bizarrement, l'ampoule nue de la cave fournissait suffisamment de lumière pour voir assez loin dans la galerie. Celle-ci s'enfonçait sous le sol de la ville en suivant une légère pente descendante. Ses parois, bien que sombres, dégageaient une brillance surprenante.

    Malice eut bien quelques hésitations, mais à présent qu'elle y était, elle ne se voyait pas faire machine arrière. Enrayant les pensées qui lui faisaient imaginer le pire, comme de se retrouver coincée suite à un éboulement, elle suivit la descente, tout en s'appuyant parfois d'une main sur la paroi. Après tout, si cet endroit avait été si dangereux, il aurait été balisé, muré, des rubans ou des barrières auraient été placées devant la façade de l'immeuble...

    Alors ses bottes résonnaient dans le souterrain, et elle avait déjà fait au moins dix mètres dans celui-ci que la luminosité ne semblait pas avoir diminué pour autant.

    S'interrogeant à ce sujet, mais sans s'inquiéter plus que cela, elle continua donc à la même vitesse, parvenant enfin au bout d'une cinquantaine de mètres à un premier coude. A peine marqué, celui-ci s'orientait légèrement sur la droite, tout en adoucissant la pente déjà faible, si bien que Malice estima que cette portion de galerie était totalement plate.

    Le sol en revanche, était toujours aussi rugueux et irrégulier, de même que les murs toujours aussi sombres et curieusement luisants.

    Puis d'autres succédèrent au premier. Certains plus marqués que d'autres. Certains partant sur un côté, d'autres repartant en descente, d'autres encore qui remontaient. Si bien qu'elle en perdit le sens de l'orientation, oubliant de s'étonner que coude après coude, la lumière ne déclinât point.

    Le boyau gardait toujours les mêmes dimensions, et il n'arborait guère de signes d'emploi d'outils pour avoir été creusé. Malice se fit enfin la réflexion que ses parois semblaient si lisses et vierges que ce souterrain avait tout l'air d'être naturel, malgré la bizarrerie de la chose. Ce n'était pourtant pas tellement vraisemblable. Dans cette ville, l'on trouvait des galeries de mine de charbon de construction humaine un peu partout, et même la rivière avait été enfouie artificiellement, par endroits, mais il n'y avait certainement pas de galerie naturelle.

    Et pourtant elle arpentait celle-ci, qui n'était étayée par aucune construction de bois, et qui ne portait nulle part la trace des outils habituellement utilisés pour forer. Les murs eux-même n'avaient jamais été entamés par les marteaux et pics des ouvriers, et elle se demandait enfin s'il s'agissait vraiment de charbon. Après tout, elle n'en avait jamais vu, mais quoiqu'il en soit, elle pensait savoir que le charbon n'est pas luisant, à moins d'être incandescent, ce qui est tout de même différent. Et dans ce cas là, il régnerait ici une chaleur suffocante, à la place de cette douce tiédeur réconfortante.

    Elle en était là de ses suppositions, lorsqu'insouciante elle mit un premier pied dans le vide.

    Ce n'est que trop tard, qu'elle perçut cette sensation de s'enfoncer à travers le rien, et son deuxième pied suivit en glissant. Elle voulut se rattraper, mais à quoi ? Il n'y avait qu'une paroi lisse et parfaitement verticale qui à présent défilait tout autour d'elle à la vitesse grand V !

    Comment n'avait-elle pas pu voir ce trou ? Mais il était trop tard pour regretter, et juste assez pour voir sa vie défiler devant ses yeux. Ce qui devait, parait-il, se passer lorsque survient notre dernier instant.

    Pourtant rien de tel n'arriva. Elle sentait l'air frotter son corps de plus en plus vite et de plus en plus fort, à mesure que sa chute s'accélérait, et tout ce qu'elle parvenait à penser, c'était "à quelle distance se trouve le fond contre lequel je vais m'écraser comme une merde ?".

    Oui, c'est dans ces moments là que le naturel revient au galop, on dirait. Qui croirait vraiment que c'est au moment de mourir qu'on est le plus digne des grandes qualités humaines ? A part quelque réalisateur de film bien rouillé, bien entendu.

    Dans les vieux films, tout le monde crève paisiblement, dans un râle poli, après avoir souhaité bonne continuation à tout le monde, sans oublier de dire à quel point on les aimait tous et de saluer le réalisateur, les assistants de la photographie et du son, sans lesquels une telle performance n'aurait été possible. Sans oublier non plus sa mère, à qui l'on doit cette éducation d'une telle perfection que même à l'approche de la mort, on met un mouchoir (propre) devant sa bouche, avant de tousser. On peut aussi féliciter les artisans du maquillage, grâce auxquels le fin filet de sang qui s'écoule éventuellement d'une narine ne parait pas trop gore, sans parler du teint du mourant, qui doit être pâle, mais sans paraître trop bleuâtre ou hépatique. L'on citera aussi toute la grande famille des gens du spectacle, qui auront eu la gentillesse d'attribuer un oscar, un césar, une palme, bref une babiole en métal (précieux si possible, au moins pour la surface) pour la prestation inénarrable de celui est mort en nous saluant.

    Non, Malice, en cet instant, ne parvenait à exprimer rien de tout cela. Certes il y avait une toute petite différence. Elle était jeune et en pleine santé, et non pas mourante d'une longue maladie. Mais le fait est que cela lui donnait seulement envie de hurler, de chialer, voire pire. Rien qui inspire une grande dignité, quoi.

    Par dessus le marché, pas de caméras pour être témoin d'une fin aussi stupide, pas de réalisateur pour mettre en valeur l'expression désespérée de son visage. Personne pour consigner cette mort dans aucun registre. Au moins venait-elle de percer un mystère... Voilà donc comment certaines personnes disparaissent sans qu'il subsiste la moindre preuve de leur mort ! On penserait certainement qu'après avoir foutu son boulot en l'air, elle avait voulu disparaître de cette ville, de ce pays, de ce continent. Voire de cette planète.

    En tout cas, elle avait tout loisir de penser à cela, car cette chute était décidément interminable, et elle sentait le vent déformer son visage, écraser ses vêtements qui n'avaient certes pas été conçus pour la chute libre. Une chose qui la surprenait était que quelque soit sa position, sa chute était toujours verticale, sans qu'elle aille se fracasser contre la paroi qui continuait d'accompagner sa chute, qui à présent devenait si longue et monotone que sa terreur avait eu le temps de s'atténuer.

    Et s'il n'y avait pas de fond ? Elle se rappela que certains énergumènes pensaient que la terre était creuse. Il lui semblait même, en dépit du fait que cette théorie était totalement anti-scientifique, pour ce qu'elle en savait, que les mêmes racontaient que d'ailleurs, le centre de la terre était habitée par les extra-terrestres.

    C'était vraiment étonnant. Comment des intra-terrestres peuvent-ils être aussi des extra-terrestres ? Cela la rendit plus que perplexe, une nouvelle fois.

    Soyons logique, une race qui habite le centre de la Terre ne peut pas décemment être qualifiée d'extra-terrestre ! Sinon comment doit-on appeler les habitants de la surface ? Des supraterrestres ? Des ultra-terrestres ? Des infra-terrestres ? Des surfaterrestres ? Dommage qu'elle n'ait pas l'occasion de se documenter sur l'instant sur ce sujet passionnant et paradoxal, cela aurait donné un sel particulier à sa mort prochaine, qui décidément tardait à arriver.

    Elle eut encore le temps de penser en profondeur à de nombreux sujets, et elle aurait même pu en profiter pour envisager de faire la liste de ses prochaines courses et de ses prochains repas, si tout cela avait eu un intérêt, dans la situation présente. Heureusement, quelque chose arriva enfin pour la sauver de cette vaine activité mentale qui demeurait jusqu'alors sa seule opportunité apparente.

    Il fallut qu'elle tourne son regard vers le bas, pour réaliser que quelque chose apparaissait au fond du trou. La mort. Enfin.

    Sa robe s'ouvrit soudain en éventail sous elle, comme en préparation quelque peu dramatique et ridicule à la fois, à la chute terminale de cette histoire...

16 - Ubiquité

    Sa robe s'ouvrit si bien qu'elle lui cacha la vue, se plaquant à son visage. D'un côté, cela la frustra, d'un autre, peut-être valait-il mieux ne pas voir comment cela allait se terminer...

    Tout ce qu'elle vit, c'était une lumière à travers l'étoffe de sa robe. Lumière qui contrastait avec la relative pénombre de la galerie à travers laquelle elle chutait.

    Puis contre toute attente, son interminable chute se ralentit, alors même que sa robe se déployait élégamment sous elle. On aurait dit un parachute.

    Elle ralentit si bien que cela lui provoqua la sensation que son estomac s'enfonçait en descendant dans ses entrailles, comme dans un ascenseur qui freinerait trop brusquement. Mais cela ne dura pas, et ses pieds entrèrent délicatement en contact avec le sol, en même temps que sa robe retombait avec classe autour de son corps...

    Elle n'en croyait pas ses yeux, et pourtant il lui fallut bien les ouvrir tout grands, pour pouvoir se situer dans ce nouvel endroit, placé vraisemblablement en plein coeur de la Terre elle-même.

    On n'aurait pourtant pas dit. Cet endroit était un lieu vallonné, sur lequel veillait un ciel d'un bleu tout à fait banal, barré de quelques nuages blancs aux formes allongées. Le genre de coin de campagne qu'on aurait trouvé parfaitement normal, à la surface.

    Un sol d'herbe bien verte et grasse, des arbres resplendissants, pins, hêtres et chênes fiers. Une rivière coulant au milieu des collines, paisiblement, d'un bleu gris généreux. Tout ce décor vierge de constructions humaines, qui résonnait de chants d'oiseaux et de cris de grenouilles. Au loin, on entendait d'autres cris, plus indistincts.

    A vrai dire, vierge de constructions humaines, c'est en tout cas ce qui lui avait semblé à première vue. A présent qu'elle était quelque peu revenue de sa surprise d'être dans ce lieu, un lieu aussi banal et particulier à la fois, et saine et sauve, qui plus était, elle n'en était plus aussi sûre.

    Le flanc de colline sur lequel elle se trouvait était enflé d'une forme peu naturelle, bien que recouverte de végétation, à quelques pas de là où elle avait atterri. Elle marcha alors par là, essayant de surmonter sa stupéfaction pour retrouver un peu de sa jugeote.

    La forme en question formait une bosse semblable à une tuile arrondie, par-dessous laquelle semblait se trouver une ouverture. Elle la contourna donc, de manière à se retrouver face à cette ouverture, qui consistait en une porte de bois ronde, donnant directement dans la colline elle-même, à ce qu'il semblait...

    Incrédule, elle détailla un instant cette porte, qui comportait une ouverture, comme une petite lucarne ornée de quelques barreaux. Le reste ressemblait à un minutieux travail de menuisier ou d'ébéniste, pour donner un aspect travaillé au bois. Une très belle porte, en parfait état, seule, au milieu de nulle part.

    Une fois de plus, elle devait rêver. Mais elle n'osait même plus croire à cette opportunité. La dernière fois, ça avait été dans l'atelier, sous le musée, et elle avait bien du admettre que quelque chose s'était passé, même si ce n'était probablement rien d'autre qu'une hallucination particulièrement réaliste. Tout comme celle-ci.

    Mais ces considérations ne lui donneraient pas la réponse, et elle ne savait plus très bien comment elle était parvenue à s'en extirper. Pour l'instant, autant essayer d'en savoir plus. Elle s'avança donc vers la porte, et saisit d'une main prudente la poignée de cuivre arrondie. Elle tourna sans discuter, et la porte pivota de même, sur une entrée au sol de terre, quelque peu sombre. Elle se rendit compte en s'y engageant qu'il lui fallait se baisser quelque peu pour passer...

    Ce genre d'endroit lui rappelait quelque chose, mais quoi ?

    En tout cas, elle avança bien une dizaine de mètres dans cet étroit couloir - décidément, cela devenait une habitude - avant de rencontrer une nouvelle porte. Elle en chercha la poignée, dans une pénombre devenue plus que profonde, la trouva sans mal, et la tourne après une courte hésitation.

    C'est alors qu'elle fut prise de stupeur. L'endroit qui se trouvait derrière elle le connaissait...

    Avec ses plateaux de bois encombrés de toutes sortes de vieilles choses, disposés en rangées parallèles, ses lampes de plafond dont la lumière était étouffée par la hauteur des amas de vieilleries, bricoles et fanfreluches, son odeur de bois, de sciure et de tissu légèrement humide, ou encore ce parquet, ces murs et ce plafond de bois...

    A n'en pas douter, cet endroit, c'était... L'atelier du musée ! Comment pouvait-il se trouver ici ? Elle regarda derrière elle, et à l'autre bout du couloir pointait toujours le ciel bleu et les collines verdoyantes. Elle n'avait pas été transportée d'un seul coup, elle était bien là, et pourtant l'atelier s'y trouvait aussi...

    Et à l'intérieur de celui-ci résonnait le son régulier de coups de marteaux. Des coups adoucis par une surface tendre, aurait-on dit, et qui évoquaient étrangement des battements de coeur. Un bruit qui l'attirait irrémédiablement...

    Elle s'aventura donc dans la pièce, ses bottes venant fouler le parquet de la salle, alors qu'elle pouvait enfin se redresser sans crainte de se bosseler le crâne. Elle respira profondément, puis choisit une allée, entre les établis, pour se rapprocher du son rythmique du marteau.

    Tout au fond, il était là. Le type de l'atelier, affairé à retaper quelque chose, ne semblant pas le moins du monde se soucier que quelque chose de bizarre soit en cours.

    Il se retourna vers elle, sans cesser de s'affairer, lui adressant un sourire de bienvenue.

    "Pas trop éprouvée ? Demanda-t-il.

    Elle fit la moue.

    - Il n'y a rien qui vous étonne, vous.

    - Oh non, tu as raison. Pourquoi s'étonner que le monde ne soit pas toujours comme on croit qu'il est ? On appelle ça le lâcher-prise, maintenant, non ? Lâcher-prise sur la réalité...

    - Qu'est-ce qu'on fait ici, alors ?

    - La même chose qu'ailleurs. Mais ça n'a pas exactement le même sens...

    - Comment ça ? demanda-t-elle en s'approchant, essayant de voir ce qu'il faisait.

    Il se retourna avec le même sourire, ses mains s'activant toujours. Puis donna un dernier coup de ciseau à bois.

    - Tiens. Tu vois ça ? C'est pour toi.

    - Ça ?

    Elle contempla la sculpture en bois qu'il venait de lui faire. Ce n'était ni plus ni moins qu'un petit pantin de bois, aux membres articulés, qui paraissait grossièrement taillé, mais aux formes pourtant harmonieuses. Elle tendit la main pour le prendre.

    - Attend, il faut que je te le termine, fit-il. L'objet doit être finalisé et consacré.

    - Consacré ? lâcha-t-elle, toujours plus perplexe.

    - Une seconde.

    Il se dirigea vers un autre établi, et commença à opérer avec des plumes, de la laine, des teintures et différents outils. Se contentant d'observer ce qu'il faisait tout en regardant autour d'elle, elle n'osa pas l'interrompre par de nouvelles questions. Surtout pour le peu de réponses qu'elle obtenait.

    C'est donc avec une mine fermée qu'elle remarqua ce qu'elle n'avait pas vu jusqu'alors. Les murs de l'atelier étaient marqués, à intervalles plus ou moins réguliers, de symboles cabalistiques tracés à la craie, aurait-on dit. Des décorations ? Des protections de nature occulte ? De la sorcellerie ? Cela ne valait même pas la peine de poser la question. Et puis si.

    - C'est quoi ces signes ?

    - On ne va pas au combat sans armes, répondit-il d'une voix distraite, sans même se retourner.

    Une protection, conclut-elle pour elle-même, dans sa tête.

    - Parfaitement, confirma-t-il. Au fait, tu peux m'appeler Celui qui Montre la Voie, mais c'est un peu pompeux, non ?

    - Vous avez... entendu ce que j'ai pensé ?

    Il haussa les épaules.

    - Tu préfères peut-être un prénom, c'est plus commode. Disons... Je ne sais pas, Georges ? Non, tu n'aimes pas... Va pour Attila, alors.

    - Attila ? Et elle partit dans un éclat de rire.

    - Oui, cela t'amuse, c'est donc parfait. Tiens, j'ai fini.

    Et il vint vers elle, avec le pantin terminé, le lui tendit. Il avait à présent une longue chevelure de laine noire, des sortes de tatouages à certains endroits du corps et des bouts de plumes en guise de cape.

    - Pourquoi des plumes ?

    - C'est un homme-oiseau. Il te montrera le chemin de l'envol.

    Elle soupira, renonçant à comprendre.

    - Tu sais, poursuivit-il en déposant l'objet dans sa paume, ta colère est légitime, mais elle ne te sert à rien tant que tu l'utilises comme cela. Jusqu'à présent, elle t'a servi à te protéger des vilenies humaines, mais il faudra apprendre à l'utiliser pour t'élever à présent. Tu n'est pas juste une jeune fille capricieuse, Malice, tu es bien plus que ça. Tu es la fille du Ciel et de la Terre, et si tu as le droit d'être en colère, si tu as le droit d'avoir les faiblesses de ta nature humaine, tu as aussi le devoir d'être responsable envers les choses qui t'entourent.

    Tandis qu'il disait cela, il avait plongé son regard dans le sien avec intensité, tout en maintenant sa paume pressée contre la sienne. Et alors que le pantin homme-oiseau était pris entre les deux, elle se mit à sentir comme un courant, une vibration, qui se transmettait de lui à elle. Devinant que quelque chose d'important et solennel se passait là, elle n'osa encore rien dire.

    Elle attendit, après un long silence, qu'il retirât sa main, pour oser s'exprimer, d'une voix plus basse et calme que d'habitude.

    - Est-ce que je dois... prendre soin de l'homme oiseau ?

    - Vous êtes liés. Il prendra soin de toi autant que tu prendras soin de lui. Je l'ai consacré. Il te protégera des attaques.

    - Attaques ?

    - Je t'apprendrai... Répondit-il en écartant cette question d'un revers de la main. Et je t'apprendrai aussi à poser les bonnes questions... Il poussa un léger rire, qui résonna comme une toux, dans l'espace confiné de l'atelier encombré. Maintenant, tu dois remonter.

    - Remonter ? Remonter par ce passage... Mais c'est impossible !

    - Tu sous-estimes tes pouvoirs, ici. Rien n'est impossible à quelqu'un qui croit. Remonte, tu seras surprises par la rapidité du retour... Et a bientôt."

    Et il se détourna sans autre forme de procès. C'est seulement après un temps d'arrêt, essayant de digérer ces dernières paroles, qu'elle rebroussa chemin pour retrouver l'embouchure du tunnel par lequel elle était tombée.

    Elle le retrouva, là où elle l'avait laissé, sans surprise. Il la contemplait de son oeil profond, et elle se sentit soudain pressée de remonter. Il suffisait d'y croire, avait-il dit...

    Alors elle remonta. Comme une poupée qui aurait été enlevée à la gravité par la main invisible d'une gigantesque enfant. Et son corps s'enfila dans le tunnel, le remontant à une vitesse qui défiait l'imagination. A peine le temps de compter jusqu'à 10, que déjà elle se retrouvait à la surface... Debout juste à côté du musée.

    Quelques oiseaux traînaient encore dans les arbres du parc qui le jouxtait, alors que le soleil paresseux semblait déjà vouloir se glisser sous sa couverture du soir. Etait-ce déjà le coucher du soleil ? Etait-ce toujours le même jour, au moins ?

28 février 2008

Société du Conditionnement

Conditionner

Déterminer quelqu'un, un groupe à agir de telle ou telle manière, à penser de telle ou telle façon (par l'éducation, la propagande, la publicité, etc.).

Je ne vous livre ici que la partie de la définition qui m'intéresse pour cet article. Bien sûr, j'aurais pu vous parler aussi du conditionnement des choses, des marchandises, mais cela m'aurait porté à me disperser.

Si j'ai voulu parler de ce sujet, c'est suite à un rêve que j'ai fait cette nuit. Je ne vous parlerai pas de ce rêve, qui est trop personnel, mais je voulais vous faire part de la réflexion à laquelle il m'a mené.

Tout d'abord, soyons clair, aucune société n'échappe aux conditionnements, car le conditionnement est la base de la construction et du maintien de n'importe quelle société. Cependant, dans notre société, qui est celle du jetable et de la consommation, le conditionnement a une importance toute particulière, en ce sens qu'il est le socle de tous les domaines de notre vie sociale. Ainsi, je me suis demandé rapidement ce que nous ne conditionnons pas, car il serait bien plus rapide d'en effectuer l'énumération, plutôt que celle des choses que nous conditionnons. Et je vous l'avoue tout de suite, je n'ai pas trouvé...

En vérité, je crois bien que nous conditionnons, tout, de A à Z, dans tous les domaines de notre vie, sans aucune exception.

Mon propos n'est pas de décréter que notre société est encore pire, ou meilleure, que telle ou telle autre société, mais simplement de remettre les choses à leur place, en rappelant que le mieux est souvent l'ennemi du bien, et de taper un coup de pied dans la fourmilière de notre société prétendument démocratique, vertueuse et respectueuse des droits de l'homme.

Car en effet, il s'agit bien ici d'un problème de démocratie. Car au-delà des marchandises empaquetées, enveloppées, "cellophanées", sous "blister", et maintenant de plus en plus, protégées par des codes barre, des boîtiers de sécurité, des filaments métalliques de détection, des puces électroniques de repérage, ce sont bien nos esprits qui sont menacés par cette manie sécuritaire. Aurions-nous peur de nous faire dérober nos esprits ?

Et bien souvent, la peur fait naître elle-même l'objet de son obsession, et c'est bien notre peur qui risque de nous entraîner vers le ravissement de nos esprits. Ravissement dans le sens de kidnapping, bien sûr.

Comme vous pouvez vous en rendre compte dans la définition, au cas où vous n'y auriez jamais pensé, le premier instrument de conditionnement de l'esprit, ou du mental, dans une société, c'est l'éducation.

C'est à dire, sans entrer dans des considérations par trop scientifiques, sociologiques ou psychologiques, que dès la petite enfance, nous sommes en quelque sorte conditionnés à penser et à nous comporter d'une manière prédéterminée par nos parents, et les gens de leur génération (adultes en général, instituteurs, professeurs, éducateurs, mais aussi psychologues, etc.). Aucune société n'y échappe, je le répète, mais notre civilisation donne d'emblée une part toute significative à cela, à travers l'école, les crèches, et en général, tous les lieux d'éducation.

Il convient d'avoir cela bien en tête, lorsque l'on réfléchit à la notion de démocratie, celle-ci n'allant jamais sans école ni éducation au sens large. C'est à dire que l'attitude démocratique n'étant pas innée, par opposition aux comportements animaux de domination et de soumission, nous avons besoin d'être éduqués, formés, à la démocratie, c'est à dire au respect de la parole et des idées d'autrui, fussent-elles contradictoires avec les nôtres.

Autrement dit, la tolérance à la différence est l'une des qualités nécessaires à la vie dans une démocratie. Mais il y a un hic, c'est que cette qualité comporte en elle-même les germes de dérives très graves. Ainsi, si l'on reproche souvent à autrui de ne jamais être assez respectueux des idées qui diffèrent des siennes, ou assez tolérant aux comportements qui sortent de certains sentiers battus, on oublie souvent qu'une tolérance excessive est susceptible d'être utilisée dans une démarche totalitaire.

Il serait long et fastidieux d'entrer dans le détail de ce type de mécanismes sociologiques, mais il est sans doute intéressant de s'y pencher tout de même plus près. C'est ce que je vous propose de faire dans une nouvelle série d'articles, qui permettront de préciser la place que peut tenir le chamanisme, à mon sens, dans la société moderne.

Comme il n'est décemment pas possible d'aborder un sujet aussi vaste sans risquer de le survoler en ne l'abordant qu'à travers un nombre réduit d'articles, cette série risque d'être assez longue, tant un sujet d'une telle importance mériterait un ouvrage à lui tout seul.

1) l'excès de tolérance utilisée à des fins totalitaires, réflexions sur la démocratie
2) la nécessité de l'utilisation de la tolérance à la différence à bon escient (ne pas se tromper d'ennemi) et le paradoxe du rejet du jugement
( 3) ce que c'est que l'esprit)
* 4) l'escalade de la peur
5) le chamane : un guérisseur des sociétés
* 6) parallèles entre conditionnement matériel, et conditionnement mental
* 7) les sectes dans tout ça
* 8) la société du tout jetable et la mode
9) le rôle de l'école
10) la volonté de pouvoir
* 11) démocratie et démocrature
* 12) la valeur travail, la souffrance, le martyr et les autres valeurs chrétiennes transitoires

1 - La peur

    N'avez-vous jamais songé que la peur est l'un des instruments du conditionnement. Il semblerait même qu'il soit l'instrument par excellence de celle-ci, et cela s'exerce de plusieurs manières...

    Bien entendu, dans tous les cas, les médias seront l'outil privilégié de l'exercice de la peur. Allumez un peu une télé, regardez là pendant quelques heures, ou mieux, faites cela plusieurs jours ou semaines de suite, sans oublier de repérer, à chaque fois, les signes de la peur. Vous vous rendrez bientôt compte qu'elle est partout. Vous me direz aussi qu'il n'y a pas que cela à la télé. C'est vrai. Dans votre corps il n'y a pas non plus que du sang, mais il y en a quand même beaucoup, si bien que cela conditionne votre vie, de même que la peur est l'un des ingrédients centraux de la communication médiatique.

    Le premier sujet qui vient à l'esprit dans ce domaine est bien entendu l'insécurité. Celle qui justifie de maintenir, d'organiser, et bien sûr de développer une politique en conséquence. Si l'on écoute les médias, l'insécurité n'a jamais été aussi présente qu'aujourd'hui. On a jamais eu autant de risques, citons pêle-mêle, d'être agressé dans la rue, cambriolé, violé, harcelé au travail, mais aussi d'attraper le sida, et puis en plus d'anciennes maladies mortelles refont surface, d'après ce qu'on nous dit, en même temps que de nouvelles, tout aussi terribles, apparaissent. Mais bien sûr, les risques ne s'arrêtent pas là. On risque de mourir en voiture, en train, en avion, en bus, les jeunes sont menacés par les pédophiles, et les vieux par la maltraitance dans les "mouroirs" que sont les hospices pour personnes âgées. Et n'oublions surtout pas les risques liés au terrorisme, aux étrangers, au chômage, les chiffres sur les suicides, les accidents du travail, les dépressions.

    Certes, ces choses sont réelles. Mais sont elles pour autant pires qu'auparavant ? N'avez vous jamais entendu parler des bandits de grands chemins ? Des bandes qui sévissaient déjà dans les quartiers mal famés depuis de longs siècles ? Avez-vous entendu parler des terribles épidémies de peste, de choléra, de la lèpre, et de toutes les maladies sexuellement transmissibles autrefois incurables, que l'on connut dans le passé ? Savez vous que non seulement autrefois une femme avait statistiquement beaucoup plus de chances d'être violée qu'aujourd'hui, au cours de sa vie, ou un enfant de subir l'inceste à répétition, mais qu'en plus cela laissait pratiquement tout le monde plus ou moins indifférent, tant la vie était plus dure autrefois ?

    Je ne suis pas en train de dire que nous vivons l'époque idéale, au sein d'un paradis terrestre avéré... Je suis simplement en train d'affirmer un décalage extrêmement profond entre la réalité et la perception que nous en avons. On nous effraye pour tout, et cela pourquoi ? Selon les cas pour nous maintenir dans une attitude, par exemple la peur de l'étranger, ou au contraire pour nous faire changer une attitude qu'on ne juge plus adaptée. Par exemple, nous culpabiliser au sujet de notre consommation énergétique en nous parlant de la fonte des glaces et du réchauffement est-elle vraiment une attitude fondée ou est-ce que l'on fait ça parce que l'on considère par défaut que les masses sont de toute façon trop imbéciles pour réagir à autre chose qu'à la peur ? En clair est-ce qu'on ne nous prend pas pour des cons ?

    Le pire, c'est qu'on ne nous fait peur que lorsque cela sert des intérêts gouvernementaux. Par exemple on nous effraye au sujet du réchauffement climatique, parce que cela permet d'apporter de l'eau au moulin radioactif de la politique gouvernementale, mais qu'on omet de nous dire qu'en fait il n'y aura très bientôt plus de pétrole à bon prix, et que c'est la seule vraie catastrophe que menace notre civilisation, nos modes de vie, etc. On pourra toujours vivre sur cette planète si sa température moyenne s'élève de 1 ou 2 degrés, mais on ne pourra plus vivre de la même façon sans pétrole... Mais de cela, on ne nous dit mot, préférant nous faire avaler que le nucléaire, lui, ne pollue pas, et est sans risques... Comme si le risque zéro existait. Et bizarrement on ne nous effraye pas non plus sur les risques d'une catastrophe nucléaire en europe de l'ouest... Ce qui a pourtant failli se produire pas plus tard que l'été dernier, eu Suède...

http://www.hns-info.net/article.php3?id_article=8901

Un autre lien, sur la fin de l'ère du pétrole :
http://www.oleocene.org/

    Alors certes, on nous fait parfois peur pour de bonnes raisons, mais ne trouvez vous pas exagéré de trouver sur des paquets de cigarette des mentions telles que "le tabac tue" ou le "tabac provoque le cancer". Et là, je précise que je suis un non-fumeur invétéré qui a vraiment du mal à supporter la clope des autres, mais un ton aussi direct, là où la publicité emploie d'habitude des méthodes beaucoup plus détournées pour nous influencer, ne lasse pas de m'étonner...

    Donc je résume, on nous fait peur pour nous faire adopter les comportements qui conviennent à ceux qui décident des politiques à notre place, alors que nous les avons élus pour nous rendre des services, mais on ne nous fait pas peur au sujet de choses éminemment dangereuses, parfois imminentes, qui elles, menacent directement nos modes de vie...

    Mais alors pourquoi opérer un tel choix ? Je ne vais pas vous servir l'argument de big brother, bien qu'il soit en partie vrai. Je le résume quand même...

    Big Brother veut notre bien. Big Brother sait mieux que nous ce qui est bon pour nous. Il a donc décidé de nous l'imposer. Big Brother nous rappelle de plus que la guerre fait rage dans certaines parties du monde, que le terrorisme est triomphant, et que l'ennemi menace chaque jour d'envahir nos terres et de détruire nos sacro-saintes libertés, acquises par la force de la révolution et dans le but d'établir une démocratie idéale dont la puissance économique ne sera jamais démentie. Par conséquent, pour nous défendre contre ces périls, Big Brother mène une inlassable guerre au terrorisme et au Satan d'en face... Le Big Brother de l'autre grande puissance...

    La vérité est que Big Brother, en étant omniprésent et omnipotent, nous empêche d'accéder à notre véritable pouvoir démocratique, en prétendant tout décider à notre place. Il nourrit les industries de l'armement et les spéculateurs financiers par la manne que crée une guerre en réalité éloignée, principalement concentrée en Afrique, au Moyen-Orient et certaines régions d'Asie, et dans laquelle sont principalement impliqués l'alliance Atlantique (USA + GB), l'Europe (Eurasia chez Orwell) et un autre groupe dont j'ai oublié le nom.

    A ces fins, il essaye de surveiller les citoyens appartenant à la classe moyenne, celle qui est la plus sensible, car déjà éduquée, accédant à des fonctions de gestion de l'état, mais ne profitant pas vraiment de la richesse nationale. Ces gens ont donc besoin d'être fliqués, filmés, conditionnés, et s'ils ne le sont pas assez bien, harcelés, puis torturés...

    J'ai dit que la thèse de Big Brother était en partie vraie. Vous pensez peut-être que c'est un pur délire, mais regardez bien autour de vous à qui profitent les guerres, qui les fait, qui les organise en plaçant des gouvernements fantoches, qui manipule les services secrets de autres pays pour arriver à ses fins... Réalisez qu'il y a un peu de Big Brother aussi bien chez des gens comme Hitler, Staline, que chez des Bush, ou des Sarkozy et vous verrez que la guerre centrée autour du moyen orient et orchestrée par l'occident pour servir uniquement ses propres intérêts, c'est à dire pétrole, armement et spéculation financière, est déjà en cours. C'est d'autant plus vrai que nos pays occidentaux sont en train de s'équiper en masse de caméras de surveillance dans les rues, l'Angleterre faisait office de pionnière à ce niveau, et tout cela pour notre bien, of course...

    Il faut ajouter aussi que la guerre au moyen-orient, prétendument livrée pour stabiliser la région et lutter contre le terrorisme et les gouvernements totalitaires qui l'organisent, aboutissent en réalité à l'inverse. Non seulement ni l'Irak ni l'Iran ne possèdent d'armes de destruction massive, mais en plus Saddam Hussein était un opposant à Ben Laden, tandis que le pays qui est le véritable siège actuel des talibans n'est autre que la Pakistan, lui par contre étant en effet doté de l'arme nucléaire, mais dont personne ne parle... De plus ces guerres ne font que développer le terrorisme, et c'est bien normal, puisque le terrorisme sert les intérêts des gouvernementaux en servant de prétexte à ces guerres d'accaparation du pétrole, tout en justifiant la mise en oeuvre de politiques sécuritaires afin de maintenir les peuples occidentaux dans la peur et donc dans la soumission aux décisions de nos bien aimés Big Brother.

    Pourtant, malgré ces explications, j'estime que l'argument Big Brother, aussi lumineux soit-il, d'autant qu'il fut développé dès les années 40 pour dénoncer les méthodes de formation, de gouvernement de maintient des états totalitaires, y compris en occident, par George Orwell, n'est pas suffisant pour expliquer pourquoi on nous maintient dans la peur et l'ignorance, les deux allant souvent de paire pour aboutir à soumettre des populations.

    Car il y a une chose qu'il faut prendre en compte c'est qu'aucun Big Brother ne pourra jamais exister, et je ne saurais dire si en réalité c'est un mal ou un bien... D'ailleurs dans l'ouvre dans l'oeuvre de George Orwell, on comprend bien que Big Brother n'existe peut-être même pas, et c'est une des subtilités à bien comprendre... En effet, aucun homme équivalent à Big Brother ne pourrait réellement gouverner. Hitler n'a guère gouverné qu'un peu plus que le temps d'une guerre, de même que Staline. Ce qu'il faut pour maintenir un peuple dans la soumission, ce n'est pas un homme, c'est une image... Car les peuples sont très réceptifs et très influencés par les symboles, et c'est tout le génie d'Orwell d'avoir su retranscrire cela. En quelque sorte, Big Brother est immortel, tant qu'on ne réalise pas que son pouvoir n'existe que parce que nous acceptons de nous y soumettre. Dans les états totalitaires qui perdurent, tels que la Birmanie ou la Chine, il faut empêcher les révolutions, et pour cela incarcérer ou exécuter tous les opposants au régime... C'est pourquoi ce que nous appelons faussement démocratie nous offre tout de même une chance dérisoire de vaincre la dictature de l'argent et du pouvoir d'exercer une dictature sur les pays plus faibles, tels que ceux du moyen-orient...

    Car c'est là la soupape de ce que nous appelons démocratie. Là où en réalité le pouvoir n'appartient toujours pas aux peuples, en revanche il a la possibilité de se rebeller... Le problème est que les révolutions mènent souvent, précisément, à des dictatures, tel qu'en Chine, et cela aussi Orwell l'avait prédit, lui qui était un grand observateur des états totalitaires et un grand analyste de la manière de fonctionner.

    Cependant, et c'est là la seule faille que je connaisse au raisonnement d'Orwell, aucun gouvernement n'est gouverné par une image, puisque dans les démocraties comme dans les dictatures se sont des personnalités réelles, et donc faillibles, qui dirigent. Là est leur talon d'Achille, qui explique pourquoi on ne nous parle ni de la crise pétrolière à venir, ni des vrais dangers et des vrais problèmes que pose le nucléaire à long terme, notamment sur la gestion des déchets sur des milliers d'années par des générations que nous ne rencontrerons jamais, si toutefois elles voient le jour...

    Car reconnaître que si l'on utilise le nucléaire c'est parce qu'on n'a pas d'autre solution, et qu'en réalité on ne maîtrise rien, c'est prendre le risque de dire tout haut ce que les spécialistes savent mais ne disent presque jamais, donc prendre le risque qu'on ne nous croit pas, donc de ne pas être crédible, et donc de ne pas accéder au pouvoir, ou de ne pas y rester... Mentir et fuir en avant reste donc le dernier recours de ceux qui nous gouvernent, prétendant que nous sommes des peuples éduqués et savants, mais nous maintenant dans l'ignorance de ce qui se passe réellement.

    Et l'on retrouve donc ici le thème de l'image, celle de Big Brother. Celle que Lénine déjà, et Hitler ensuite, manièrent avec brio afin de faire accomplir le pire par les peuples qui se soumettaient à eux... De même que Bush qui envoie ses soldats utiliser de l'uranium appauvri en Irak, qui contamine les populations civiles qui meurent par dizaines de milliers, et qui n'étaient peut-être pas si mal sous Saddam, si on leur donnait le choix aujourd'hui... C'est un comble que de dire cela...

    Je pourrais encore continuer longuement à vous démontrer à quel point les peuples ne sont bien souvent que des moutons asservis par la peur à des pouvoirs tous plus ou moins totalitaires, y compris dans les démocraties, tant ce terme idéal sert de couvertures à des dérives de plus en plus importantes, notamment en Russie, mais aussi aux USA, où le Patriot Act est en train de servir de caution pour empêcher les citoyens de s'exprimer librement, et ceci en dépit du second amendement de la constitution, sur le droit à une liberté d'expression totale, qui est de plus en plus piétiné depuis le 11 septembre 2001.

    Je pourrais aussi vous parler d'autres émotions susceptibles de maintenir les gens sous oppression, telles que la joie... Pascal, lorsqu'il parlait du divertissement, nous expliquait déjà cela. En quelque sorte, divertir, c'est faire diversion, sus-entendu pendant qu'il se passe des choses plus importantes que le spectacle qui maintient notre attention... Les romains l'avaient déjà bien compris, avec les arènes, et la fameuse doctrine "du pain et des jeux"... Et l'on pense immanquablement à la télé... Et la boucle serait donc bouclée par rapport à mon avertissement sur les médias en début d'article...

    Je pense donc que cette démonstration est déjà assez longue éloquente pour expliquer à quel point nous sommes en réalité peu aptes à avoir une influence sur les actes que les gouvernements que nous sommes censés élire accomplissent en notre nom... Et ce n'est que le début de cette série d'articles. Dans le prochain j'examinerai plus finement certains aspects de notre conditionnement quotidien et la manière de répondre ou non au conditionnement.

2- Le travail empêche de réfléchir ?

    Tiens, j'ai décidé de changer un peu de ton pour ce billet. Je viens de me rendre compte que je n'ai pas écrit de billet depuis 9 jours, et c'est assez inhabituel. La raison en est pourtant simple, c'est que je travaille depuis une semaine. En tant que stagiaire.

    J'avais déjà remarqué ce phénomène déprimant, pendant les 5 années que j'ai travaillé en tant qu'animateur : le travail ne me laisse pas assez de temps pour réfléchir, philosopher, observer le monde, et accessoirement me livrer à ma passion, c'est à dire écrire.

    Ces 5 années furent un néant total en terme d'écriture. 5 années durant lesquelles j'ai du produire en tout et pour tout 20 pages, alors que depuis que je ne travaille plus, c'est à dire 7 ans, mes romans et nouvelles doivent totaliser pas loin de 1500 pages.

    Dans mon précédent billet, je vous parlais de l'utilité de la peur pour conditionner des peuples entiers, soumis aux dérives médiatiques, elles-mêmes plus ou moins au service du pouvoir. Mais le travail remplit une autre fonction tout aussi primordiale: empêcher les gens de se déconditionner en leur ôtant tout leur temps libre. Je ne sais pas pour vous, mais moi, même à mi-temps, quand je rentre chez moi, je n'ai pas envie de passer mon temps à mon énergie à me prendre la tête. J'allume donc plutôt internet, la télé, ou un jeu vidéo, et c'est parti. Et pareil le week-end, qui sert principalement à absorber la fatigue de la semaine... Aujourd'hui je me suis levé excessivement tard, et je me suis dit que j'allais laisser le blog pour ce week-end. Mais en fait non. Je ne veux pas lâcher le morceau. Je crois qu'une partie de l'énergie doit tout de même partir dans la réflexion, sinon on se zombifie un peu plus chaque jour... Voir les films de Romero, où les zombies sont des gens sans cervelle déambulant dans les centres commerciaux et les villes, et essayant de contaminer les autres à la religion de la consommation et de les pousser vers la décérébration...

    Lorsque je travaille, je passe donc de penseur à citoyen moyen, et je redeviens un quasi-zombie incapable de prendre le temps de réfléchir, préférant "s'alimenter" des soirées foot américain du satellite... Manque plus que le pop-corn, et me voilà disciple du dieu dollar, citoyen esclave d'une démocratie toute faite, jouée sans moi, obèse en devenir. Obèse de la nourriture et des divertissements qu'on met à portée de ma main. Pour un peu, je finirais même par croire que la démocratie consiste à poser un bulletin dans une urne et de s'en foutre tout le reste du temps. Alors que je n'ai jamais mis aucun bulletin dans une urne, préférant l'arme des mots, me défiant de la société du divertissement et des démocraties arbitraires dans lesquelles un élu peut décider arbitrairement, sans que rien ni personne ne puisse l'en empêcher de multiplier son revenu par trois et de modifier à la baisse les régimes de retraite de ceux qui sont allés l'élire. Vous appelez ça une démocratie ? Votez, re-votez, qu'ils disaient... Rendez-vous donc coresponsables de ces purs sacrilèges contre le principe même de démocratie... Et regardez la télé, surtout TF1, vous n'y verrez que du feu...

    Car la démocratie est aussi une idée, un idéal, que l'on utilise aussi bien pour prévenir des dérives, que pour les préparer... Ainsi l'on peut aussi bien invoquer le principe de démocratie pour défendre les droits de l'homme, que pour les abolir... C'est le cas par exemple aux USA, où le simple fait qu'un homme ait été élu président (deux fois et dans des circonstances contestables à chaque fois) lui autorise d'interdire à ses citoyens (ceux qui ont voté pour lui comme les autres, majoritaires, d'ailleurs) de le critiquer, sous peine de sanctions pouvant aller jusqu'à la prison et la torture. C'est ainsi que, comme je l'ai vu hier sur Planète Société (oui le satellite ne me sert pas qu'à regarder des mecs en armure se tabasser, comme aux arènes) que le principe de démocratie devrait suffire à fournir une interdiction à tout acte de désobéissance civile, même lorsque c'est pour le bien de tous.

    L'argument est en gros que, puisque la démocratie permet à tous de s'exprimer, c'est à dire en réalité de mettre un bulletin dans une urne et de s'en foutre le reste du temps, tout acte qui ne passe pas par les canaux officiels (fauchage d'OGM, hébergement de sans-papiers), aussi humanistes puissent-ils être, et en accord avec la charte et la constitution des droits de l'homme, sont illégaux, et considérés comme d'autant plus scandaleux par quelques censeurs assis sur leurs privilèges quasi aristocratiques, et eux contraires à l'esprit de la constitution française, que cela constituerait soi-disant une prise en otage de la démocratie et de ceux qui passent par les canaux officiels.

    C'est à dire les urnes que l'on met à leur disposition, et maintenant les ordinateurs de vote, dont on dit qu'ils auraient permis de falsifier la deuxième élection d'un certain George Walker Bush. Et aussi, TF1, chaîne officielle du conditionnement d'état, c'est à dire de la propagande du système de consommation-divertissement-assujettissement des individus à une pseudo-démocratie.

    Car c'est ainsi que l'on installe une démocrature. C'est à dire une dictature sous couvert de démocratie. Un système d'état dans lequel chacun est bien rassuré sur les finalités "humanistes" du gouvernement (prêt à aller tuer des iraniens et à envoyer des français s'y faire tuer "pour le bien de tous"), occupé par des divertissements abrutissants (télévision, boites de nuit, stades-arènes...), et conditionné à accepter tout cela à l'école dès l'âge maternel, c'est à dire avant l'âge de raison supposé se situer être aux alentours de 7 ans, et être celui du début de l'esprit critique... J'y reviendrai.

    Tout cela pour dire que vous pouvez vous attendre à ce que mon blog tourne au ralenti pendant le temps de mon stage, c'est à dire un petit mois, ou le temps que je m'habitue au rythme pour me remettre dessus avec plus d'assiduité. Mais pas question de laisser tomber. Je crois, sans vouloir tomber dans l'acharnement, ni dans la paranoïa la plus aiguë, que la vraie démocratie, de nos jours, relève de l'attention de chaque instant. Pour ne pas basculer dans ce que j'appelle la démocrature, dans laquelle nous sommes quasiment, il faut rester vigilant, observer autour de soi, réfléchir, s'accrocher et ne pas se laisser emporter par le courant. Sinon, il devient parfois difficile de retrouver à nouveau une berge, tout étant fait pour nous entraîner dans une infernale spirale de consommation et d'abrutissement total.

    Sur ce, je dois vraiment vous laisser... Un important match m'attend...

3-Le contrôle social

    Mon propos n'est pas ici de définir le contrôle social, mais simplement de rappeler ce que c'est et de lier ce thème à celui du conditionnement.

    C'est donc sur ce vaste thème que s'ouvre l'année 2008 de mon blog. Il m'a fallu prendre du recul sur pas mal de choses avant de pouvoir revenir l'alimenter, et j'ai finalement décidé que le mieux était sans doute de poursuivre ma série concernant la place du conditionnement dans notre/nos société(s) moderne(s).

Pour ne pas trop m'étendre sur la définition, je vous propose d'aller simplement jeter sur celle qu'en donne wikipédia :

Http://fr.wikipedia.org/wiki/Contr%C3%B4le_social

    Quelques points me semblent particulièrement importants à souligner, dans la définition habituellement donnée du contrôle social :

- La notion de contrôle explicite (règles, loi...) et de contrôle implicite (la norme)
- L'idée d'une démocratie nécessairement imparfaite, à cause de l'endoctrinement et des biais médiatiques

    Le contrôle social est sans doute nécessaire, comme le reconnaissent la plupart des sociologues, du moins jusqu'à un certain point. Le problème intervient lorsque le niveau de contrôle social devient trop important pour que les peuples puissent encore s'exprimer et revendiquer une certaine liberté, au moins tout aussi nécessaire à l'épanouissement collectif.

    Mais quel que soit le niveau de contrôle social, il est en perpétuel conflit avec la notion, antinomique, de liberté, plus particulièrement si l'on considère la liberté comme un absolu.

    Des penseurs tels que Chomsky décrivent très bien les mécanismes du contrôle social. C'est pourquoi je vous encourage à vous renseigner sur ses discours, qui vous éclaireront bien plus que mes articles, sur cette notion précise.

    J'en reviens aux points que j'ai mis en exergue plus haut. On considère donc que toute démocratie est nécessairement imparfaite, puisqu'à l'intérieur de celle-ci s'opposent les principes de liberté et de contrôle social. On considère aussi que le contrôle implicite, c'est à dire la norme sociale, exerce généralement sur les individus une force plus contrôle que les lois elles-mêmes. Je suis tout à fait d'accord avec cette conclusion, mais avec un bémol : les deux notions peuvent se compléter pour se renforcer mutuellement. C'est ainsi que les gouvernements, qui promulguent les lois, ont intérêt à préparer le terrain de ces lois en utilisant la propagande, par le biais des appareils d'états, ou de ceux qui y sont directement ou indirectement subordonnés, c'est à dire les médias, dont on se rend de plus en plus compte qu'ils ne sont pas du tout indépendants des pouvoirs politiques et économiques.

    Ce que je disais dans un article précédent concernant Big brother illustre tout à fait ce principe que la propagande (contrôle implicite) peut rendre beaucoup plus efficace le contrôle explicite.

    Mais pourquoi le contrôle social implicite est-il si puissant ? Parce que la norme s'auto-alimente et se perpétue, comme le ferait une espèce vivante. Elle est comme une force que les peuples nourrissent, exactement comme les animaux de la ferme nourrissent ceux qui les mangeront à la faim... Pardon à la fin. (référence à la ferme des animaux, d'Orwell, oui encore lui)

    En effet la norme n'est pas quelque chose que l'on peut se borner à contester et à rejeter facilement. C'est l'une des forces principales de la société. Une fore qui n'est ni bonne ni mauvaise, mais simplement les deux à la fois, et si on lui laisse prendre trop de force, elle nous écrasera par ses mauvais aspects. On ne cesse de cracher sur l'individualisme, mais l'individualisme est pourtant l'une des forces qui maintient un équilibre avec la norme. Si la norme ne nous permettait pas d'exprimer notre individualité, où passerait notre nécessaire capacité de vigilance et de révolte ? Derrière la télé, avec la poussière ?

    La norme, je le rappelle, ce n'est pas uniquement le respect des lois, des autres, de la hiérarchie, des conventions sociales, c'est aussi le respect de petites choses débiles et sans intérêt telles que la mode. Suivre la mode, suivre la norme, c'est vouloir être accepté comme une partie du tout, au risque de nier sa personnalité, son individualité, sa particularité, jusqu'à sa capacité de révolte, voire d'existence en tant qu'individu... C'est cela, le danger qui menace les individus vivant dans une société dans laquelle la norme devient la référence unique. Et c'est pourquoi il n'y a rien qui me répugne tant que les gens qui n'ont que ces mots à la bouche : "normal", "anormal"... Faut-il rappeler qu'être "anormal" n'est pas être fou, ou dangereux, mais simplement différent de la norme ? Faut-il rappeler qu'il est absolument nécessaire qu'il existe des gens qui ont le courage de sortir de la norme, voire de s'y opposer ? Et ceci afin de créer un contre-pouvoir. Car il s'agit bien de contre-pouvoir, le mot n'est pas trop fort. Une société dans laquelle personne n'oserait sortir des sentiers battus, ou tout le monde s'écraserait devant la critique d'autrui, serait une société condamnée, car cette société serait comme un monstre déséquilibré qui finirait par s'écraser contre le premier obstacle de taille venant en face de sa fuite en avant effrénée.

    Or c'est précisément ce qui se passe aujourd'hui. Nos vies sont liées à celles d'un monstre qui marche aveuglément en avant, alors que de mortels obstacles se dressent sur son passage. Une société dans laquelle les élites écrasent les peuples de leur pouvoir qui n'est pas contré, car les contre-pouvoirs politiques, écologiques, alter-mondialistes et autres, ne sont pas assez puissants pour lutter contre une telle machine.

    Mon propos n'était donc pas, comme je l'ai bien dit, de me contenter de définir la notion de contrôle social, mais d'expliquer pourquoi, selon moi, il est grand temps de se réveiller et de lutter contre ce principe, afin d'enrayer une course folle vers l'auto-destruction de toute vie et de toute santé mentale...

    C'est pourquoi il est temps de comprendre pourquoi l'anticonformisme n'est pas à prendre a priori comme un danger contre un ordre établi qu'il ne faudrait surtout jamais remettre en question, mais comme une nécessité, même si elle dérange. Il est nécessaire qu'existent des gens "bizarres", et même des gens "inquiétants", car ces gens, que nous ne comprenons pas toujours, sont les garants de la santé mentale de la société. En quelque sorte, ils prennent sur eux une part de la folie dissimulée dans nos sociétés pour la réutiliser de manière constructive, même si nous ne comprenons, là encore, pas toujours leur finalité. Il faut des gens qui dérangent, des poils à gratter, des empêcheurs de tourner en rond, en un mot des emmerdeurs à la mesure du pouvoir qui écrase les masses.

    Je pense que je consacrerai bientôt un article à ces personnes là, ces dissidents, qui sont tellement nécessaires à l'humanité.

4- Le discours religieux et les sectes

    Dans cet article, je reviens sur la valeur du travail et l'aspect religieux dans les discours de conditionnement. Vous n'y trouverez peut-être pas exactement ce que vous croyez y lire...

    Lorsqu'on parle de conditionnement, l'une des premières choses à laquelle on pense, ce sont les sectes. A tort, à mon avis.

    En effet le conditionnement religieux ne se trouve peut-être pas vraiment là on l'attend, dans nos sociétés. En France, nous avons pris la fâcheuse habitude de considérer les sectes avec une paranoïa aiguë, depuis que de nombreux reportages télévisés ont été diffusés, dans les années 80 et 90.

    Ces reportages soulignaient, à juste titre, le danger d'endoctrinement qui existe dans beaucoup de mouvements sectaires. Ils oubliaient en revanche de dire une chose essentielle : cet endoctrinement ne diffère pas beaucoup du conditionnement social de masse, et n'est au final pas vraiment plus dangereux que celui-ci, puisque les quelques excès qu'on aura observé (et qui sont réels) ne dépassent pas franchement les abus et les erreurs qui existent dans nos postes de police et nos tribunaux (sans vouloir jeter le discrédit sur ceux-ci).

    En effet, dans la lignée de cette série de reportages alarmants, de nombreuses commissions, associations, ligues, ont été créées, pour faire face à la "menace sectaire". Toutes ces organisations se sont montrées inaptes à faire reculer cette fameuse menace, et des rapports récents mettent d'ailleurs en lumière la relativité de cette menace, qui est en réalité dérisoire, en même temps que l'inefficacité et même l'ineptie de ces organismes, qui s'avèrent finalement réaliser surtout un formidable gâchis d'argent public.

    Voici un article qui explique les conclusions d'une commission d'enquête parlementaire sur les sectes et les enfants, enregistrée fin 2006 :

Http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=33560

    Un extrait représentatif de ce que révèle l'article, pour ceux qui ne veulent pas le lire en entier :

"Du côté du ministère de la Justice, le 3 octobre 2006, Mme Sancy, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse, répondait à la commission : "Il y a trois ans, nous avons réalisé, auprès des juges des enfants, une enquête de manière à pouvoir, nous aussi, cerner un peu statistiquement ce que pouvait représenter la problématique sectaire dans le travail des magistrats et des éducateurs et nous nous sommes aperçus qu'elle était très marginale par rapport à l'ensemble des autres problèmes que notre direction est amenée à gérer pour ces mêmes mineurs, à savoir les problèmes de violence, de déscolarisation, d'insertion professionnelle, de difficultés familiales".

Du coté du ministère de l'Intérieur, Didier Leschi, chef du bureau central des cultes, déclarait : "En vue de cette audition, j'ai demandé aux préfectures de recenser, sur les trois dernières années, les incidents liés à la transfusion. Il est remonté un petit nombre d'incidents, souvent réglés par la discussion. Aucun incident mettant en cause des enfants ou un pronostic vital n'a été relevé".

Pour le ministère de la Jeunesse et des Sports, M. Etienne Madranges répondait : "Statistiquement, depuis les trois dernières années, nous n'avons pas eu de cas où nous ayons pu démontrer une mise en danger délibérée des mineurs".

La Commission avait aussi interrogé Mme Françoise le Bihan, du ministère des Affaires étrangères, qui avait répondu le 17 octobre : "Notre service est en charge de tout ce qui concerne la protection consulaire des Français à l'étranger, donc aussi des enfants. Aussi est-ce dans l'ensemble du périmètre de nos actions que j'ai recherché celles qui pouvaient intéresser votre mission. Dans ce vaste ensemble, je n'ai trouvé trace que de deux cas présentant un lien avec le comportement sectaire : le premier, qui se situe au Canada et qui a défrayé la chronique est celui de Mme Getliffe et de ses enfants, le second, pour lequel je ne souhaite pas donner de nom, concerne le père d'un enfant que sa mère a emmené en Suisse [...] Il n'y a pas eu d'autres cas que les deux que je viens de vous citer".

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    On voit donc que la fameuse menace sectaire, si inquiétante, telle qu'on nous la présentait il y a une quinzaine d'années, n'est finalement qu'un misérable feu de pailles. Il aura certes brûlé quelques personnes naïves, on ne peut le nier...

    Mais il y a plus grave. Certains organismes dits de lutte contre les sectes ont donné lieu à de graves dérives, telles que la séquestration d'innocents, des mauvais traitements ayant pu conduire à de graves blessures, voire à des traumatismes physiques et psychiques... Est-ce ce qu'on appelle traiter le mal par le mal ?

    Je ne résiste pas à vous fournir ce lien, plutôt que de grands discours, qui énonce très bien certaines dérives que j'évoquais :

Http://www.sectes-infos.net/Activistes.htm

    Ayez la curiosité de le consulter, et vous constaterez, si vous ne le savez pas encore, que ces organismes, dont certains arrivent occasionnellement à faire pire que les sectes qu'ils dénoncent, ont souvent eux-mêmes tout des sectes qu'ils dénoncent.

    Par exemple en France, ce pays de la paranoïa anti-sectaire, de l'anti-cléricalisme et de la "laïcité", terme bien peu adapté à certaines dérives idéologiques parfois extrêmes, de nombreux dirigeants, ou présidents d'organismes "anti-sectes" ne sont autres que des membres d'institutions religieuses. Est-ce là la garantie d'impartialité que l'on doit attendre de tels groupements ?

    Prenons deux exemples.

    1) Info-sectes (http://www.info-sectes.org/)

    Ce site, qui se présente comme un bienfaisant lieu de renseignement sur les méchantes sectes, s'avère en effet être géré par quelques fondamentalistes catholiques qui ont aussi créé un site sur la bible (http://www.info-bible.org/) bizarrement aussi appelé "info-bible".

    Selon cette bande d'illuminés, tout ce qui ne partage pas leurs croyances est une secte. C'est ainsi qu'ils n'hésitent pas à affirmer que le dalai-lama est copain avec un démon, ou à sous-entendre que l'islam et le judaisme sont des sectes, au même titre que la scientologie, les témoins de Jehovah ou encore ceux qui se passionnent un peu trop pour Harry Potter. Il va de soi que je leur laisse la responsabilité de leurs propos...

    2) UNADFI et ADFI (Union Nationale des Associations de Défense des Familles et de l'Individu)

Un article qui en parle mieux que moi :

Http://www.sectes-infos.net/ADFI.htm

Extraits :

"Au sein de cette structure internationale, les psychiatres occupent une place de premier plan. Ces derniers sont des spécialistes des contrôles du mental humain, (hypnose, électrochocs, injection de drogues), des techniques de manipulation des foules, du "deprogramming" qui, par des pratiques diverses et violentes, vise à rétablir la "santé mentale" des individus concernés.
Parmi ces psychiatres :
   Ted Patrick : ancien psychologue de l'armée américaine, qui a adopté les méthodes brutales de "deprogramming" pour réinsérer dans le droit chemin les membres des "sectes" (enlèvement, séquestration, violence...).
   Dr John Clark : Spécialiste du contrôle mental et ancien assistant du Dr Lindemann de la C.I.A. Il a été sanctionné par le Conseil de l'Ordre des Médecins du Massachusetts pour avoir interné de force une personne en raison de ses croyances religieuses. En 1983, il a proposé un plan visant à faire disparaître les "nouvelles religions". Clark dénonce les barrières juridiques des sociétés démocratiques et libérales qui se dressent pour contrarier ses conceptions personnelles. Ses travaux sont souvent cités dans les publications de l'A.D.F.I.
   Margaret Singer : Elle fut psychologue militaire et eut des problèmes avec la justice américaine, qui considéra que ses rapports de psychiatrie étaient "des jugements de valeurs déguisés sous la forme d'opinion d'expert".
   Dr Louis West : Il préconisait la stérilisation des Noirs et des Hispano-américains pour lutter contre la criminalité. Il est souvent cité dans les publications de l'A.D.F.I. (ex : Bulles)."

"Le siège de l'A.D.F.I. est très fréquenté par le clergé, par l'abbé Trouslard qui y représente le Vatican, mais aussi par Mgr Vernette, l'abbé Yvon Lemoine, et l'évêque de Tours...). A l'origine, l'A.D.F.I. bénéficiait de locaux gracieusement offerts par une paroisse catholique."

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    Mais alors, si la menace sectaire est en réalité si minime et que les associations de lutte anti-sectes n'échappent pas aux dérives qu'elles dénoncent, qu'est-ce qui se passe en réalité ?

    Et bien tout simplement, ce qui se passe, c'est que les sectes déplaisent aux pouvoirs en places, qui sont encore fortement imprégnés de religions judéo-chrétiennes, et voient les discours et dialectiques qui ont lieu dans les sectes comme une subversion. Ce n'est rien d'autre que ça.

    En d'autres termes, l'ordre établi voit d'un mauvais oeil une concurrence qui existe au sein de la société, et qui remet en cause la norme sociale (voir article sur la notion de contrôle social). A partir de là, les représentants des religions encore influentes (christianisme surtout) se mobilisent dans des groupes de lutte pour ne pas voir trop de leurs précieux agneaux s'égarer dans des mouvements alternatifs.

    Par conséquent, si l'on peut dire que certaines sectes se sont montré dangereuses, après un examen attentif, l'on réalise qu'elles constituent bien plus l'exception que la règle. Cependant les médias ne parlent la plupart du temps que des exceptions, ce qui conduit à des généralisations abusives, comme quoi puisqu'il s'est passé telles choses mauvaises dans une, deux ou trois sectes, et qu'on en fait tout un battage, c'est qu'il faut se méfier de TOUTES les sectes.

    En réalité, ce qui est en jeu n'est pas la mise en danger de quelques individus. On peut tout aussi bien être mis en danger dans une entreprise, dans une université, ou dans tout groupe humain où l'endoctrinement et/ou le harcèlement existe... Des tas de gens se retrouvent dans des tribunaux ou des cabinets de psychiatre suite à l'abus d'un patron, d'un dirigeant ou même parfois d'un simple membre d'association ou encore d'un salarié. Il est donc tout à fait exagéré et caricatural de "tirer sur les gourous".

    Non, ce qui est en jeu, c'est la norme sociale, que l'ordre établi (c'est à dire les individus qui en sont garants) considère comme mise en danger par des mouvements qui prônent des idées différentes, et parfois contradictoires avec le discours officiel. Est-ce que cela est pourtant condamnable ? Dans ce cas, il faut aussi considérer comme sectes tous les mouvements alter-mondialiste, tous les communistes, les écolos radicaux, en somme tout ceux qui revendiquent autre chose que ce qui existe déjà, comme s'il ne fallait rien toucher à ce qui est en place...

    L'une des choses qui dérange souvent l'ordre en place, ce sont les gens qui parviennent à se créer une vie presque autonome en dehors de la société officielle. Ces gens là représentent une menace dans le sens qu'ils remettent en cause les principes qui permettent le contrôle social. Si à cause d'eux, une grande frange de la population se rend compte que l'on peut penser autrement, vivre autrement, arrêter d'alimenter les canaux qui "nourrissent" le pouvoir, c'est à dire le commerce, l'économie au sens large, où va-t-on ? Où va-t-on si les gens produisent ce qu'ils consomment, à l'époque où le pouvoir politique et le système de redistribution se considère comme tributaire des revenus retirés de la consommation de masse, de la croissance, et de tout ce qui s'ensuit ? Où va-t-on si au moment où le pouvoir d'achat est devenu un "problème" crucial pour la perpétuation de ce système de consommation, tout le monde se rend compte qu'en fait, une autre façon de vivre est possible ? Où va-t-on si le bonheur ne dépend plus de nos possessions matérielles uniquement, mais aussi un peu du bonheur spirituel que certaines "sectes" fournissent, au grand dam des religions établies et du pouvoir en place ?

    Pendant longtemps, le christianisme, la religion européenne moderne, a assuré la promotion des valeurs de travail, de martyr, de souffrance. Il n'était pas mal vu de souffrir au travail, "pour le bien de tous", cela contribuait même à garantir une place au paradis. Le labeur a toujours été l'un des fonds de commerce de cette institution, qu'elle avait intérêt à promouvoir, puisque sa puissance découlait directement des taxes qu'elle pouvait soutirer aux travailleurs, justement... Même les pseudo-révolutions communistes ont cru pouvoir récupérer ce symbole à leur propre profit, en roulant dans la farine les peuples qui avaient participé à ces révolutions illusoires.

    Il se pourrait que parmi toutes "sectes" qui existent, un certain nombre ne défendent pas cette valeur absolue du travail. Il se pourrait que l'être humain puisse espérer vivre autrement qu'en se livrant à cette obligation, partie du conditionnement de masse que nous avons tous subi depuis des générations. Il se pourrait en tout cas que nous puissions vivre aussi heureux, et peut-être même plus, en travaillant moins, et sans gagner plus... Mais qu'adviendrait-il si nous nous mettions à penser comme cela en grand nombre ? Qu'adviendrait-il ? La chute du système ? Une mort collective ? Le système actuel ne nous conduit-il pas, de toute façon, à un "abattoir écologique" inévitable ? Qu'avons-nous à perdre à envisager les choses autrement ? Est-ce mal de penser autrement ? Est-ce mal de remettre en cause l'éternelle propagande de la productivité ? Pas si éternelle que ça, puisque cette obsession n'est née qu'au début de la récente ère industrielle.

    Je crois avoir mentionné cela dans un de mes commentaires récents, mais il faut savoir que nous dormons actuellement deux heures de moins qu'il y a un siècle. Ne pourrions-nous pas réellement envisager sérieusement une refonte plus humaine de notre société d'esclavagisme moderne ? Ne pourrions-nous vraiment pas faire objection à ces idées reçues sur le travail, le paradis, et tout ce genre de chose sans pour cela être persécuté ?

    Je le crois sincèrement. Ce qu'il faut comprendre de la lutte anti-sectes n'est pas essentiellement l'humanisme. Lorsque l'on voit que des groupes tels que l'ADFI utilise des techniques barbares telles que le "deprogramming", non il ne s'agit pas d'humanisme. Il s'agit d'un rapport de force de grande ampleur entre des flux idéologiques. L'un veut contrôler l'humanité dans son ensemble, l'autre veut lui proposer des alternatives.

    Pilule bleue et pilule rouge, ça vous dit quelque chose ?


5 - Les excès de tolérance ou comment rendre les masses apathiques

    La tolérance, comme la liberté, est devenue une des valeurs phare de notre société. Elle est devenue tellement prégnante qu'il est devenue presque impossible de l'appréhender, presque interdit de l'interpréter, sous peine de suspicion d'une culpabilité. Celle d'intolérance, bien sûr.

    Pourtant, la tolérance, comme toute chose, doit avoir ses limites, sinon elle sera immanquablement utilisée à des fins de terrorisme intellectuel, sans parler des récupérations politiques similaires, l'orientant sur le terrain de la propagande.

    Je ne suis pas clair ? Que veux-je dire par là ? Simplement qu'aujourd'hui, nous avons collectivement atteint un tel niveau d'apathie, de passivité, que la tolérance en est devenu l'un des prétextes principaux.  En fait, dans ce dernier article (avant la conclusion) je voulais prendre l'exemple d'une valeur centrale et nécessaire à la vie sociale, pour démontrer comment elle peut être détournée, puis récupérée à des fins aberrantes et totalitaires renforçant le contrôle social dont j'ai parlé précédemment.

    Comme je l'ai dit dans l'article en question, un certain niveau de contrôle social est certainement nécessaire à toute société, sans quoi le chaos prendrait trop de place, et toute entreprise serait vouée à l'échec, à cause des forces contradictoire et subjectives qui s'exerceraient à son encontre. La tolérance est l'une des valeurs nécessaires à ce contrôle social, puisque c'est le niveau de tolérance d'une société qui détermine la diversité des actions que peuvent entreprendre les individus qui la composent. Comme chaque individu est doté d'un certain niveau de tolérance, et qu'il tentera naturellement de s'opposer à une entreprise qui lui parait nuisible, pour lui, ses "alliés", sa famille, etc.; il devient nécessaire d'imposer cette valeur afin que chacun puisse avoir un espace de liberté à soi, dans lequel personne n'aura de légitimité pour intervenir. C'est cela qui vous permet de regarder la télé chez vous, sans que quelqu'un vienne changer la chaîne sous prétexte que c'est mauvais pour vous, ou encore qui vous permet de décider si vous voulez fumer ou non, arrêter ou non, et ainsi de suite. Dans les sociétés ou cette valeur n'existe pas, les interdits triomphent, l'oppression est le système dominant. Songez donc aux peuples qui subissent encore le fanatisme religieux de masse par exemple... Mais je ne m'étendrai pas là-dessus.

    Seulement, un autre problème intervient lorsqu'il y a excès de cette valeur. En effet, lorsqu'une valeur est sacralisée, un rien peut constituer un sacrilège à son encontre.

    C'est ainsi que nous arrivons dors et déjà à un stade ou, paradoxalement, il devient interdit de s'exprimer, dès lors que vous voulez exprimer une idée contraire au sacro-saint principe de la tolérance. Et par conséquent c'est le serpent qui se mord la queue : à cause d'un respect trop excessif du principe de tolérance, il devient intolérable qu'on s'exprime. Et le principe énoncé perd lui-même tout sens... Sans que cela ne choque grand monde.

    Les apôtres modernes de la tolérance ont pour coutume de tenter d'interdire toute critique, au lieu de la tolérer, toute manifestation de protestation, en protestant eux-mêmes, toute velléité de négation de ce qui est établi ou le sera prochainement, ceci en niant le droit même de le faire. Et ce au nom de la tolérance.

    Nous avons donc là quelque chose de manifestement pourri et absurde, puisque c'est quelque chose qui, en définitive, se nie soi-même. Comment peut-on prêcher la tolérance tout en exerçant la tolérance la plus aboutie ? Comment peut-on prôner une valeur que l'on piétine en le faisant ? La tolérance, est-ce vraiment cela ?

    Il me semble plutôt que la tolérance est invoquée pour tout et n'importe quoi, notamment pour dénoncer quelque chose qui, subjectivement, ne nous plaît pas. L'appel à la tolérance est ici tentant, puisqu'il nous donne une chance d'ériger notre subjectivité en un absolu mesuré à l'aune du Dieu tolérance. Par contre, les mêmes apôtres de la tolérance n'hésiteront pas à jeter l'anathème sur des choses qui "ne devraient pas exister". Pourquoi ? Parce qu'elles les obligent à manifester leur intolérance ? C'est tout de même curieux...

    Alors qu'est-ce qui a bien pu pervertir cette notion de tolérance, pourtant limpide au départ ? Et bien simplement une politisation du terme... Au départ, la tolérance, ce n'est pas politique. La tolérance n'est pas une divinité qui dit "l'homosexualité c'est bien, et le racisme c'est mal". Par conséquent, rien ne dit, dans la définition de la tolérance, qu'il faut tolérer les homosexuels et pas les racistes. Je ne fais pas de la politique, en disant cela, je replace simplement ce terme à sa place. Mais j'avoue n'avoir pas choisi ces exemples au hasard...

    Je ne suis par exemple moi-même le contraire d'un raciste, et si je peux comprendre certains motifs poussant certaines personnes à se dire racistes, je trouve que leur démarche, c'est de la merde : je ne la tolère pas. Mais je ne vais alors pas prétendre que "je suis tolérant". Je ne le suis pas... On ne peut pas tout tolérer, c'est le contraire qui serait aberrant... Or c'est pourtant bien ce qu'on essaye de nous faire croire.

    Mais alors d'où vient donc cette politisation de ce terme ? Vous me direz certainement avec raison que cette exigence de tolérance, ce n'est ni dans les médias qu'on la trouve, ni dans les milieux politiques, qui passent leur temps à dénigrer les idées de leurs opposants, mais bien autour de nous. Et bien oui, c'est cela le contrôle social. Ce n'est pas quelque chose qui est uniquement porté par l'autorité et ses relais médiatiques, mais bien d'abord quelque chose d'intégré par la masse, quelque chose qu'elle bêle et se rabâche constamment à elle-même, parce que ça lui évite d'avoir à réfléchir sur le fond et à remettre en cause les fondements de ses habitudes et de son vécu... Le prémaché est bien plus facile à "digérer", c'est connu, et l'instinct (qui englobe le comportement routinier, entre autres) est beaucoup plus difficile à déstabiliser que le mental, qui est de toute façon caractérisé par le doute.

    L'on peut donc utiliser, dans un but de contrôle social, tout aussi bien le doute d'origine mental que l'habitude, d'origine instinctive, d'accepter ce que l'on n'a jamais ressenti le besoin de remettre en cause, comme par exemple la réalité du monde qui nous entoure ou la solidité de nos convictions, pourtant plus souvent basées sur des a priori intuitifs que sur des faits vérifiés, parce qu'en fait souvent invérifiables, ou difficiles à vérifier...

    C'est de cette manière que l'on peut faire culpabiliser les gens en leur insufflant la conviction que "ça n'est pas bien de juger, c'est mal d'être intolérant", et en faisant en sorte que cette "vérité " s'entretienne d'elle-même. Car en étouffant ainsi le sens critique, ce qui est obtenu c'est la tranquillité auto-entretenue des masses. Et par là même, on peut garantir sa soumission à l'ordre établi, sa passivité face à la nouveauté. Passivité relative, certes, car l'instinct tendant vers l'esprit routinier, il nous faut du temps pour nous adapter à de nouvelles conditions de travail, par exemple, ou à l'idée qu'il va "falloir se serrer la ceinture" (pour le bien de qui ?). Si cette idée n'était pas suffisamment implantée dans l'esprit des masses, il y aurait à coup sûr beaucoup plus de soulèvements, de révoltes...

    C'est cette leçon bien retenue du passé qui a conduit au détournement du rôle primaire des médias, comme le décrit très bien Chomsky. Au départ, les médias étaient un instrument d'information et donc de contre-pouvoir, puisque les médias étaient le relais privilégié entre le peuple et le pouvoir afin que les premiers soient informés des agissements du second.

    A présent, il y a eu comme une inversion, et si les médias informent toujours le peuple des agissements des gouvernements, ils participent aussi, de manière pernicieuse car mal assumée, à leur propagande, et donc au conditionnement des masses. Comment procèdent-ils ? Et bien ils n'ont pas grand chose à faire... Il leur suffit de nous délivrer des messages de peur, qu'ils nous avertissent de tout ce que nous risquons à faire ainsi ou à ne pas faire comme cela, et nous faisons le gros du travail en introjectant ces signaux et en les transformant en valeurs et en principes moraux ou autres, construisant nous même notre propre prison, en alimentant le contrôle social que l'on veut que nous maintenions.

    C'est pourquoi je voudrais conclure cet article, avant d'en venir à ma conclusion sur la série d'articles elle-même, en annonçant que non, les médias et les politiques ne nous manipulent pas. Ils n'ont pas besoin de le faire, car nous sommes beaucoup plus compétents qu'eux pour cela. Ce que je crois, et je le développerai plus avant dans mon article de conclusion, c'est que le conditionnement est inscrit dans les gênes de l'homme, et que tout ce que nous savons faire est de bêtement s'y soumettre... Les politiciens se mentent à eux-mêmes autant que nous nous mentons à nous mêmes en croyant bâtir notre liberté là où nous érigeons notre prison. Quant aux médias, ils relayent ces mensonges en les estimant vrais, parce que eux non plus ne voient pas plus loin que cela. C'est ainsi que le système s'entretient : autant de par les mensonges des dirigeants que de la capacité des autres à les accepter et à les entretenir...

Ainsi, en croyant que nous défendons des valeurs de tolérance et de démocratie en marginalisant les anti-conformistes, les "anormaux" et en allant faire la guerre aux méchants islamistes... Ce que nous faisons en réalité, c'est déployer des forces d'inertie, de résistance et d'extension du territoire purement instinctives, qui nous dépassent largement...


6 - Conclusions, et réflexions sur la place du chamanisme dans le contexte de la société moderne

    Comme j'ai essayé de le faire apparaître en filigrane de ma série d'articles, à travers la question du conditionnement, c'est la nature humaine qui est questionnée, et donc la place des chamanes et du chamanisme dans cela.

    On a longtemps dépeint les chamanes comme des mystificateurs, voire des charlatans et des escrocs. Mais s'il est vrai que certains utilisent des techniques de prestidigitation ou d'illusionisme, ce n'est pas pour mieux tromper des pigeons, mais bien la plupart du temps pour mieux venir en aide à des gens à qui ils n'ont pas le temps, ni vraiment la possibilité, à vrai dire, d'expliquer leur "science" ou leur pratique. Il est alors bien plus rapide de recourir à des petits tours de passe-passe qui tromperont l'attention de l'assistance, et l'émerveilleront, alors que le travail du chamane se trouve en réalité au niveau de l'invisible. La fonction de ces illusions est alors de faire croire que l'invisible peut devenir visible à l'assistance, et non pas de faire croire qu'il se passe quelque chose alors qu'il ne se passe rien...

    La tromperie est donc en quelque sorte l'un des attributs des chamanes. C'est pourquoi il est difficile de "rouler" un chamane averti... Et c'est pourquoi désormais que la tromperie, l'embrigadement, la propagande, sont devenues des composantes essentielles de notre société, il est temps de dire qu'au contraire le chamane peut jouer un rôle de démystificateur.

    Soyons clairs, les chamanes ne sont presque jamais des acteurs de la vie politique, pour la simple et bonne raison qu'ils vivent à l'écart de la tribu, du clan, de la communauté. C'est ce même écart qui leur permet d'avoir le temps et le recul pour analyser les choses, les comportements, en même temps que leurs pratiques mystiques les aident à acquérir une connaissance de l'âme humaine.

    Alors, c'est peut-être ma vie marginale et anticonformiste qui le veut, mais je n'ai pas l'orgueil d'être le seul à avoir découvert cela... Mais je voulais exposer ici mes premières conclusions sur la société dans laquelle je vis... en marge.
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    L'on crache souvent sur les politiciens. Ils seraient tous véreux, pourris, attirés par le pouvoir uniquement parce qu'ils ont le mensonge, la corruption et le vice dans la peau. Mais ça n'est pas vrai. Pas toujours, en tout cas.

    La mode est aussi à dénigrer les médias, à dénoncer leurs accointances avec le pouvoir, leur complicité avec certains personnages hauts-placés, leur habitude à n'exposer que le sensationnel et à taire le véritablement choquant. Ce n'est pas faux. Mais le problème est plus complexe.

    On culpabilise aussi les masses, l'insuffisance de leur attitude écologique, leur fainéantise, leur subversivité, leur moutonnerie. Mais là encore, c'est un peu court. Les masses n'ont pour se défendre, se prémunir des manipulations, que les outils qu'on leur donne, et ce n'est pas dans l'intérêt de ceux qui détiennent les privilèges du pouvoir que de trop leur laisser l'occasion d'en acquérir.

    Je ne prétends avoir démêlé l'essentiel du problème, non, loin de là, et je pense même que certains sont allés, ou iront beaucoup plus loin que moi. Seulement il y a quelques années j'ai écrit un livre - non publié - dans lequel je donnais ma version des événements futurs, si l'on continue dans ce sens. Une version ni optimiste ni pessimiste, dans laquelle à la fin, l'homme renonce à la mascarade politico-médiatique, mais trop tard. Aujourd'hui, j'en écrirais une autre version, et d'ailleurs c'est en projet, donc je n'en dirai pas plus. Mais si je parle de cela, c'est parce que je pense que si ma version n'était pas très bonne, elle n'était tout de même pas sans une certaine lucidité.

    J'avais néanmoins oublié un critère de taille. L'instinct humain.

    Car nous pensons que la civilisation nous tient éloignés de nos instincts. Nous pensons que la ville fait de nous des êtres de raison, voués au progrès, à l'intelligence à la fois individuelle et commune. Nous croyons que sommes sortis de l'âge de pierre. Tout cela à tort. Car nous sommes simplement entrés dans l'âge du béton, actuellement dans l'ère transitoire du pétrole. Quel sera le prochain âge ? Celui du sable ?

    L'homme poursuit sa marche en avant, ou plutôt devrais-je dire sa fuite en avant. Parce qu'il ne sait rien faire d'autre. Parce que son instinct l'y pousse. Est-ce vraiment par altruisme, par recherche de gloire, ou par l'élan du progrès, que nous avons inventé l'impérialisme ? Non, l'impérialisme, encore de mise aujourd'hui, n'est qu'une extension pas vraiment subtile du territorialisme de nos ancêtres, ce qui ne nous élève même pas au-dessus des chiens, ours, panthères et autres animaux territoriaux (pour lesquels j'ai de l'admiration, je le précise, tout comme je suis fasciné par la capacité de l'homme a ne finalement pas tellement s'en éloigner). Nous nous croyons plus intelligents alors que nous sommes seulement plus complexes, plus inventifs, plus volubiles...

    Nos villes seraient-elles des carrefours d'intelligence, de sociabilité, en gros les joyaux d'une civilisation dénuée de toute bestialité ? Dans ce cas, pourquoi y meurt-on seul et ignoré des autres ? Pourquoi ne communique-t-on pas avec nos nombreux voisins ? Pourquoi le meurtre et le viol y-sont-ils plus fréquents et concentrés qu'ailleurs ? Pourquoi les pathologies psychiques y sont elles en croissance fulgurante, sans parler des allergies et maladies respiratoires ? Les villes sont-elles vraiment un "biotope" sain, à taille humaine et une démonstration de la grandeur de notre inventivité, ou juste des amoncellements stupides d'édifices à la gloire de notre orgueil et de notre artificialité ?

    Nos structures sociales sont-elles des modèles de respect de la richesse humaine, rendues possibles par une solidarité et une élévation d'esprit merveilleuses ? Ou bien ne   sont-elles que des monstruosités bureaucratiques déshumanisées, instruments de répression de l'anormalité et de ceux qui refusent de participer à cette brutalité institutionnalisée et sans nom ?

    J'affirme que l'instinct humain (fondamentalement similaire à l'instinct animal) se cache partout, juste derrière le vernis de la société "propre" et hygiénique. Le contrôle social c'est l'esprit de meute poussé à son paroxysme, rien de particulièrement humain là-dedans, c'est très animal, et peut-être faut-il avoir chamanisé et avoir fusionné avec des esprits animaux pour s'en rendre compte pleinement... L'économie, c'est l'instinct de propriété, voisin de l'instinct de territorialité. Les échanges commerciaux proviennent uniquement de la compréhension que c'est profitable, et que donc cela satisfait d'autant plus l'instinct de propriété. Est-ce véritablement propre à l'humain, ou bien ce qui est propre à l'humain est de n'être, en définitive qu'un animal dont les instincts se complexifient et se ramifient au point qu'il n'arrive même plus à se rendre compte que tout ce qu'il croit civilisé et raffiné c'est, à l'origine, de l'instinct pur ? De même la moutonnerie, très humaine malgré son nom, c'est l'instinct grégaire du troupeau.

    Et ainsi de suite, de loin en loin, on découvre que rien n'y échappe dans la société. Au bout du compte, le conditionnement dont j'ai parlé dans cette série d'articles, n'est que le résultat logique d'un long processus évolutif de nos instincts, et surtout de la manière dont on peut en tirer partie pour les détourner, nous maintenir dans l'apathie, éteindre notre sens critique. Cette manière a été découverte, et sera de plus en plus employée par les gens de pouvoir, car plus on avance, et mieux on les connaît, mieux on les comprend, mieux on peut les maîtriser, les détourner, les utiliser à notre encontre. C'est ainsi entre autres, que l'homme est, comme on dit, un loup pour l'homme. Nos instincts nous gouvernent, les gens de pouvoirs, en bons mâles alpha (les dominants) en tirent partie, leurs subalternes médiatiques les soutiennent, tout cela plus ou moins de manière inconsciente, chacun cherchant à préserver son bout de gras, et nous appelons cela "civilisation" et "démocratie".

    Alors les chamanes sont-ils si inutiles de nos jours ? J'en doute. Avec cette orgie d'instincts ignorés, niés, refoulés, dissimulés, manipulés, détournés ou rendus socialement acceptables par des raffinements trompeurs et des frustrations toujours plus grandes, il n'est pas étonnant que les maladies somatiques (entre autres) fleurissent... De nos jours, je crois qu'il n'y a rien de plus vrai que de dire que la société est malade, or le chamane est aussi un thérapeute des collectivités, tout comme l'artiste apporte du baume au coeur des gens meurtris par la violence (surtout morale) qui n'a décidément pas quitté nos vies "civilisées".

    De quoi la société est-elle malade ? Certainement de ses excès, de ses non-dits, de ses mensonges, de ses aveuglements, de ses reniements, de ses carences aussi. Un malade qui ignore tout cela est, à terme, condamné. Ne nous en obsédons pas, mais pensons-y. La vie est l'ultime héritage laissé par nos ancêtres et nous sommes en train de la laisser filer. Certes nous sommes voués à mourir tôt ou tard, mais est-ce nécessaire que cela soit de notre imbécillité, alors que nous nous targuons de notre intelligence ? Violerons-nous de cette façon l'ultime instinct qu'est celui de la survie alors que nous ne parvenons pas à semer les autres malgré nos efforts ? Ce serait une morale de l'histoire qui, je l'avoue, m'amuserait assez... Si je pouvais survivre à cette fable.

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26 février 2008

Réveil de Malice, Chapitre 1

1 - La claque

    Tout commença par une bonne tarte. Oui, vous avez bien lu, cette histoire invraisemblable débuta par une bonne tarte. Dans la gueule du patron.
    Vous vous attendiez peut-être à un doux conte à l'eau de rose ? Je veux dire, ce genre d'histoire réconfortante qui vous caresse les neurones dans le sens du poil, et où tout se termine par beaucoup d'enfants, quoi.
    Ben c'est raté. Et encore, ne vous plaignez pas. Ce n'est pas vous qui avez la marque des cinq doigts de Malice imprimés sur la joue. Enfin je n'ai pas été présenté à vous, mais je ne crois pas que vous soyez son patron.
    D'ailleurs peut-être que certains d'entre vous auraient bien aimé faire de même avec le vôtre ? Et bien vous l'avez rêvé, Malice l'a fait.
    Il faut dire qu'elle ne manquait ni de malice ni de culot. Et il faut dire aussi que Malice ne supportait pas le genre de mec qu'était son patron, et même pas non plus son boulot. A peine débarquée dans la vie professionnelle qu'elle en ressortait, par la grande porte, et en la claquant.
    Tandis que ces deux derniers claquements résonnaient toujours dans les couloirs de la boîte, déjà y succédaient ceux de ses talons, sur les trottoirs de la ville. D'un pas nerveux, elle emmenait entre les murs ternes son corps frêle, soutenu par deux fines jambes gainées par bas rayés.
    Dans sa tête c'était l'orage, et derrière les vitres de ses yeux, c'était la pluie. Mais ses essuie-glace n'étaient pas en panne. Pas question de montrer sa rage et son dépit aux écervelés qui arpentaient les rues de la ville à cette heure. Les talons de ses bottes frappaient le bitume comme des poings serrés auraient martelé un punching-ball.
    Un autre jour - un jour comme tous les autres - elle aurait pris le bus pour rentrer chez elle. Elle aurait pris le bus comme tous les autres. Tous les autres ovidés et ruminants du genre. Mais ce jour précis, ses jambes étaient impatientes et ses tripes grinçantes. La colère lui remuait les tuyaux, et le sang lui brûlait les veines.
    Elle préférait largement marteler le pavé, à la limite de foutre des coups de pieds dans les poubelles et répandre leur contenu.
    Un pauvre hère assis par terre en haillons eut le malheur de lui demander une pièce. Son regard le fusilla et il tomba à la renverse. Ou peut-être pas exactement, mais en tout cas c'est ainsi que Malice le visualisa, derrière les reflets du pare-brise qui lui servait de regard. Non non, elle ne portait pas de lunettes. Elle se contentait d'un regard vitreux et glacé. Sa vue était d'ailleurs tout à fait parfaite, et elle pouvait détailler en toute lucidité chaque pixel du tableau de sa vie. Sa colère était tout sauf aveugle, en témoignait la précision de la baffe qui avait inscrit cinq doigts rouges dans la sale tronche du patron. Elle pouffa de rire en y repensant, puis se focalisa à nouveau sur sa colère.
    Sa tête était droite, solidement vissée sur son cou, comme pour défier les passants. Ses longs cheveux teints s'agitaient fièrement dans le vent, et le déhanchement de ses reins agitaient sa jupe de gauche et de droite à la manière d'une barque dans la tempête qui s'était déclenchée dans sa tête. Certains vicelards l'auraient sûrement trouvée diablement sexy en cet instant. Et elle se serait fait un plaisir de leur dire merde.
    Le chemin était encore long, jusque chez elle, mais il était hors de question d'aller se presser comme une sardine dans un bus, sans quoi elle n'aurait pu s'empêcher de distribuer des torgnoles jusqu'à s'en faire saigner les mains. C'était l'un de ses instants de jubilation haineuse envers son espèce. A l'instant de cette crise, pas un seul n'aurait valu pour elle la moindre once d'amour. On ne peut pas sempiternellement se cacher à soi-même ses plus bas instincts, lorsque tout est là pour les éveiller.

2 - Retour aux sources

    Elle grimpa les marches de son immeuble et poussa la porte du dernier étage, qui était celle de son appartement.
    L'intérieur, dans la pénombre entrecoupée des lumières des lampadaires et des enseignes multicolores, lui parut extrêmement bien ordonné, surtout par comparaison au dérangement de son esprit.
    Les piles de magazines et de livres formaient des colonnes droites, sur les étagères, le long du mur. La vaisselle se tenait sagement dans les rayons de l'égouttoir, propre. Sur la table, les affaires étaient arrangées suivant un carré parfait prenant la moitié de la surface. La télé regardait le mur d'en face, selon un angle exactement perpendiculaire, et la console de jeu s'était poussée soigneusement en dessous, juste sur le rectangle du magnétoscope. Le dos du canapé suivait exactement la parallèle du mur du fond de la pièce. Le linge récemment lavé formait un cube qui dépassait à peine d'une caisse, près du canapé. Même le chat au poil gris et tigré semblait s'être conformé à l'ordre ambiant, allongé sur le tapis, les pattes bien repliées sous son corps, et lui lançant un regard interrogateur comme s'il devinait que quelque chose d'inhabituel venait de déranger le cours inaltérable des choses.
    Malice tiqua et traversa la pièce principale jusqu'à la chambre.
    Le lit occupait sa place normale, l'arrière bien au milieu du mur, le couvre-lit bien reposé aux trois-quarts de sa longueur, le tout formant de parfaits angles droits. C'était d'une platitude rassurante et navrante. Même le tableau, au-dessus du lit était aussi parfaitement perpendiculaire aux lignes de la pièce que les portes d'origines l'étaient. La lampe de chevet était éteinte et silencieuse. Le tiroir de la table de chevet clos et docile. Les rideaux étaient ouverts.
    Le chat était venu près de ses jambes. Il observait lui aussi la pièce de son regard impénétrable. Lorsqu'elle le regarda, il leva aussi ses yeux vers elle, semblant lui demander ce qui n'allait pas, dans cette incontestable perfection.
    Elle alla s'asseoir sur le bord du lit, songeuse, et le chat l'accompagna pour venir s'asseoir à ses pieds. Elle se rendit compte par la même occasion qu'elle n'avait pas enlevé ses bottes, la première chose qu'elle faisait toujours avant, en entrant chez elle. Le chat sentit le cuir de ses bottes pendant un instant, puis recommença à la fixer de ses yeux qui transperçaient l'obscurité.
    Elle se rendit alors compte qu'elle n'avait même pas allumé les lumières. L'heure sombre reposait ses yeux, tandis qu'elle réalisait que quelque chose ne collait pas avec elle, dans tout ça.
    Elle avait toujours été une employée efficace. D'ailleurs elle avait toujours eu de l'acharnement, dans ce qu'elle faisait, quoique pas toujours où on l'aurait attendue... Ses souvenirs l'entraînèrent vers le lycée et le collège, mais elle les interrompit avec un râle d'agacement. Elle n'aimait pas tergiverser sur le passé, et elle se releva brusquement, pour aller jusqu'à la salle de bain, ses bottes claquant sur le carrelage. La pièce était si sombre, sans fenêtres, qu'elle fut forcée d'allumer le néon, et elle fut aussitôt assaillie par la vision agaçante de l'armoire à pharmacie blanche et anguleuse, les gants de toilette et les serviettes pliées en carré sur leurs emplacements, la douche longiligne, les brosses à dents et autres tubes soigneusement rangés là où ils devaient l'être.
    Elle fit couler un filet d'eau pour s'humecter le visage, puis aperçut celui-ci dans le miroir. Ses yeux verts auraient du paraître abattus, mais au contraire, ils luisaient d'une vie inexplicable. Ses longs cheveux sombres aux mèches rouges encadraient son visage. Ils étaient quelque peu ébouriffés, alors qu'elle prenait un grand soin à les coiffer bien lisses, chaque matin, ainsi que chaque midi au travail. Elle renonça toutefois à les arranger pour cette fois. Après tout elle était seule chez elle, et personne ne viendrait lui faire la moindre remarque.
    Elle se détourna pour croiser le regard émeraude de son chat, assis dans l'encadrement de la porte de la salle de bain. Ne regardait-il pas ses cheveux ? Bon... Après tout, qu'en avait-il à faire, lui ?
    Elle sortit en passant à côté de lui, et elle sentit qu'il la suivait encore. Elle traversa la chambre pour s'asseoir dans le canapé, tranquillement dans le noir. Les enseignes du bas de la rue faisaient clignoter le plafond, projetant d'étranges trapèzes sur son fond blanc, à la manière d'une toile abstraite.
    Le chat monta à son tour sur le canapé, et s'assit près d'elle, continuant de critiquer silencieusement sa coiffure. Elle n'y faisait plus trop attention. Son chat avait du rater une carrière de critique littéraire, alors maintenant il se repliait sur les monologues de salon de coiffure. Il avait au moins la décence de les garder pour lui...
    Elle commença à se détendre quelque peu, fixant les lumières qui s'affichaient au plafond. Quelques minutes de tranquillité passèrent, puis le téléphone la fit sursauter. Elle jura, et eut l'impulsion de courir jusqu'au téléphone, comme d'habitude. Mais finalement, elle décida de rester assise. Après tout, qui pouvait-ce être ? Sa mère, un ou une amie, un collègue, un faux numéro, son patron, ou encore le plus probable : un obsédé sexuel...
    En tout cas, personne qui vaille de se déplacer de son confortable canapé. Elle décida tout d'un coup que désormais, toute personne qui lui téléphonait sans avoir prévenu avant était un emmerdeur.
    Le téléphone sonna longuement, bien trop de sonneries pour qu'elle puisse les décompter, mais elle s'allongea en plaçant ses mains derrière la tête. Lorsque la sonnerie cessa enfin de l'agacer, elle ressentit un soulagement et put finalement se concentrer sur son sentiment présent. Une sorte de sentiment de liberté mêlée d'inquiétude. La liberté et l'inquiétude de la chômeuse qu'elle venait de devenir. Elle essaya de l'examiner, lorsque le téléphone sonna de nouveau.
    Elle se redressa nerveusement et fit claquer ses talons jusqu'au téléphone. Elle se pencha sur lui comme si elle allait le gronder, puis au bout de quatre sonneries, décrocha le combiné pour le reclaquer violemment.
    "Dans ta face !" fit-elle en imaginant que c'était son patron, repensant avec jubilation à la gifle qu'elle lui avait tournée, peut-être une heure plus tôt.
    Puis elle posa le combiné à côté du téléphone, et commença à faire les cent pas dans l'appartement, jusqu'à ce que les claquements de ses talons l'agacent à leur tour, et qu'elle envoie valser ses bottes quelque part vers la porte d'entrée. Une fois calmée, elle décida d'aller s'allonger sur son lit, presque certaine de ne plus être dérangée, maintenant.
    Dès qu'elle fut sur le lit, elle s'assoupit, comme si, finalement, son esprit préférait fuir plutôt que d'examiner ses nouveaux sentiments.
    Elle s'éveilla en sursaut, avec l'impression que seule une fraction de seconde avait séparé l'instant de son endormissement de celui de son réveil. Pourtant entre-temps, les lueurs colorées des enseignes s'étaient effacées du plafond, et son chat s'était profondément endormi au bord du traversin. La nuit était probablement déjà bien avancée.
    La première chose qu'elle se demanda était l'heure qu'il pouvait être, puis le jour. La seule chose certaine était qu'on était la nuit du vendredi au samedi. Quoiqu'il en soit, elle n'aurait pas travaillé le lendemain, même si elle n'avait pas commis ce geste.
    Elle resta allongée sur le dos, toute habillée, ce qui était aussi contraire à son habitude. Mais elle avait le sentiment d'avoir désormais balayé chacune de ses habitudes rassurantes, d'un seul revers de la main. Un revers brutal, mais peut-être salutaire ?
    A présent le plafond était d'un gris presque parfaitement uni, n'étaient-ce les projections blafardes des lampadaires. Elle l'examina longuement, puis se rendit compte qu'elle tentait d'imprimer ses idées noires sur cette toile vierge.
    Bien qu'elle luttât contre cette tendance, elle ne parvint pas à s'en défaire, et commença à se rouler sur le lit, incapable de se rendormir. Lorsqu'elle réalisa que c'était une lutte perdue d'avance, elle descendit du lit et traversa l'appartement pour aller remettre ses bottes. Elle sortit dans le couloir et referma rapidement la porte derrière elle. Elle avait eu le temps d'apercevoir l'heure sur la pendule. Environ 2h30.
    Ce n'était pas raisonnable, pour une jeune fille, de sortir seule dehors à une heure pareille, mais elle décida à cet instant que raisonnable était le premier mot à bannir de son vocabulaire, à ce jour.
    Elle dévala les marches des quatre étages, et se retrouva dans la rue. Un air plutôt frais enveloppa ses membres, mais elle ne se laissa pas décourager, et recommença à faire claquer ses talons sur le pavé, traversant au hasard les rues dont les feux de signalisation clignotaient pour personne, ou pour les chiens, ce qui revenait à peu près au même. Tout en gardant la tête haute, regardant les vitrines qui reflétaient les feux et les quelques phares qui écumaient la nuit, elle se demandait si ses jambes avaient une conscience propre qui la mènerait quelque part.
    Elle traversa de nombreuses rues, avant de longer la large rivière, qu'elle aperçut presque avec surprise, tant sa routine lui avait rarement permis de fréquenter cette partie de la ville. Tout en marchant machinalement, elle restait tournée vers ses vaguelettes, qui troublaient une surface d'un brun grisâtre et douteux. La rivière était soigneusement canalisée par de hauts murs de pierre. Mais Malice savait que même une rivière paisible pendant des décennies pouvait soudain sortir de son lit, et s'éveiller à une rage peu commune et destructrice...
    Un peu plus loin, elle surprit une conversation entre une vieille femme et un lampadaire. Manifestement, l'un des deux avait perdu la boule, car leur conversation était totalement incohérente. La femme formait des onomatopées dont le sens profond échappait à Malice, tandis que le lampadaire conservait obstinément le silence. Elle décida de s'arrêter un moment devant eux pour essayer de saisir le thème de la conversation, considérant tour à tour les beuglements de la clocharde et le silence du lampadaire obtus. Mais rien à faire, la sémantique de la discussion lui restait interdite. Finalement, la femme la dissuada de poursuivre cette analyse, en se tournant brusquement vers elle pour lui lancer une sorte d'aboiement à peine moins abscons que le reste de son discours... Elle n'avait manifestement pas envie qu'on espionne leur dialogue, qui avait peut-être quelque chose d'intime...
    Haussant les épaules, Malice se plia à cette volonté et contourna le couple nocturne pour poursuivre sa route le long du cours de la rivière urbaine.
    Tandis qu'elle en remontait le cours, elle parvint devant les pentes d'un parc. Elle connaissait ce parc, qui était l'un des plus vieux de la ville, sans pour autant l'avoir fréquenté assidûment, depuis son enfance. Ses dernières visites en ce lieu remontaient au moins à 10 ou 15 ans en arrière, tandis qu'elle était encore à l'école primaire. Poussée par une pointe de nostalgie, elle décida de s'y aventurer de nouveau, se disant que l'éclairage nocturne lui montrerait le parc sous un jour nouveau...





3 - L'atelier

    C'est toujours lorsqu'on croit fuir son passé qu'il vous revient dans la figure. Malice n'en était pas consciente à cet instant, mais elle était presque en train de tendre la joue, comme si elle se prenait pour un personnage biblique que nous ne nommerons pas.
    Pourtant toute gifle n'est pas forcément désagréable. Parfois elles remettent les idées en place, parfois elles ne font pas trop mal, et parfois c'est nous qui les donnons aux autres...
    C'était d'ailleurs un peu la philosophie de Malice : on ne prend des coups que lorsqu'on prend des risques, et lorsqu'on ne prend pas de risques, c'est que l'on reste bien au chaud, dans un confort qui ne nous mène nulle part.
    Aussi n'avait-elle de toute façon pas peur de revenir sur les traces de son passé, dans ce parc qu'elle n'avait plus fréquenté depuis des lustres. Peut-être même revenir sur les lieux de son passé était-il le meilleur moyen de trouver la force d'affronter l'avenir.
    Contemplant la pente sur laquelle le parc s'installait, et malgré son aspect altéré par la lumière verdâtre des lampadaires, elle s'y revoyait encore, jouant avec ses copines de l'époque, soit à la poupée, soit à cache-cache, soit à tout ces jeux de l'époque de l'innocence.
    En contemplant tout cela, elle repensait à son innocence perdue, ainsi qu'à tout ce qu'elle avait laissé en grandissant. Certaines choses qu'elles regrettaient, d'autres non, mais de toute façon, elle n'aimait toujours pas s'attarder sur ce genre de choses. Elle arpenta donc les chemins goudronnés de ce petit parc, qui serpentaient sur ses buttes, en direction du vieux château. Ce château qu'elle avait fantasmé, petite, comme étant celui du prince charmant des contes de fée.
    Aujourd'hui, avec son innocence et ses illusions perdues, elle savait bien que le prince charmant n'existait pas, pas plus que le père Noël. Pourtant cela avait été si plaisant d'y croire... Comment pouvait-on arrêter de croire aux illusions qui nous apportent de la joie ? Peut-être tout simplement parce qu'il faut bien grandir... Mais elle n'avait jamais voulu grandir.
    S'approchant du château, dont elle savait maintenant que ce n'était en fait qu'un vieux musée, elle vint se blottir contre l'un de ses murs. S'adossant à l'un des contreforts qui maintenait la bâtisse, elle dominait maintenant ce quartier, et le contemplait d'un air distrait, tout en respirant profondément, comme si ses poumons pouvaient faire revenir sur les lieux les traces de son enfance, qui lui paraissait déjà si lointaine, malgré son jeune âge. En effet, elle n'avait pas plus de 21 ans, aujourd'hui, et son enfance n'était séparée de son présent que par quelques encablures, correspondant à son adolescence à peine envolée.
    Pourtant, et malgré ces souvenirs encore si frais qui se ravivaient dans sa mémoire, elle lui paraissait lointaine. Si lointaine qu'il lui fallait imaginer des jumelles pour pouvoir la contempler encore dans toute sa fraîcheur. Peut-être que les choses que nous désirons intensément et ne paraissent plus à notre portée nous semblent toujours lointaines, songea-t-elle.
    Elle en était là de ses pensées lorsqu'un bruit répétitif, venu des soupiraux du bâtiment, l'obligea insidieusement à s'en extirper. Elle tendit alors l'oreille et, hésitante, s'approcha de l'une de ces ouvertures. Une lumière chaude parvenait de là, mais elle était si basse que Malice dut se mettre à quatre pattes, pour pouvoir distinguer quelque chose.
    Rapprochant son visage du sol, elle vit enfin, par l'étroit passage, ce qui s'y passait. C'était une sorte d'atelier, dont elle ne voyait qu'une partie. Il y avait des établis en bois encombrés d'outils et de morceaux de bois aux formes particulières. Et derrière l'un de ces établis, un homme aux mains massives, qui frappait l'une de ces pièces de bois de son marteau. C'était ce bruit, qui avait averti son oreille de l'activité qui régnait ici. Comme elle observait avec curiosité les gestes des deux bras de cet homme, dont seul le buste lui était visible, il s'interrompit...
    A ce moment, Malice ressentit vaguement une gêne, comme si elle se sentait prise sur le fait. C'était comme si elle était en train d'être témoin d'un crime ou d'une autre chose inavouable, dont l'auteur venait de se rendre compte qu'il était observé. Son coeur se mit à battre plus fort.
    Et de fait, tandis qu'elle restait là, incapable de faire le moindre geste, penchée de manière indécente et presque ridicule vers ce soupirail, décolleté en avant et fesses en l'air, tandis que l'anxiété lui tordait les tripes, l'homme avança son visage vers elle, et elle le vit enfin.
    A l'instant où leurs regards se rencontrèrent, elle sut - pour une raison qui lui échappait totalement - que cet instant était l'un des plus importants de toute sa vie, malgré son incongruité extraordinaire...
    Tout en restant immobile, face à ce regard troublant, elle bafouilla lamentablement quelque chose d'incompréhensible, comme si tout son tempérament de feu venait de partir en fumée par un orifice inconnu de son être... Quand même pas à cause de sa position ?
    L'homme avait un visage un peu bourru, comme celui d'une personne dont le corps a travaillé pendant toute sa vie. Une vie qui ne datait pas d'hier, car incontestablement, il n'était pas tout jeune, et sa peau était quelque peu épaisse et ridée, et ses cheveux uniformément gris. Une cigarette éteinte lui pendait au bec, et elle s'agita de haut en bas lorsqu'il demanda d'une voix presque caverneuse :
    "Ben vous faites quoi là, dehors ?"

4 - Un parloir inattendu

    "Alors, vous faites quoi ? insista-t-il.
    - Euh, je... ne fais que passer... J'ai juste entendu du bruit comme ça et...

    L'homme la considéra avec calme, levant sa main pour venir triturer la cigarette éteinte qui pendait entre ses lèvres.

    - Vous ne ressemblez pas à ces zonards et ces drogués qui traînent dans le parc la nuit, commenta-t-il, toujours avec une certaine impassibilité. Mais ça ne dit pas ce que vous faites là. On ne se perd comme ça en ville, en pleine nuit, sans avoir une bonne raison...
    - Je n'ai pas particulièrement de raison, répondit-elle. Je n'arrivais pas à dormir, alors j'ai décidé de sortir, voilà tout.
    - Ça, c'est ce que vous vous racontez à vous-même, et que vous raconterez aux naïfs, mais pas à moi, affirma-t-il avec assurance, la considérant dans la position incongrue qu'elle maintenait. Et puis vous feriez mieux d'entrer, je vais vous ouvrir.
    - Entrer ? Pourquoi je vous ferais confiance ?
    - Pourquoi pas ? répondit-il avec malice. On ne se promène pas de cette manière sans avoir un but, même si on n'en a pas conscience. Je vous propose de vous aider à découvrir ce but...

    Perplexe, persistant dans sa position ridicule pour pouvoir continuer à dialoguer face à face avec cet inconnu, à travers le mince soupirail, elle réfléchit un instant. Les paroles de cet homme étaient bien sibyllines, mais n'importe quoi valait mieux que de rester ici à quatre pattes, après tout. Elle se retourna brièvement, soudain inquiète d'être observée, et hocha finalement la tête.

    - Bon d'accord, fit-elle. J'entre, mais juste un moment.

    L'homme tritura encore un instant sa cigarette éteinte et lui indiqua une direction.

    - Par là. Longez le mur, je vais vous ouvrir la porte de service, sous les escaliers."

    Elle se dirigea donc vers celui-ci, bien qu'emplie de méfiance...


5 - Dans le ventre du musée

    La petite porte à moitié dissimulée sous les escaliers pivota en grinçant quelque peu, et lui livra le passage. Elle s'avança alors dans un espace sombre et étroit avec quelque appréhension, distinguant à peine l'homme qui lui tenait la porte, et la referma lentement derrière elle lorsqu'elle fut entrée.

    Elle se trouvait dans un minuscule vestibule qui n'était éclairé que par la lumière d'un couloir adjacent. D'un geste, l'homme l'invita à s'engager dans celui-ci, et elle s'avança, quelque peu repliée sur elle-même instinctivement, à cause de l'exiguïté de l'endroit. Elle ne se redressa qu'une fois parvenue au milieu du couloir, lui aussi plutôt bas de plafond.

    L'homme la suivait en silence, à quelques pas, et lui indiqua le sens à suivre. Elle s'engagea donc de ce côté là du couloir, qui était couvert d'un lattage de bois verni. Au bout, une porte ouverte, qu'elle hésita à franchir, ralentissant. Une fois de plus, son hôte l'encouragea à avancer, et mettant un premier pied dans cette pièce, elle découvrit un vaste espace qui était complètement encombré d'établis et de rayons de bois sur lesquels reposaient des entassements d'objets hétéroclites qui s'accumulaient littéralement jusqu'au plafond.

    Elle eut du mal à accomplir un autre pas à l'intérieur de la pièce et à se stabiliser, tant elle était sidérée par cet invraisemblable capharnaüm. Elle qui croyait que cela commençait à être en désordre, chez elle...

    " C'est... c'est quoi cet endroit ? osa-t-elle demander, en espérant ne pas être vexante, tandis que son regard incrédule courait d'un tas à un autre, ne parvenant réellement à identifier aucun objet tant la confusion du lieu contaminait son esprit.

    - C'est l'atelier de réparation du musée, fit l'homme qui venait de se placer à ses côtés, examinant à son tour les lieux comme si cela lui permettait de les redécouvrir. Ou plus exactement une partie.

    - Une partie ? demanda-t-elle en se tournant vers lui pour le jauger, de plus en plus stupéfaite.

    - Une toute petite partie des sous-sols du musée, même.

    Elle fut tentée de s'aventurer au milieu de ces improbables tas de choses, mais quelque chose l'en retenait, comme la peur de s'y perdre, de toucher ou faire tomber quelque chose. C'était bien cela., elle se sentait comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Simultanément, étrangement, elle se sentait attirée par ces amoncellements repoussants comme s'ils l'invitaient à faire connaissance avec eux, à commencer dors et déjà à s'y  familiariser, comme si désormais, elle allait devoir entamer avec ces lieux une longue et durable relation. Cette idée lui paraissait tout à fait absurde, pourtant elle s'attachait à elle comme elle se serait accrochée à un fil d'Ariane dans un labyrinthe qui menaçait dangereusement de l'égarer.

    Elle resta donc sur place, comme coincée, les mains croisées devant son ventre, les pieds joints et les yeux écarquillés.

    - Vous vous habituerez... annonça l'homme comme s'il avait perçu son malaise.

    Il s'avança le premier dans une allée, d'un pas nonchalant, puis se tourna vers un établi qu'il contempla d'un regard impénétrable.

    - C'est ici que vous travaillez ? tenta Malice.

    - Exact.

    - Vous y travaillez seul ?

    - Il arrive que j'ai besoin de demander l'aide d'un ou deux ouvriers, pour des travaux de grande ampleur, mais en général je me débrouille pour rester seul ici...

    - Il y a l'air d'y avoir énormément de boulot...

    - Pas tant que ça, lâcha-t-il avec un sourire amusé. En vérité, il y a juste assez de boulot pour me permettre d'aller tranquillement à ma retraite.

    - Je vois, répondit-elle, ne voulant pas dire de bêtise et préférant ne pas en rajouter.

    Elle se tordit quelques instants sur place en essayant de faire le point sur les tas d'objets, laissant parfois son regard se poser sur son hôte, silencieusement occupé à examiner quelques pièces de tissu entre ses doigts. Gênée, elle hésita avant de se décider à l'interpeller.

    - Vous m'avez dit que vous m'aideriez à trouver pourquoi je suis arrivée ici...

    - Oui.

    - Et comment vous comptez faire ça ? insista-t-elle devant sa réponse laconique.

    - Je n'ai pratiquement rien à faire... Regarde autour de toi. Tu penses qu'on arrive dans un endroit pareil par hasard ? Tu es dans l'un des coeurs de la ville...

    - Un coeur de la ville ?

    - Oui... Cet endroit contient des mémoires anciennes et incontournables...

    - Mais enfin expliquez-moi un peu ce que vous voulez dire ! s'énerva Malice, cédant à son impulsivité.

    - Patience, patience... La patience est la clef de beaucoup de transformations...

    - Transformations ? fit-elle en haussant, puis fronçant les sourcils.

    - Tu as déjà entamé ta transformation aujourd'hui. Mais tu ne t'en rends pas encore compte...

    - Qu'est ce que vous me chantez là ?

    - Un événement vient de marquer ta vie, je me trompe ?

    - Non... Je viens de quitter mon travail...

    - Eh bien voilà... Tu quittes un travail pour entrer dans un nouveau travail...

    - Vous voulez dire que je suis censée travailler ici ?

    - Pas exactement... Mais le prochain travail que tu auras à accomplir va principalement se dérouler ici, oui...

    - Ici...

    Elle considéra les tas d'objets que ses yeux ne parvenaient pas à distinguer les uns des autres. C'est seulement à ce moment là qu'elle réalisa qu'une bonne partie de ces entassements confus étaient largement constitués de ce qui semblait être des morceaux de marionnettes.

    Des bouts de tissu, des fragments de cuir, des pièces de bois, des morceaux de chiffon, des perruques éparpillées, des vêtements plus ou moins décousus, des chaussures dépareillées, des fils entremêlés et autres tiges éparses s'étalaient devant son regard.

    - Des marionnettes... Mais qu'est-ce que je peux bien avoir à faire avec ça..."

6 - Errements apparents

    "A toi de le découvrir, fit l'homme, énigmatique.

    Comme elle se tournait vers lui pour l'interroger du regard, elle se rendit compte qu'il avait du s'éloigner, puisqu'il n'était plus dans son champ de vision. On ne le voyait plus dans l'allée, et elle eut beau chercher autour d'elle, elle ne le vit pas non plus. Cela l'inquiéta quelque peu, bien qu'elle se doutât qu'il se trouvait probablement quelque part dans une allée voisine, et elle décida de revenir vers l'entrée de la pièce pour avoir une meilleure vision d'ensemble.

    Elle se décala pour regarder les quelques allées, les unes après les autres, mais elle ne le vit toujours nulle part.

    - Eh, où êtes-vous ?"

    Pas de réponse. Elle réexamina chaque allée, essaya de voir si il y avait d'autres issues, mais d'ici, elle ne pouvait rien voir distinctement, au milieu de ces fatras de choses qui allaient jusqu'à obstruer la lumière provenant du plafond, assombrissant l'ensemble de la pièce.

    Personne en vue. Elle s'avança dans une allée qui longeait l'un des longs murs de la pièce, timidement, à pas mesurés. La lumière faible qui baignait la pièce lui donnait décidément une allure particulière, obscure et confuse, qui lui donnait légèrement le tournis.

    Toujours personne. Mais elle ne renonça pas à chercher, et continua à suivre cette allée, avec l'impression que ses jambes avançaient comme dans du coton.

    Cela était si étrange qu'elle baissa les yeux vers ses pieds pour vérifier que rien ne les entravait. Cependant il paraissait n'y avoir rien d'anormal par ici. Elle ressentit le besoin de s'appuyer d'une main contre l'un des établis. Cela la soulagea, lui sembla-t-il.

    Tandis qu'elle soufflait ainsi, son regard se posa sur un curieux petit jouet qui traînait au milieu de quelques chiffons. C'était un petit lapin blanc en plastique. Un vulgaire jouet mécanique qui la fixait de son oeil de rubis de pacotille. Pourtant cela la troubla, sans qu'elle puisse dire pourquoi.

    Peut-être était-ce cette sensation de s'embourber un peu plus à chaque minute, comme si ses sens s'empâtaient peu à peu dans un sommeil inexplicable. Elle bâilla. Puis sa main se tendit vers le lapin d'à peine quelques centimètres, comme dans un rêve. Elle le saisit, le retourna devant ses yeux, réalisant que ceux-ci ne voyaient plus tout à fait clair. Dans le flou, elle avait l'impression que le petit lapin tournait vers elle de bien vivantes pupilles. Intriguée, elle se résolut, sans plus réfléchir, à tourner la petite clef en plastique qu'il avait dans le bas du dos, et reposa le jouet déjà grésillant sur le plan de bois.

    Il se mit aussitôt à sautiller en cliquetant, d'une démarche mécanique qui paraissait pourtant presque intelligente. Ses boitillements mécaniques et plus ou moins désordonnés l'entraînèrent vers un tas d'objets et de chiffons qui formaient un orifice aux contours étrangement bien délimités pour quelque chose de fortuit...

    C'est dans ce trou que le morceau de plastique claudiquant s'engouffra et disparut. Juste avant cela, son regard lança un éclat carmin pareil à une oeillade lutine.

    Elle sursauta. Etait-ce vraiment possible ? Tandis que sa vue devenait de plus en plus floue, et que ses sens troublés la plongeaient dans une confusion de plus en plus profonde, elle considéra qu'il fallait au moins vérifier et abaissa son regard à hauteur du trou...




7 - Canaux et terriers

    C'était comme si sa conscience, ou son âme, était aspirée par ce trou. En un instant, elle ne se trouvait plus dans l'atelier...

    Un vortex noir l'avala brutalement, et s'ensuivit une sorte de marée multidimensionnelle d'étoiles scintillantes et de flashs furtifs. Plongée dans un état ou presque tout lui semblait égal, au point de vue émotionnel, ce qui était tout à fait nouveau pour elle, c'est avec une froideur dénuée de tout humour et de toute crainte qu'elle compara ces manifestations lumineuses à celles que l'on voit dans les dessins-animés, lorsqu'un personnage est sonné ou assommé.

    Ces lumières féeriques tournoyèrent autour d'elle pendant un temps indéterminé, et elle réalisa qu'elle avait pratiquement perdu toute notion de son corps physique, en plus de la déconnexion de ses émotions. Elle en ressentit une légère angoisse, et paradoxalement, l'émergence de cette angoisse la rassura un peu, lui rendant l'impression de n'avoir pas entièrement perdu contact avec la réalité.

    Déjà les questions se pressaient. Que lui était-il arrivé pour qu'elle se retrouve ainsi comme séparée de son corps ? Pourquoi se sentait-elle comme assommée et émotionnellement passive face à cette chose extraordinaire ? Elle songea qu'elle avait peut-être pris un coup derrière la tête alors qu'elle se baissait, et qu'elle était simplement en train d'en subir le contrecoup. Mais dans ce cas, comment pouvait-elle en être consciente ?

    Aux questions succédèrent une sorte de panique progressive. A mesure que  les questions l'envahissaient et que les réponses n'arrivaient pas, dans cette situation inhabituelle, son esprit s'emplissait, s'encombrait d'un amas de doutes et de craintes, et son mental s'emballait. Et si l'homme était venu la frapper ? Et si elle devenait simplement folle ? Et si... Et si...

    Une étrange sensation de vertige l'envahit alors. Elle réalisa que ce qu'elle percevait dans son champ de vision avait changé. Les flashs et les étoiles avaient laissé place à une sorte de canal sombre au fond duquel elle apercevait quelque chose. Etait-ce un morceau de paysage ? Un décor ? Elle avait l'impression d'évoluer dans ce canal, de le suivre, et d'avancer vers cette image qui se précisait.

    Tout d'un coup elle surgit à l'intérieur de cette image, comme un personnage dans une bande-dessinée ou un dessin-animé. Elle était dedans, toute entière, pas seulement son âme ou sa conscience. Elle y était toute entière, et pouvait même sentir la fraîcheur de l'air contre sa peau. Il lui semblait qu'elle portait toujours ses vêtements, mais pour une raison inconnue, elle ne pouvait regarder son propre corps comme elle aurait normalement du pouvoir le faire. Elle ne parvenait pas non plus à se toucher elle-même comme elle l'aurait du. C'était comme dans un rêve, mais ne s'attachant pas à cette idée, elle réalisa que son coeur battait plus fort à présent.

    Essayant de conserver son calme, elle considéra le décor qui l'entourait. Cela ressemblait tout à fait à une lande pelée. Une sorte de grande prairie à l'herbe courte, d'un vert mêlé de gris et de jaune, qui recouvrait un sol plissé de bosses jusqu'à l'horizon. Il y avait aussi quelques petits arbres tordus et pauvrement étoffés de feuilles jaunes, des touffes d'herbe couleur paille et quelques cailloux ici et là. Au-dessus d'elle, le ciel n'était qu'une nappe de nuages blancs ou gris clairs.

    Essayant de se concentrer, alors que sa vue fluctuait, un peu comme si elle se trouvait sous l'eau, elle remarqua, à la base de l'une des nombreuses bosses arrondies, un terrier. De l'intérieur de celui-ci la fixait un rubis scintillant, note de couleur la plus marquante de ce décor. Etait-ce le lapin ? Etait-elle censée le suivre ? Ce terrier paraissait beaucoup trop petit pour elle...

    Toutefois, ne voyant guère ce qu'elle avait de mieux à faire ici, elle s'en approcha à pas comptés. L'oeil la fixait, ne cillant que très rarement, mais incontestablement vivant et doué d'intelligence. Son coeur ne se calmait pas, battant toujours assez fort, bien que la sensation de panique se fut pratiquement évanouie.

    Se courbant, comme précédemment dans l'atelier, s'étonnant quelque peu de la situation mais pas plus que cela, elle essaya de voir dans le terrier. Elle se trouva parfaitement ridicule, ne sachant pas du tout comment elle avait pu atterrir ici, mais bizarrement, elle ne se sentait pas plus déstabilisée que cela. C'est comme un rêve, pensa-t-elle. Et plus elle y songeait, plus cette idée s'imposait fortement à elle.

    Cependant le museau du lapin, qui apparut à l'entrée du petit terrier, attira son attention. Ses vibrisses s'agitèrent dans la fraîche brise, alors qu'il humait l'air. Il avait l'air bien plus gros, et bien moins en plastique que le lapin qui était dans l'atelier. Pouvait-ce quand même être le même ?

    Quel rêve étrange, songea encore Malice. Le museau du lapin se retira plus loin dans le terrier, et elle avait nettement l'impression, sans pouvoir s'expliquer pourquoi, qu'il l'invitait à le suivre. Mais c'était ridicule. Elle aurait à peine pu glisser son bras dans ce terrier...

    Ce ne pouvait qu'un rêve. Un bien étrange rêve. Elle devait en sortir.

    L'oeil écarlate lui apparut, plus loin dans le terrier à présent. Le suivre ? S'y engouffrer ? Non. Sortir de ce rêve, plutôt.

    Toutefois, elle se courba davantage, dans l'espoir de distinguer un peu l'intérieur du terrier. Rien d'autre que deux yeux rouges. Ceux d'un jouet. Un jouet avec des poils et des moustaches ? C'était absurde. Son coeur sembla s'affaiblir. Elle devait s'extirper de ce rêve, ne pouvant plus y croire.

    Sortir maintenant. Se concentrer. Respirer calmement, ouvrir les yeux. Retrouver l'atelier ? Ou son lit ? A quel moment avait bien pu commencer ce rêve, au fait ? Elle avait du rêver tout cela. Elle n'était certainement jamais sortie de son lit, et elle avait tout imaginé, de son cheminement dans les rues de la ville jusqu'à l'atelier et cet homme dont elle ne connaissait même pas le nom, réalisa-t-elle.

    Le lapin continuait de la narguer du fond de son terrier. Mais tout cela était trop irréel, et d'ailleurs le décor s'assombrit, comme sous l'effet d'un nuage plus épais. Elle se sentit soudain comme happée, aspirée, et elle réalisa que tout son corps retournait vers le canal noir et ses phénomènes lumineux.

    Bientôt elle allait se réveiller dans son lit, soulagée. La lande avait maintenant complètement disparu, et elle s'éveillerait avec juste un peu de vertige et des fourmillements lumineux devant les yeux. Comme pendant une migraine, ou ce genre de chose.

    Tandis qu'elle voyageait à travers ce canal, l'engourdissement de ses sens se manifesta à nouveau, mais de manière beaucoup plus courte qu'à l'aller. Déjà elle retrouvait l'usage de ses sens, les sensations familières de son corps, puis une lourdeur. Celle de la pesanteur ?

    Et autour d'elle, une faible lumière. Chaude, rassurante. La fraîcheur de la lande avait laissé place à la douceur d'un intérieur douillet. Sa chambre ?

    Non. L'atelier. Elle s'y tenait, debout, les deux mains appuyées sur l'établi. Le lapin était là, inerte. Mais il n'y avait pas de trou.

    Et aussi, une présence. Proche d'elle. Se sentant encore quelque peu engourdie, elle fit lentement pivoter sa tête de ce côté là. L'homme était là, près d'elle, et la regardait d'un air bienveillant, calme, avec peut-être un très léger sourire au coin des lèvres.

    "J'ai rêvé, affirma Malice.

    - Non.

    - Non ? Je crois que j'ai perdu connaissance...

    - Perdu connaissance ?

    Il émit un rire qui la décontenança. En quoi était-ce drôle ?

    - Tout va bien, continua-t-il. Tu n'as pas perdu connaissance. Tu as eu un aperçu de la connaissance, au contraire...

    Elle le considéra avec étonnement et incrédulité, fronçant les sourcils. Et tout d'un coup décida de lui poser la question qui lui était venue à l'esprit quand elle était "là-bas".

    - Mais qui êtes-vous, au fait ? Qui êtes vous vraiment ?"

8 - La bonne question

    "Qui êtes vous vraiment ?

    Il lui lança un sourire qu'elle sentit un peu narquois.

    - Quelle est l'importance de cette question et de sa réponse au fait ? Faut-il que tu me fasses confiance pour pouvoir admettre ton vécu ? Je ne suis que ce que tes yeux peuvent voir et ton intelligence peut comprendre. Et peut-être un petit peu plus encore, qui sait.

    Elle le regarda avec de grands yeux pleins d'incompréhension. Sans doute avait-elle été trop habituée à un monde rationnel avec des frontières et des repères bien délimités, pour pouvoir saisir l'ampleur et le sens profond de sa réponse. Elle en resta interdite pendant un long moment.

    - Tu voulais peut-être plutôt me demander qui je suis pour toi, suggéra-t-il avec malice.

    Elle le considéra avec toujours autant d'étonnement, quoiqu'elle sentit que, peut-être,  elle allait enfin toucher à quelque chose de sensé dans tout cela.

    - Oui enfin je veux savoir pourquoi vous me dites tout cela... Vous avez l'air d'en savoir long, et je ne comprends vraiment pas ce qui se passe en ce moment...

    - Tu es encore jeune, admit-il. Mais bientôt tes sens et ta raison s'habitueront à bien des nouvelles choses que tu ne soupçonnes pas encore. Cependant je sens que tu en as assez eu pour aujourd'hui... Tu devrais rentrer chez toi et prendre du repos. Changer de vie demande du temps d'assimilation, avant que la sagesse puisse vraiment t'éclairer.

    - La sagesse ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils de plus belle.

    - Peu importe ce que ce mot veut dire pour toi. La seule chose que je puis t'affirmer c'est que tu t'apprêtes à connaître bien des bouleversements.

    Bien des bouleversements ? Comme si se retrouver sans travail aussi brusquement n'était pas suffisant, se dit-elle.

    - Allez va, repose toi, c'est le week end pour les gens de ce monde, et cela te laisse le loisir de réfléchir à tout cela...

    Elle voulut articuler une nouvelle question qui lui brûlait la langue, mais elle avait le sentiment qu'elle n'aurait rien de précis de cet homme pour le moment... Elle se ravisa donc, et se prépara à débarrasser les lieux illico.

    - Bon d'accord, fit-elle, retrouvant un peu de poil de la bête. Mais mon vieux, tu me reverras bientôt ! s'exclama-t-elle en lui jetant un regard déterminé et pétillant.

    Il répondit par un sourire discret et amical, sans plus. Elle le fixa encore un instant, puis constatant qu'il ne semblait rien vouloir ajouter, tourna les talons et se dirigea vers la sortie. Avec hésitation. Par où était-elle entrée, déjà ?

    - C'est par ici", fit-il d'un air amusé.

    Et il la guida vers la sortie en toute simplicité. Simplement un rapide au-revoir, et c'était fini, elle était lâchée en ville, sous les premières lueurs de l'aube.

10 octobre 2007

Une journée

    Il y a des journées qui nous marquent plus que les autres. Des journées où la magie de la vie opère, comme pour vous mettre sur la voie. Ces journées où il suffit de se laisser porter pour que tout se ligue pour éveiller votre esprit. C'est pourquoi j'ai voulu vous raconter le début d'une de ces journées, ce mercredi 10 octobre 2007.

    Il avait pourtant très mal commencé. Encore plus épuisé que je ne croyais par la formation que je suis, je n'ai pas pu sortir du lit avant 14 heure. Je m'étais pourtant promis de me lever à 11h au plus tôt pour pouvoir entamer les démarches que j'avais à faire...

    Au saut du lit, j'ouvre les volets et c'est sans surprise que je constate qu'il fait très gris dehors. Je regarde en bas de la rue. Les pavés sont un peu humides. Il a du pleuvoir... Et je dois sortir pour faire mes démarches pendant toute l'après-midi... C'est en tout cas ce que j'estime à ce moment. Comme toujours quand je me lève aussi tard, j'ai l'impression de n'avoir pas vraiment récupéré, en plus d'un mal de tête lancinant qui menace d'augmenter si je ne m'hydrate pas et ne m'alimente pas. Mais ma vaisselle n'est pas faite, et en plus j'ai oublié de faire les courses hier. Pas moyen de me faire quelque chose de rapide. Et puis le temps passe, il faut que j'aille rechercher un entretien de stage avant que tout ne soit fermé.

    Bon... Quand faut y aller, faut y aller. Je regarde par la fenêtre. Et voilà il pleut... Juste au moment où je dois sortir. Je vais prendre un parapluie. Et puis non pas de parapluie, j'ai horreur de ça. Je prends mes affaires et sort donc sous la pluie. Avant ça, j'ai repéré plusieurs entreprises à démarcher. Elles sont loin... Des heures de marche en perspective si je dois toutes les voir.

    C'est là que la magie commence à opérer. Alors que je commence à marcher, la pluie s'arrête. Elle ne reparaîtra plus de l'après-midi... Je vais d'abord m'acheter de quoi manger sur le chemin, et finalement, il ne me faut que 10 minutes pour parvenir à la première entreprise. Elle est au tout début de la longue avenue que j'avais repéré... J'avais peur qu'elle soit à l'autre bout. Je songe même que, comme la semaine dernière, je vais croiser des gens de ma formation par hasard en ville... Mais dans une ville de cette taille, une telle rencontre serait fortement improbable. J'oublie alors cette idée, et m'autorise à flâner un peu. Le stress n'aide pas à être à l'aise quand on veut aborder quelqu'un. Je remarque l'architecture du quartier, qui me plaît beaucoup. Architecture de début de 20e siècle, colorée et élégante, vivante même. Et même un miracle, je repère un bâtiment que je n'avais jamais vu. Très joli. Une pancarte d'explications pour touristes explique que c'est un immeuble de style art déco, et donne toute son histoire, de sa construction dans les années 30 jusqu'à son utilisation pour un restaurant haut de gamme en passant par la triste période de l'occupation nazi.

    Mon bond dans le temps a commencé...

    Je continue de flâner un peu, puis me décide à aller voir l'entreprise que je voulais démarcher. Pas moyen d'avoir un entretien aujourd'hui, mais j'arrive à obtenir un rendez-vous pour demain. J'ai peine à y croire, cela fait 9 jours que j'espérais en avoir un, et là paf du premier coup...

    Du coup je ne suis plus obligé d'aller voir les autres entreprises, mais je ne réalise pas encore que le temps s'ouvre devant moi... Je décide d'aller en voir une seconde, qui n'est pas trop loin d'ici. J'y suis 20 minutes plus tard, mais il n'y a rien. Le numéro de la rue qui correspond à l'adresse que j'avais est le plus anonyme qui soit. Même pas un nom, un interphone, rien. Je pousse la porte, et une fois dans le couloir de cet immeuble plutôt charmant, mais sombre, je réalise qu'il s'agit d'une entreprise familiale. Sur la boite aux lettre deux noms : un homme, une femme. Un couple. C'est mignon, je me surprends à sourire. En  d'autres temps, c'est l'aigreur qui aurait été ma première réaction...

    Du coup je me sens bien, mais je n'ai pas envie de les déranger. Je n'ai rien à leur apporter, ils sont peut-être occupés, et puis j'ai déjà le rendez-vous qu'il me fallait. Je décide de laisser là et je ressors. J'ai finalement la journée à moi, moi qui me voyait engagé dans une journée grise et éprouvante... Mon esprit se libère...

    Alors que je commence à prendre le chemin du retour, je sens que l'automne me parle. Je lève les yeux vers le ciel. Il est gris. Mais il ne menace pas. Il est doux, bienveillant. Je sens une émotion profonde me prendre. La fraîcheur et l'humidité de l'air m'éveillent, et j'ai les larmes aux yeux. Je réalise que je suis comme en osmose avec l'automne. Est-ce que ce sont les divinités qui s'adressent à mon coeur ? Je me prends à aimer ce ciel gris et cette humidité environnante...

    Un jour on m'a dit qu'on ne pouvait pas vivre son paganisme en ville. Quelle idiotie. Le ciel toujours au-dessus de nos têtes, et la terre toujours en dessous de nos pieds. Où que l'on aille, les divinités sont présentes, le divin nous sourit si l'on veut bien s'y ouvrir.

    Je fais demi-tour en me rappelant qu'il y a mon cimetière préféré à deux pas de là. Les gens n'aiment pas les cimetières en général. Ils ont tort. Les cimetières sont plein d'une tristesse qui n'est là que comme un voile. Il suffit de relever un coin de ce voile pour voir au derrière la splendeur de la vie, et entrevoir la joie qui l'accompagne, aussi.

    Tandis que je marche par là, je commence à réaliser que le voile du temps est lui aussi en train de relever l'un de ces coins pour moi. Je me sens serein et heureux tout à coup, comme si je relâchais la pression de ces dernières semaines, comme si ça n'avait plus de sens, dans la bulle dans laquelle j'étais en train de m'immerger. Je croise une église. Le portail est fermé, dommage. J'aperçois une affichette qui déclare que c'est ouvert seulement le dimanche à 9 heure. Désormais il y a des horaires pour la spiritualité... Je ne m'en soucie pas, bientôt hors du temps pour ma part.

    Il y a des travaux devant le cimetière, et aussi des enfants qui jouent au foot sur un petit terrain de quartier, bordant le cimetière. Ils sont bruyants et je crains un instant qu'ils ne dérangent la tranquillité de ma ballade. Puis j'oublie. Ils ont bien le droit de s'amuser, c'est mercredi après tout.

    A peine entré que j'aperçois une pie. Superbe. L'un de mes alliés chamaniques. J'avais presque oublié que ce cimetière est l'un de leurs lieux de villégiature. Elles ont bon goût, en tout cas de mon point de vue. Elle s'envole soudain, presque à l'horizontale dans l'une des allées. Pas besoin de chercher, je vais par là, que ce soit un signe ou non.

    Petites tombes grises et blanches. Je les entends criailler. Elles sont au bout de l'allée. J'en vois trois... Non, quatre ! C'est un véritable enchantement, pour moi. J'aime tellement ces oiseaux si particuliers, et si décriés. Comme moi, peut-être... Qui ne ressent aucun malaise à me trouver dans un cimetière. Juste de la sérénité et de l'émerveillement. J'ai le sentiment qu'ici réside l'un des vrais mystères de la vie. On les cherche dans la science et dans l'expérimentation alors que tout est là, à portée de la main, des yeux, et du coeur...

    Pourtant il n'y a personne. Pas la moindre âme qui vive, serais-je tenté de dire. Plus tard j'apercevrais deux personnes, au loin, puis un ouvrier avec une brouette. Et ce sera tout,  avant que des arbres m'attirent à un autre endroit du cimetière. Il est grand et ils sont petits. Je n'ai pas la moindre idée de quel type d'arbre il s'agit. Je ne suis qu'un enfant de la ville, et j'ai tendance à me dire que peu importe le nom que l'on donne aux choses. Ce qui importe, c'est ce qu'elles sont vraiment. L'ours ne sait pas non plus quel nom porte l'arbre auquel il se frotte. Il sait seulement que cet arbre fait partie du même univers que lui, qu'ils ont beaucoup de choses en commun, peut-être... C'est ce que je ressens en les voyant. Et puis ces arbres m'ont attiré là où sont les pies que je suivais depuis un moment, mais avais fini par perdre. Cette fois-ci elles s'en vont et me sèment définitivement.

    Il reste cependant une âme animale qui vive, ici. Une femme, qui est venue s'occuper d'une tombe. Je me suis assis sur un muret et l'observe de loin. Elle époussette la tombe, puis va chercher de l'eau à la fontaine pour son bouquet de fleurs. Pendant ce temps, sans cesser de l'observer, je songe au temps. Le cimetière domine toute une partie de la ville et je me laisse imprégner par les images sublimes que je vois.

    Un grand nuage gris, de la taille d'une montagne, est en train de caresser le sommet d'une colline lointaine : ses immeubles, ses près verts... L'espace qui m'en sépare est d'un gris sombre et transparent, et je devine que là-bas il pleut. C'est magnifique et tout mon être est emporté par cette vision... Dans le coin, contre une tombe, il y a un petit crucifix en marbre gris. Il s'est brisé et le christ en métal pend à moitié, les pieds sectionnés... Sûrement le gel hivernal qui a eu raison du marbre, et l'humidité du métal, classique. Le temps brise même la pierre et le métal... Au loin, une grue s'active. Je me demande combien de temps ce qu'elle construit résistera. Des années, des siècles ? Probablement pas plus, en tout cas...

    Regardant à nouveau le paysage couvert d'une chape de nuages plombés d'humidité, je me prends à rêver de ce que devaient voir nos ancêtres ici. C'est tellement beau. Ça devait l'être encore plus sans tout cet urbanisme qui couvre la moitié du sol que je peux apercevoir d'ici... Quels animaux peuplaient ces collines ? Quelle allure la végétation y donnait ? Quels cultes païens s'y livraient donc ? J'en ai bien une certaine idée, pour avoir déjà étudié cela...

    Lorsque je ressors de cette rêverie, je réalise que la froideur et le vent ont pratiquement chassé ma migraine qui traîne depuis le début de l'après-midi, magie parmi les magies, et que la femme est toujours là, finissant son oeuvre. Elle n'a pas l'air très âgée, peut-être la petite quarantaine. Elle est seule. Pas d'enfants pour l'accompagner. Sont-ils trop jeunes ou trop vieux, ou n'en a-t-elle tout simplement pas ? Je ne sais pourquoi je m'interroge à son sujet. Est-ce du voyeurisme ou est-ce par humanité ? Je crois que j'aimerais en savoir plus, sur sa vie, comme si cela pouvait me rassurer, atténuer mon impression que nos villes ne sont pas vraiment peuplées par des individus à part entière mais par des personnes-fourmis qui foisonnent sans vraiment de but ni de sentiments. Je sais que c'est absurde. Cette femme ne peut pas nettoyer cette tombe juste par atavisme. Je pourrais même attendre qu'elle parte pour aller voir qui elle va veiller. Un mari décédé ? Sa mère, son père ? La date pourrait m'en apprendre plus. Mais je trouve cela malsain d'enquêter sur une personne, fut-ce une inconnue, sur un point de détail, et puis je ne suis pas un scientifique. Tout savoir sur tout ne m'intéresse pas. La réalité a besoin d'un voile de mystère. Encore un voile.

    Je me lève alors et m'en vais, croise quelques personnes à la sortie, et réalise que la femme est aussi en train de s'en aller, ayant pris un autre chemin. On descend la rue, chacun sur un trottoir, dépassant un bistrot nommé "desert inn", l'auberge du désert. Amusant. Puis je replonge progressivement vers les tréfonds de la ville. Voitures agressives, bruyantes. Je me rappelle que dans le cimetière j'entendais la rumeur puissante mais discrète, des routes et autoroutes qui passent dans les parages... Un bruit qui ne parvenait pas vraiment à troubler la tranquillité des lieux, et encore moins le repos de ceux qui ont franchi la limite. Un peu plus loin, je crois la rue qui se nomme "rue du repos", d'ailleurs. C'est sans doute voulu. Amusant aussi, et plutôt poétique, je trouve, comme nom.

    J'aperçois un passage pavé, sous des immeubles. On dirait une petite ruelle médiévale, que je ne connaissais pas. Elle est magnifique, et j'ai envie d'y entrer pour ralentir mon retour à la brutale et oublieuse civilisation... J'y vais. Malheureusement au bout de quelques pas, un chien aboie. Berk, en bon félin d'esprit, je déteste les clébards. Je fais donc demi-tour discrètement, le détestant de m'avoir privé de ce plaisir et de me déchirer les oreilles de ses braillements encouragés par les humains. Servilité détestable envers une espèce qui ne me semble pas la mériter...

    Je retourne donc peu à peu en ville, fermant mon esprit. Les gens sont malades, ici, je peux le sentir, et il vaut mieux m'en protéger. Les morts sont plus sains, finalement. Un homme porte même un masque sur la bouche... Peut-être un asthmatique. Je n'avais jamais vu ça dans cette ville. Dur retour à un autre aspect de la réalité...

    Je suis bientôt chez moi, et alors même que je me dis qu'il faut que je retrace tout cela sur mon blog, j'aperçois un visage connu. La première chose que je me dis en apercevant ce sourire, c'est qu'en début d'après-midi, j'avais songé que mes pas risquaient de croiser quelqu'un de ma formation. En fait, il s'agit d'un ancien du centre de formation, que j'avais croisé à mes débuts là-bas... Coïncidence, magie, synchronicité ?

    En tout cas, on s'arrête, discute. C'est un bonhomme jovial, et il a l'air bien mieux en point que lorsqu'il suivait la même formation que moi. De quoi redonner le sourire pour de bon. Il a un certain âge et désespérait de retrouver un boulot. J'apprends qu'il en a trouvé un. Dans une branche proche de celle qui m'intéresse, qui plus est... On échange des nouvelles, puis il doit y aller, car il a rendez-vous...

    Effectuant les derniers pas jusqu'à chez moi, je songe au temps, aux échelles de temps, au sens de la vie, à l'automne, à la vie tout court... Autant de sujets philosophiques qui agrémentent notre vécu... Aujourd'hui je me sens confiant en la vie, comme je l'ai été à chaque fois que celle-ci a mis sur mon chemin des événements qui ont éveillé mon coeur et mon sens mystique, et je voulais le faire partager.

    C'est ce que je fais à travers ce modeste billet... J'espère avoir pu vous transmettre un peu du bonheur quelque peu bouleversant que j'ai vécu cet après-midi.

6 octobre 2007

Réel et Virtuel

A] LA MATIERE

    Pas écrit depuis plusieurs jours. Panne d'inspiration ? Non.

    En vérité, les idées se bousculent toujours aussi fortement, mais comment les ordonner ? Comment mettre de l'ordre dans ces intuitions, ces impressions. Comment faire parvenir jusqu'au lecteur ces visions que j'ai du monde, ces images furtives, ces instincts orageux, ces réflexions sur le vécu, sur la nature humaine pas dénuée d'animalité ?

    C'est une question que je me pose souvent lorsque j'écris, ou que j'essaye d'écrire. Les idées sont là, la structure est là, mais mon message va-t-il être reçu ? Vais-je parvenir à l'exprimer avec plus ou moins de brio ? Il y a des jours où on a l'impression de tenir une plume magistrale, et d'autres - peut-être les plus fréquents - où l'on ne produit que du laborieux et du médiocre.

    Ce billet est bien parti pour la dernière catégorie...

    En fait, je voulais vous parler du virtuel, ce domaine dont on dit qu'il est hors du réel. Mais qu'est-ce qui est hors du réel au fait ? Et qu'est-ce que le réel, d'ailleurs ? Le réel n'est-il pas l'ensemble de tout ce qui existe ? Comment peut-on alors décréter que telle ou telle chose, qui existe indéniablement, n'est pas réelle ?

    Le réel, n'est-ce que le monde matériel ? N'est-ce que cette sphère d'existence dans laquelle se meut notre corps physique, dans laquelle nous "gagnons notre vie". Le monde réel se confond-il avec le monde matériel, celui qui voit aujourd'hui mon corps fatigué, harassé par les démarches que je dois accomplir pour mon stage ?

    Si le monde réel se réduit au monde matériel, alors la réalité n'est-elle qu'une quête perpétuelle de subsistance ? C'est ce qui semble être le cas, si l'on ouvre les yeux et que l'on regard le monde qui nous entoure. C'est aussi ce qui semble être le cas dans la nature, lorsqu'on l'observe. Mais voyons, il me semble qu'il y a quelque chose qui manque à ce tableau, ça ne tient pas la route. Nos sens peuvent-ils tout percevoir ? Ne sont-ils jamais trompés ? N'y a-t-il pas, au sein même de ce que nous croyons purement matériel, une part de virtuel et d'imaginaire ?

    Dans le doute, je vais voir dans un dico, et qu'est ce que je trouve comme définition ?

    Réel :     I - Qui existe d'une manière autonome, qui n'est pas un produit de la pensée; Qui est dégagé de la subjectivité du sujet; Synonyme de matériel, physique; Qui existe, qui se produit effectivement, qui n'est pas un produit de l'imagination; Qui appartient à la nature, qui a lieu en tant que processus physique; [En parlant de phénomènes non physiques, de faits] Dont l'existence est établie, indiscutable.
        II - Ce qui existe indépendamment du sujet; Environnement matériel de l'homme; Environnement social de l'homme.

    Ainsi cela paraît plus clair. Le réel serait donc le monde matériel et social tel qu'établi par les faits connus. Tout ce qui se réfère à la subjectivité, ou est créé par la pensée, tel par exemple qu'une idée, n'est pas réel.

    C'est intéressant, car je ne crois pas à l'objectivité... L'objectivité n'est qu'un concept inventé par la subjectivité des hommes pour déterminer ce qui, de leur point de vue, correspond au monde matériel tel qu'il est observable. Par conséquent, tout ce qui échappe à l'observation ou à la déduction d'un peuple donné n'entre pas dans la définition du réel, et fausse la connaissance que l'on en a. A partir de là en découlent deux principes :

1) La connaissance que nous croyons avoir du réel, en tant qu'ensemble, fausse la définition de l'ensemble de tout ce qui n'entre pas dans le réel. Appelons le l'irréel. Par conséquent, on ne peut pas définir de limite précise au réel, j'y reviendrai plus tard.

2) Cette conception devient de fait, une conception culturelle, c'est à dire seulement partagée au sein d'un groupe ethnique ou d'une civilisation, en l'occurrence, la civilisation occidentale moderne.

    Cela conduit à dire que dans d'autres groupes ethniques, ou civilisations, ou chez des individus de notre civilisation, peuvent exister d'autres conceptions du réel. Le réel n'étant qu'un concept sans frontière nettement définissable, et dont la définition dépendra de toute façon de biais culturels, le réel devient par là-même un concept fluctuant au sujet duquel il n'y a pas de consensus.

    Il existe par exemple des peuples qui considèrent que tout est produit de la pensée, y compris la matière. Il en existe aussi qui considèrent que le monde des esprits ou les rêves, sont des choses tout aussi réelles que le pain qui nous sert à nous nourrir. De fait pour ces peuples, le rêve peut aussi être vu, d'un certain point de vue, comme une nourriture de l'esprit. Cela me conduit à rappeler que notre civilisation occidentale moderne est par essence matérialiste, et que par conséquent, cela constitue un biais pour déterminer ce qui est réel et ce qui ne l'est pas.

    Ceci étant dit, notre civilisation n'est pas pour autant à l'abri que des créations de l'esprit, ou des concepts, prennent corps dans sa réalité...

    Prenons l'exemple de la monnaie. La monnaie est-elle une chose réelle, au sens où notre civilisation l'entend, c'est à dire une chose faisant partie de l'environnement matériel et social ? Sans aucun doute, oui, puisque nous pouvons la toucher, la mesurer, la quantifier, la posséder, l'échanger contre d'autres monnaies ou des biens matériels.

    Pourtant, c'est aussi indubitablement la chose la moins réelle qui existe sur notre planète. C'est du reste ce que dit ce proverbe amérindien :

"Quand le dernier arbre aura été coupé,
Quand la dernière rivière aura été empoisonnée,
Quand le dernier poisson aura été attrapé,
Seulement alors, l'Homme se rendra compte que l'argent ne se mange pas…"

    Réfléchissons un peu. Savez-vous qu'actuellement l'essentiel de la monnaie en circulation dans le monde est essentiellement constituée de 0 et de 1, oui, mais à l'intérieur des ordinateurs des banques, des bourses, des commerces et des autres instituts financiers ? En vérité, s'il fallait convertir toutes ces valeurs, qui se comptent en milliards de milliards de  dollars, en monnaie papier ou un pièces de monnaie, il n'y aurait absolument pas assez de métal ni de papier sur Terre, pour ce faire... En clair, l'argent n'est qu'une donnée virtuelle, y compris dans notre civilisation matérialiste qui prétend délimiter le réel à l'environnement matériel...

B] LES IDEES

    "La parole est dans le commerce des pensées ce que l'argent est dans le commerce des marchandises, expression réelle des valeurs, parce qu'elle est valeur elle-même."
Louis de Bonald.

    Dans le précédent billet, j'ai expliqué en quoi notre société matérialiste repose sur un principe qui n'est qu'essentiellement virtuel, selon les préceptes mêmes de notre civilisation : l'argent.
    Les idées correspondent à peu près la même logique, puisque d'après la définition que nous avons du réel, les idées ne sont que des choses abstraites, donc irréelles. Puisque notre conception de la réalité exclut certaines choses qui ont pourtant une existence, quelle peut bien être la place des idées dans notre réalité ? Quasi-nulle ? Au contraire, tout comme l'argent, leur place est centrale.
    Que serait notre monde sans idées ? Une copie du monde animal ? Il y a fort à parier là-dessus. La pensée, les idées, sont une des choses qui caractérisent l'homme, et le poussent à vouloir dominer son environnement et imaginer des façons de le faire. Sans ce préalable, pas d'action sur la nature, c'est à dire pas d'élevage, pas d'agriculture en général, pas de médecine à proprement parler, pas de conceptions du monde, donc pas de croyances, pas de cultes, pas de production artistique et littéraire, pas d'élaboration des villes et encore moins d'urbanisme et ainsi de suite. En somme, une totale soumission à notre condition animale. Je ne veux pas disserter dans ce billet de la nature humaine, de la culture, mais simplement de la façon dont les idées façonnent le monde, et en particulier la société humaine.
    Les idées, depuis l'antiquité, déterminent la façon dont l'homme se positionne par rapport à la nature et au monde. Ce sont les idées qui poussent l'homme à discriminer les choses entre elles, à nommer tel objet ou elle créature ou encore à s'observer lui-même. Les mythes, la philosophie, les religions, la politique, sont autant de manifestations des idées. De même que les guerres. Certes la violence existe à l'état brut dans la nature, et il existe même quelques animaux qui se livrent à ce qui peut ressembler à des guerres, telles que les fourmis ou les chimpanzés, nos plus proches cousins. Cependant, il n'y a que chez l'homme que cet activité a pris une telle dimension. Non seulement son déroulement est affecté par les tactiques et les stratégies, qui sont des émanations de la pensée, c'est évident, mais surtout, on envoie les gens à la guerre grâce à des idées. C'est l'une des faces de la propagande, c'est à dire la façon de répandre les idées.
    Donc, l'homme n'agit pas uniquement parce qu'il y est poussé par des instincts, mais aussi par des idées. Il n'est nul besoin d'aller plus loin pour démontrer que ce qui est considéré comme tout à fait irréel par l'occidental, est ce qui dirige le plus sa façon de vivre, et par conséquent ce qui modifie le plus le réel lui-même.
    Peut-on décemment accepter que l'argent est réel alors qu'il n'est qu'un enregistrement de données virtuelles dans des ordinateurs, tout en considérant que les idées, qui ont elles-même donnés naissance à cet argent, et qui chaque jour changent nos vies et contribuent à modifier la réalité, ne sont pas réelles ? C'est pourtant ainsi que nous considérons les choses, en occident, du haut de ce que nous pensons être notre objectivité.
    Je pense avoir démontré que même la pensée occidentale est soumise à sa propre subjectivité, qui l'empêche de voir les choses telles qu'elles sont. Notre culture est biaisée, et orientée, comme toute autre culture, et est tout sauf objective.
    Puisque nous parlons des idées, parlons un peu de la rationalisation. Rationaliser, qu'est-ce que c'est ? Le rationnel, c'est avant tout de la logique et de la méthode, et le verbe rationaliser exprime cela de deux façons :
    Rationaliser, c'est d'abord rendre conforme à la raison, c'est à dire pour simplifier à un principe de raisonnement. Deuxièmement, c'est aussi entrer dans un système de conduite rationnel, c'est à dire basé sur une logique qui se veut efficace.
    La rationalité est au coeur de notre façon d'envisager le réel. En tant qu'occidentaux, nous ne pouvons appréhender la réalité que si nous pouvons la faire entrer dans le cadre de ce qu'on considère comme rationnel, c'est à dire surtout tangible. Tout ce qui n'existe pas de manière évidente, c'est à dire tout ce que nos sens ne peuvent percevoir ou englober, ou dont le fonctionnement apparent ne nous permet pas d'en déduire une logique que l'on peut définir et expliquer ne rentre pas dans le domaine du rationnel, et par conséquent non plus dans l'ensemble du réel.
    Il en découle que nous considérons comme irrationnelles, et par extension comme irréelles, des choses qui n'obéissent pas à des logiques mécaniques, relativement simples à définir. Ainsi la pensée elle-même, avec les fluctuations qu'elle peut connaître, n'est pas considérée comme réelle. Pourtant l'argent si, et il connaît lui aussi des fluctuations tout aussi irrationnelles dans les bourses du monde entier.
    En fait, l'occidental aime pouvoir classer les choses. C'est l'une des fonctions annexes de la rationalisation : en définissant le fonctionnement normal et connu d'une chose, on peut la classer comme l'on dit dans une case, un tiroir, etc. Le mode de pensée occidental a horreur de ce qui n'est pas facilement classable, définissable, explicable, et conduit à exclure de la logique des choses qui le sont pourtant probablement, mais d'une manière beaucoup plus complexe que ce que nous avons l'habitude d'appréhender en général. C'est ainsi que des processus comme l'inspiration ou l'imagination acquièrent un statut mystique dans nos sociétés. De même pour tout ce qui concerne l'ésotérisme ou le paranormal, que l'on considère comme magique. A chaque fois qu'interviennent les termes tels que "magie" ou "mysticisme", c'est qu'il y a une faille dans notre système de définition de la réalité.
    A bien y réfléchir, cela est assez étrange, comme façon de voir le monde... Car cela signifie que pour un occidental, toute une partie du monde, tout un pan de ce qui existe, est considéré par défaut comme n'étant pas réel, uniquement parce que cela échappe à notre sacro-sainte rationalité...
    Pour conclure ce billet, est-il nécessaire de rappeler que ce avec quoi nous envisageons le réel n'est autre qu'un phénomène classé comme irréel, c'est à dire la pensée ?
    Est-il besoin aussi de rappeler que ce qui nous sert à négocier les biens matériels est aussi un élément qui a toutes les caractéristiques de l'irréel et de l'irrationnel, à savoir l'argent ?
    Quand achèterons-nous la réalité avec nos pensées ? Il ne tient qu'à nous, qu'à nos idées, d'agir sur le réel... Ce n'est pas qu'avec nos corps que nous modifions le monde, mais aussi avec nos idées, et par conséquent avec notre imaginaire... Et c'est sur cela que je reviendrai dans mon prochain billet.

C] IMAGINAIRE ET ETAT D'ESPRIT
    Dans les deux premières parties de cette réflexion j'ai essayé de démontrer que notre réalité est largement influencée, et même composée de certains éléments qui ne correspondent pas à ce que nous avons l'habitude de considérer comme réel, ou au sujet desquels il subsiste une confusion indubitable.
    Dans ce billet, je vous proposer de continuer cette réflexion en parlant des notions de virtualité et d'imaginaire.
    Comme expliqué dans le précédent billet, la pensée et les idées sont des choses qui influencent le réel. Je vous laisse le soin de déterminer ou non si l'on doit pour autant les considérer comme réelles.
    Il existe aussi d'autres choses qui ont une influence sur nos actes, par le biais de nos humeurs, que je me plais à appeler aussi nos états d'esprit. Ces choses, ce sont les sentiments, qui sont une autre forme d'expression de la pensée.
    Mon propos n'est pas de décider si les sentiments sont des choses réelles, ou s'il y a lieu de jouer avec la composition de ce mot : senti-ment. Cela je vous laisse le soin de le faire... La seule chose qui me préoccupe, c'est que ces sentiments ont, comme la pensée en générale, une influence sur le monde.
    Pour commencer, je me rappelle avoir souvent eu des discussions plus ou moins philosophiques sur le réel et le virtuel. J'en ai tiré la même conclusion qu'au sujet de la pensée ou encore de l'argent : peu importe que ces choses soient considérées comme réelles ou pas, ce qui importe, c'est qu'elles ont un impact sur nous, notre réalité, et par extension sur la réalité en général.
    En effet, lorsque vous avez une discussion par le biais d'un espace virtuel, par exemple à travers internet, ou même un téléphone, car le téléphone n'est pas moins virtuel que l'internet, au bout du compte, tout comme un enregistrement sur cassette audio n'est pas plus réel qu'une lettre manuscrite... Donc, lorsque vous avez ce type de discussion, vous pouvez être amenés à ressentir divers sentiments ou émotions allant de la compassion à la colère en passant par toutes sortes de choses. Certains arguent que dans le monde virtuel (les espaces de discussion ou de rencontre sur internet par exemple), l'on peut faire tout ce que l'on veut, puisque ce n'est pas réel...
    Là aussi, que voilà une conception étrange des choses. Dans ces espaces, vous avez des contacts avec des êtres humains bien réels, et employez des machines tout aussi réelles afin de communiquer. Les paroles que vous échangez ne sont donc pas moins réelles que celles que vous employez dans un face à face physique... Tout au plus peut-on admettre que les échanges dans le domaine virtuel ont moins d'impact, moins de poids émotionnel qu'un échange direct, quoiqu'au bout du compte, cela varie d'une personne à une autre, selon sa sensibilité. Là encore il ne s'agit donc en aucun cas d'un fait objectif, mais d'un point de vue parfaitement subjectif qui est exprimé.
    Cependant, ce point de vue est assez répandu, et révélateur de plusieurs choses. D'abord de la conception occidentale du réel, mais cela je l'ai déjà dit. Ensuite d'une certaine nouveauté de la chose, qui nous empêche d'en prendre la pleine mesure. Il est clair qu'on n'a pas l'impression d'être réellement en contact avec un être humain lorsque tout ce qu'on constate de son existence, ce sont quelques caractère typographiés apparaissant de temps à autres sur son écran. Cependant il en va de même de tout échange humain : ce qui compte ne sont pas les concepts échangés, mais bien la manière dont on interprète les paroles, et dont la relation se noue et se développe, fut-ce à travers internet, des rapports épistolaires, directs, ou autres.
    Enfin cela est aussi révélateur au minimum d'une troisième chose : la bonne conscience que l'on se donne lorsque l'on utilise tel ou tel moyen de communication pour se défouler. On retrouve le même état d'esprit loin d'internet, dans la réalité de tous les jours, de toute façon, dès lors qu'une personne, ou un groupe de personnes, n'a pas de scrupule à utiliser un outil de manière blessante ou manipulatrice, par exemple...
    Au-delà de ces quelques considérations, l'on pourrait aussi se poser la question de l'adaptabilité de l'être humain, lui qui crée sans arrêt de nouvelles conditions dans son environnement, s'éloignant de plus en plus des conditions dans lesquelles il vivait dans la nature. On peut se demander jusqu'où cela peut-il aller, avec les nouvelles technologies, par exemple, ce qui me fait me demander jusqu'à quel point le monde toujours en mouvement que nous générons reste et restera humain...
    Mais il n'y a pas que dans les univers virtuels d'internet que notre imaginaire joue. C'est aussi bien sûr le cas à travers l'art, par exemple la création littéraire, cinématographique, etc. C'est également le cas dans le domaine de la science. Cela mène notamment à la science-fiction, qui nous fait justement imaginer ce que je disais juste au-dessus, c'est à dire la manière plus ou moins extrême dont l'homme modifie son milieu et développe ses possibilités à l'intérieur du monde, par le biais de ce qu'on appelle communément le "progrès".
    On retrouve cela dans bien d'autres domaines, citons en vrac la politique-fiction, les mythes, la symbolique, qu'elle soit ésotérique, publicitaire, ou autre, etc. Citons aussi comme contre-exemple la "télé-réalité" qui est le reflet de tout ce qu'on veut, sauf de la réalité...
    Enfin si l'homme modifie aussi profondément son environnement aujourd'hui, ce n'est pas pour autant un fait nouveau. Cela fait des millénaires que c'est le cas, et cela a toujours été ancré dans notre manière d'interagir avec le monde : en un mot, c'est dans la nature humaine.
    Ce qui change, d'une époque à l'autre et d'un peuple à un autre, ce sont uniquement les conceptions, les modalités de ces interactions ainsi que l'étendu de celles-ci. Les tabous que l'on retrouve dans la plupart des groupes humains sont par exemple des interdits dans ces interactions. Tout ce qui n'est pas interdit par ces tabous étant autorisé... Certains peuples primitifs considèrent par exemple qu'il faut le moins possible toucher la nature, sous peine de grandes catastrophes, tandis que nous en sommes encore, quant à nous, à légiférer sur le danger ou non du clonage ou des OGM, quand certains de nos pays ne sont pas tout bonnement déjà passés à l'action, sans se préoccuper que d'autres hommes nous prédisent des catastrophes à la hauteur de ce que nous aurons accompli... Et nous ne sommes pas décidés à nous réfréner, apparemment... Qui a raison ? Nous le saurons peut-être trop tard...
    Pour finir, j'en reviens à mes sentiments... En effet, notre état d'esprit vis à vis du monde, de nous-mêmes, et des interactions entre nous et ce monde, sont au coeur de cette problématique. Par exemple, selon notre tendance à culpabiliser ou à se donner bonne conscience, nous avons tendance à influer moins ou davantage, en tout cas différemment, sur notre environnement, nos congénères, etc. Aujourd'hui, nous ne pouvons réellement savoir si ces peuples "primitifs" qui ont prophétisé de grandes catastrophes, avaient raison. Ce que nous pouvons leur accorder en revanche, c'est d'avoir conservé un point de vue moral sur le monde. Selon eux, on ne peut pas faire n'importe quoi impunément. Selon nous, la rationalité dépasse toute morale divine ou immanente, puisque d'une part la culture judéo-chrétienne occidentale prétend que nous sommes les dépositaires de la nature, et que de plus nous avons collectivement rejeté les religions à la marge de nos sociétés, leur morale oppressante avec. Par conséquent, notre état d'esprit dominant est que la morale est une chose infâme, et que nous avons tout loisir de nous livrer à notre condition d'apprentis-sorciers que nous nous sommes nous-mêmes décerné... Pour autant, nous vivons dans la culpabilité de notre période coloniale, culpabilité qui nous pèse, si j'en juge par certains propos que j'ai pu lire, et qui prouve que nous avons décidément un rapport difficile aux lourdes conséquences de nos actes... Et ceci non sans raison à ce qu'il me semble.
    Enfin cela se vérifie aussi à l'échelle individuelle. L'état d'esprit influence fortement notre volonté et notre capacité de diriger notre vie. Une personne très déprimée n'aura pas cette force, par exemple, tandis que d'autres choisissent librement de se résigner sans pour autant être déprimés, pour des raisons qui leur appartiennent. De même, d'autres sont fortement actifs et démontrent une grande capacité à prendre des décisions et à prendre en main leur destin. Parmi eux, certains sont aussi hyperactifs et fuient leur réalité à travers cette attitude. Il y aurait sans doute un juste milieu à trouver, aussi bien au niveau individuel qu'au niveau collectif...
    Mais je ne tranche pas la question, et vous laisse seuls juges... Songez tout de même à Prométhée et à Cassandre, en attendant mon dernier billet sur ce sujet, qui portera sur les rêves.


D] LES REVES
    Reprenons notre filtre occidental de perception de la réalité. Selon celui-ci les rêves ne sont au pire que délires cérébraux, ou au mieux douces évasions dans un inconscient qu'il vaut finalement mieux ignorer, tant il nous inquiète...
    Pourtant les rêves sont bien plus, et bien autre chose que cela. Ils sont la porte ouverte vers nos capacités cachées, ou vers le développement de nos capacités connues, en même temps qu'ils sont l'antichambre du monde des esprits, au sens spirituel.
    Libre à chacun de le croire, ce n'est pas ce qui m'importe. Je ne souhaite que vous faire partager un autre son de cloche que celui que l'on connaît déjà et qui nous assourdit, comme si nos perceptions n'étaient pas déjà assez altérées...
    Habituellement lorsque l'on parle des rêves, le premier nom qui vient à l'esprit est Sigmund Freud, le célèbre fondateur de la psychanalyse. Loin de moi l'idée de dénigrer le formidable travail de ce précurseur, qui a effectué un défrichage impressionnant de la psyché humaine, et notamment de l'inconscient. Pourtant Freud n'a fait que réinventer le fil à couper le beurre qui était déjà connu, sous une autre forme, par des peuples pourtant considérés comme primitifs, tels que les senoïs ou les aborigènes australiens, dont la conception du monde s'est toujours articulée autour du rêve. Voici quelques liens pour approfondir à ce sujet :
http://florence.ghibellini.free.fr/revelucidea/thesemn4.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Temps_du_r%C3%AAve

    Mais mis à part ces peuples, qui considèrent le rêve soit comme l'élément fondateur du monde, soit comme la clef principale pour améliorer notre condition d'humains, on pourrait citer aussi Jung, l'élève de Freud, pour ses passionnants développements de la psychanalyse freudienne, qui permettent de la rapprocher de la vision du monde animiste des peuples dits primitifs. De manière plus surprenante, on pourrait citer René Descartes, non pas pour des réflexions qui magnifient le rêve, mais plutôt au contraire parce qu'il est le fondateur d'une pensée qui dénigre le rêve, en le plaçant parmi les illusions. Comme si le monde que l'on observe chaque jour n'en était pas une...

    En effet, le cartésianisme rationalise les différents aspects de la réalité, leur attribuant justement un degré de réalité... Par exemple une ombre serait moins réelle qu'un reflet, mais plus qu'un rêve... Alors que ce ne sont que trois manifestations différentes de la réalité...

    Tristement ce mode de pensée à contaminer toute la pensée occidentale, et est par conséquent largement à l'origine de notre façon de définir le réel, tel que je l'ai expliquée dans les billets précédents.

    Tout cela revient à donner au rêve une place de délire et d'illusion, autrement quelque d'inutile à l'humain, voire de nuisible. Il est d'ailleurs notable que nous dormons de moins en moins dans nos sociétés centrées autour du travail, et que notre qualité de sommeil s'est nettement détériorée, en même temps que différentes pathologies psychologiques explosent... Faut-il y voir un effet de notre rejet du sommeil, du monde nocturne, de ce que nous nommons les illusions, et par là même, les rêves ? Je le pense. J'estime même que nous sommes malades de notre conception matérielle et immorale du monde. Nous suivons de plus en plus de faux rêves de reconnaissance, de célébrité et de réussite, et oublions de nous réaliser pleinement, de vivre ici et maintenant, ainsi que les vertus de l'humilité et de la simplicité, sans aller jusqu'à parler de pauvreté et de sobriété, qui sont juste l'autre extrême de l'opulence extrême du monde dans lequel nous vivons, et qui ne nous rend même pas heureux.

    Pourtant, comme vous avez pu le lire dans l'un des liens proposés, sonder les rêves, et fonder son existence autour de ceux-ci n'aboutit pas du tout à une déconnexion de la réalité, mais bien au contraire à mieux s'ancrer dans celle-ci afin de se réaliser. C'est à dire que les rêves nous aident à étendre nos racines sous terre et à faire verdir nos branches vers le ciel... Equilibre entre ciel et terre, matérialité et spiritualité. Qui passe par un sommeil suffisant...

    Il est par contre vrai que se laisser aller à la rêvasserie tend à déconnecter du monde moderne... Mais ce n'est pas parce que le rêve est illusoire et mauvais. C'est parce que notre société est matérialiste et s'est donc éloignée du rêve, pour fuir toujours plus avant dans une quête déraisonnée vers les richesses matérielles, les possessions et la propriété étant l'un des critères majeurs à travers lesquels on estime la réussite d'un individu...

    Donc ce monde rejette non seulement les individus se laissant aller à la rêvasserie, car ils ne peuvent pas être aussi productifs que les autres, mais aussi beaucoup de créatifs et de personnes ayant un potentiel spirituel qui serait pourtant bien utile à la santé mentale collective de notre société. D'ailleurs beaucoup de créatifs et même de chercheurs ont des intuitions créatrices au cours de leurs rêves.

    Je vois là l'une des causes majeures du mal-être aujourd'hui dans le monde dit civilisé. En quoi pouvons nous espérer et rêver, dans une société qui fonce droit dans le mur de sa propre destruction, à cause de son matérialisme extrême et de son immoralité intrinsèque ? A quoi pouvons-nous nous raccrocher quand on n'ose plus croire, qu'on n'ose plus rêver, et qu'on n'ose même plus parler de ces choses-là ? Les conversations tournent principalement autour des divertissements sans âme qu'on nous sert à la télé, de la puissance des voitures, des résultats de telle équipe sportive ou parfois de politique... En gros de tout ce que la publicité et les médias nous proposent comme grain à moudre... Je ne dis pas qu'il ne faut pas en parler, mais tout ne tourne pas qu'autour de ces choses bien futiles, souvent...

    Nous semblons avoir définitivement rejeté le pouvoir des rêves, tel que nous le définissent certains mythes fondateurs, faisant de lui le créateur du monde, et surtout le nerf de son évolution... Le temps du rêve s'est-il définitivement retiré, nous laissant seuls, livrés à nous mêmes ? Pourtant Jean Cocteau disait : "Plus je vieillis, plus je vois que ce qui ne s'évanouit pas, ce sont les rêves."

    Les rêves sont toujours là pour nous faire vivre, espérer, pour nous servir de nourriture spirituelle, pour alimenter notre soif de vivre. Il se murmure même que ce sont les rêves qui font vraiment le monde, qu'ils nous donnent le pouvoir de tout changer, de littéralement créer notre réalité. Jusqu'à quel point, je ne me hasarderai pas à le dire, mais pourquoi se passer d'une telle force ? La seule chose que je peux affirmer, c'est que les rêves sont bien plus puissants et primordiaux pour l'humanité et même pour la vie que ce que l'on entrevoit...

    Pour clore cette réflexion à épisodes, quelques citations qui me plaisent bien :

"Personne ne peut savoir si le monde est fantastique ou réel, et non plus s'il existe une différence entre rêver et vivre" - Jorge Luis Borges

"On ne peut rêver que si on a les pieds sur terre. Plus les racines sont porteuses, plus les branches sont porteuses." - Juliette Binoche

"Qui sait si chaque événement ne réalise pas un rêve qu'on a fait, qu'a fait un autre, dont on ne se souvient plus, ou qu'on n'a pas connu ?" - Jules Renard

"L'oeil voit les choses de façon plus certaine dans les rêves qu'il ne les voit par l'imagination durant la veille" - Léonard de Vinci

"Faites que le rêve dévore votre vie pour que votre vie ne dévore pas votre rêve."
"Fais de ta vie un rêve, et d'un rêve, une réalité." - Antoine de Saint-Exupéry

"Ne te crois pas pauvre parce que tes rêves ne se sont pas réalisés : vraiment pauvre est celui qui ne connaît pas le rêve !" - Marie von Ebner-Eschenbach (romancière autrichienne)

"Nous sentons tous qu'il faut en finir avec cette société névrosée parce que privée de rêves. Il faut fonder un nouveau rêve; c'est un besoin presque physique." - Theo Angelopoulos (cinéaste grec)

"Rêver pour vous réveiller ! De rêveurs, vous deviendrez des éveilleurs !" - Gitta Mallasz (auteur hongroise)

    Alors pourquoi se retenir de rêver ?

26 septembre 2007

Nouvelle Guerre Froide

    Les chinois engraisseraient-ils les américains pour mieux les bouffer ? Ont-ils décider de remplacer les Mac-do par des fast-food chinois à la viande bien juteuse ?

    En tout cas, une chose est sûre, la Chine tient l'Amérique par la bourse, et ça peut faire mal aux deux partis...

   

    G.W.Bush l'a dit et redit : le mode de vie américain n'est pas négociable. Et joignant les actes aux paroles, de tout faire pour conserver le contrôle sur le pétrole, afin de protéger son sacro-saint dollar. Y compris si cela doit entraîner la mort de centaines de milliers de personnes, cela va de soi.

    Parmi les moyens employés, ce n'est pas encore un fait très connu, il y a celui qui consiste à emprunter de l'argent à certains pays, et en particulier la Chine. Ce qui signifie en clair que pour pouvoir maintenir son train de vie, entre autres l'entretien de son armée et l'obésification des masses, les USA vivent à crédit, et s'endettent, à l'échelle collective autant qu'à l'échelle individuelle. Les américains sont les gens les plus endettés du monde, et ne bénéficient même pas d'une sécurité sociale, pour nombre d'entre eux.

    Je ne suis pas spécialiste de l'économie, mais j'ai cru comprendre qu'une partie colossale de la richesse américaine appartient en réalité à la Chine. Un chiffre du style 70% de la dette... Ce qui entraîne que du côté de Pékin, on n'hésite pas à rappeler occasionnellement que la Chine pourrait tôt ou tard exercer un pouvoir de chantage sur les USA...

    Selon certains spécialistes, l'économie américaine est un désastre en soi, et cela pourrait précipiter plus rapidement qu'on ne le croît un "krach économique", entre l'atlantique et le pacifique, qui pourrait bien entendu avoir de sévères répercussions partout ailleurs dans le monde... Même en Chine, du reste.

    D'où peut-être la course en avant des américains au moyen-orient, vers la guerre ? En tout cas, si cela arrive, cela risque de livrer ce pays à la guerre civile. Il n'en est d'ailleurs dors et déjà pas très loin. Actuellement existent de puissantes dissensions au sein de l'armée et des services secrets, et de l'état en général, entre ceux qui sont pour la guerre et ceux qui sont contre. Il se murmure même qu'une branche de l'armée américaine aurait détruit elle-même un satellite espion qu'une autre branche de l'armée espérait utiliser afin d'envoyer des frappes nucléaires sur l'Iran. Voyez cet article daté du 20 septembre dernier :

"Un satellite espion US s'écrase au Pérou
Le 20 septembre, 2007
d'après le compte rendu Sorcha Faal,
Les Analystes Militaires russes rapportent aujourd'hui qu'un satellite espion des Etats-Unis de type KH-13 , ciblant l'Iran a été ‹détruit dans son orbite avec son générateur nucléaire a base d'isotope radioactif U-238 et se serait écrasé dans le sud de Pérou, avec des risques de contamination .Cet incident est officiellement annoncé comme du a un météorite, mais la taille du cratère d'impact de 30 mètres seulement ,contredit cette explication comme la puissance enregistrée par les stations sismiques autour du Monde.
L'étonnant dans ces rapports, qu'ils déclarent que c'était les Américains se qui sont détruit leur propre satellite d'espion localisé à la Base d'Armée de l'air de Vandenberg en Californie.
Cet incident alimente l'intrigue impliquant les projets US d'attaquer l'Iran , mais, contre lesquels, selon les Analystes d'Intelligence Militaires russes, une faction de l'Etablissement Militaire américain s'oppose."

    Le fait n'est pas confirmé, mais il est déjà amusant en soi de voir que ce type d'info est relayé par les russes, ex protagonistes de la pseudo guerre des étoiles dont on nous a parlé pendant toute la fin du siècle dernier.
    Maintenant, ce sont les chinois qui s'y mettent :
Http://www.futura-sciences.com/fr/sinformer/actualites/news/t/astronautique/d/un-missile-chinois-detruit-un-satellite-en-orbite_10265/

    Alors est-il exagéré de parler d'une nouvelle guerre froide entre les USA et la Chine ? Allons voir un peu du côté chinois, à présent...

    Eh bien en Chine, le risque n'est pas moins grand. Sous le couvert de cette image d'explosion économique et sociale que nous avons de la Chine en occident, avec de plus en plus d'automobiles, de propriétaires de logements et l'explosion de l'économie de type occidental dans ce pays, se cache en réalité une véritable poudrière.

    On parle notamment de risques importants de krach boursier, à cause de la spéculation galopante, exagérée et irrationnelle qu'on observe là-bas, et dont la bulle risque de crever à tout moment.

    D'autres faits, partiellement occultés par le régime autoritaire en place, sont tout aussi inquiétants, comme la multiplication de conflits sociaux, les gens acceptant de moins en moins l'autoritarisme au sein de leur pays. Autoritarisme qui favorise autant le travail à bas prix et à basse sécurité sanitaire que l'expulsion de petits propriétaires terriens ou d'habitants de logements anciens et traditionnels.

    De plus, l'explosion de l'industrie, de l'automobile et du chauffage au charbon crée des problèmes de pollution extrêmement graves. Dans certaines grandes villes, on ne voit même plus le ciel, et des formes graves d'asthme et d'autres maladies respiratoires et autres, connaissent une expansion sans précédent, et fortement inquiétante.

    Si l'on ajoute à cela diverses menaces qui pèsent sur la Chine, comme celle de l'indépendance de Taiwan, encouragée par les USA, ou encore le boycott des prochains J.O. qui pourrait avoir lieu, par exemple dans le cas d'incidents diplomatiques, ou de la mise en avant de certains abus du régime en place, la Chine n'est pas spécialement en bonne posture.

    Certes, les chinois ne sont pas obèses, ils ne possèdent pas des armes à feu comme les américains, et ce n'est peut-être pas à proprement parler une guerre civile qui menace ce pays, mais que peut-on attendre de la part d'un peuple opprimé depuis des décennies, que le développement occidental rend malade sans réellement améliorer par ailleurs leurs espoirs d'une vie meilleure, en cas d'effondrement de l'économie chinoise ? Une révolution ?

    Je ne développerai pas pour le moment cette question plus avant, mais vais plutôt anticiper une autre question que certains lecteurs se posent probablement : pourquoi, dans un blog où je me suis promis de vous parler d'imaginaire et de chamanisme, pourquoi, donc, est-ce que je vous parle de tout cela ? Je veux dire, les problèmes géopolitiques du monde, les USA, la Chine, le 11 septembre ? Pourquoi vous en reparlerai-je ? Car je le ferai...

    Pour une raison simple. L'imaginaire est une question de vie intérieure, tandis que les perceptions ordinaires concernent avant tout le monde matériel. Ce que nous appelons communément "la réalité". Par opposition à l'imaginaire, aux rêves, au virtuel, etc.

    Mon propos est ici de démontrer un point : cette réalité, nous ne la connaissons pas. Et nul ne la connaît.

    Pourtant, c'est sur elle que l'on s'appuie généralement pour nous rassurer quant à notre condition d'êtres humains faits de chair et de sang, ceci afin d'assurer notre survie, tant physique que psychique.

    Mais les faits sont là : personne ne connaît la réalité dans son ensemble. Chacun n'en a qu'une vision partielle, hypothétique, individuelle, en un mot : subjective.

    Pensez-vous que quelqu'un puisse dire exactement ce qui se passe en Chine ou aux USA ? Pensez-vous vraiment que quelqu'un, quelque part, est au courant de tous les secrets que nous ignorons nous-même ? Pensez-vous que cela est possible ? Pensez-vous que quelqu'un peut réellement prédire lequel de ces deux pays va voir son économie s'effondrer la première ? Ou annoncer que cela ne se produira pas ? Il est bien plus probable, au final, que si quelqu'un y parvient, ce sera soit par chance, soit par clairvoyance. Pas par connaissance des faits...

    Par essence, l'être humain est une entité aux capacités limitées, dont les connaissances sont notamment limitées, de même que son pouvoir sur les choses. Ses perceptions tronquent et déforment la réalité. On parle d'ailleurs souvent de distorsion de la réalité, à travers les perceptions.

    Il faut avoir en tête qu'aucune connaissance complète n'est possible, qu'aucune perception sensorielle ne peut nous fournir une image complète d'une chose déterminée. Par exemple, lorsque vous contemplez l'un de vos semblables, ou même un objet, vous n'en voyez qu'une face. Vous n'en voyez pas non plus l'intérieur. Et en réalité, si votre vision était conforme à ce que perçoit votre oeil, l'image serait inversée et percée d'un trou en son milieu, correspondant à l'emplacement de votre nerf optique. C'est votre cerveau qui bouche les trous, remet l'image dans le bon sens, fait en partie le point sur les choses, discrimine les objets entre eux, et permet de donner une cohérence générale à vos perceptions.

    Il en va de même pour toutes les fonctions dites cognitives, c'est à dire en rapport avec les sens et l'apprentissage. Cependant, en effectuant ce travail, votre cerveau opère également une sélection, ce qui en clair vous empêche par exemple d'analyser tout ce qui existe dans votre champ visuel. Par exemple, si vous regardez la télé, votre champ visuel porte également sur tout ce qui entoure la télé, mais votre cerveau concentre votre attention et l'analyse des détails sur ce qui se passe sur l'écran lui-même.

    Tout cela pour dire quoi ? Tout simplement vous préparer à accepter, ou au moins à admettre ce que je vais vous présenter dans de futurs articles et dans la suite de l'histoire de Malice (que je continue d'écrire peu à peu). Bien sûr, faites travailler votre esprit critique. Ce que je vais vous présenter n'engage que moi et ma propre subjectivité...

    A vous de vous en faire votre propre idée...

15 septembre 2007

Poisson de septembre

Retour sur une farce inter galactique que l'on nous sert maintenant depuis 6 ans. Le gag télévisuel le moins drôle de l'histoire, j'ai nommé la catastrophe du 11 septembre 2001.

Ce n'est pas la première fois que j'en parle, et vous verrez que ce ne sera pas la dernière. Et puis c'est de saison, alors pourquoi se priver ?

wtc12fish

Vous trouvez cette image grotesque et de mauvais goût ? Elle l'est, et je l'assume. En cela, elle est comparable à certaines théories du complot abracadabrantes que l'on entend régulièrement pour tenter de nous expliquer ce qui s'est vraiment passé, ce jour là.

J'ai lu nombre de théories du complot en rapport avec les attentats du 11 septembre, et j'ai choisi de vous parler des deux auxquelles j'ai personnellement décerné le prix des théories les plus ridicules qui puissent avoir été inventées. La première est choquante, et la deuxième est particulièrement honteuse.

La première, inventée de toutes pièces par un mystérieux ingénieur suédois, qui est toujours resté dans l'anonymat (cela vaut mieux pour lui), nous explique que les tours ne sont pas tombées à cause des chocs des avions dans les tours, mais tout simplement parce qu'il y avait des charges explosives nucléaires qui ont explosé dans les sous-sols des tours.

Rien moins que ça.

Comment ne s'en est-on pas rendu compte ? Parce que, d'après le mystérieux scandinave en question, les américains eux-mêmes ont travaillé depuis 40 ans à l'invention d'un explosif atomique qui ne laisse que très peu de traces radioactives après l'explosion. En effet, on a pu retrouver de minimes traces de tritium, un élément radioactif, dans les ruines des deux tours.

D'après cette personne, la chute des deux tours est la preuve de l'aboutissement de ces recherches. Cela implique que ce sont donc des américains eux-mêmes qui ont placé ces explosifs dans les tours...

Vous arrivez encore à respirer ? Ça tombe bien, car la deuxième théorie est encore pire.

Cette théorie repose sur l'idée que ce sont des fanatiques religieux armés de cutters en plastique qui ont détourné les 4 avions, alors qu'ils n'avaient jamais conduit d'avion de ligne, et que le seul choc des avions a suffi pour faire tomber des tours en acier renforcé, prévues chacune pour encaisser le choc de plusieurs avions de la taille de ceux qui les ont heurté, remplis d'un plein de carburant, ce qui n'était pas le cas des deux avion en question. Ces tours étaient également prévues pour empêcher que des incendies puissent se répandre par les ascenseurs. Pourtant cette thèse nous explique que ce sont les flammes qui sont descendues par les cages d'ascenseur qui ont achevé de saper les tours

Plus fort encore, cette théorie veut que les deux avions qui ont heurté les deux tours ont suffi à détruire les 7 bâtiments du complexe du World Trade Center, un peu comme si ces bâtiments étaient des quilles de bowling et que les terroristes avaient fait un strike.

Car vous l'ignorez sûrement, mais aucun des 7 bâtiments du World Trade Center n'a survécu à ces deux chocs... Que deux tours prévus pour les encaisser est déjà étrange, mais... et les autres, alors qu'aucun n'a été touché par les avions ?

Cette thèse n'est pas défendue par un scandinave excentrique et adepte du mystère. Elle est celle qui nous est servie par la commission officielle d'enquête sur le 11 septembre, qui a démarré plus de 400 jours après les attentats parce que l'administration Bush s'opposait à toute enquête. La personne qui fut nommée à la tête de cette commission était un proche de Bush...

Vous doutez que l'on puisse mettre ces deux théories sur le même plan ? Pourtant, elles ont plusieurs points communs :

1) Elles sont aussi fausses l'une que l'autre.

2) Les deux indiquent que le gouvernement américain aurait peut-être des choses à se reprocher assez sérieuses, vis-à-vis de la manière dont cet événement fut traité.

3) Aucune ne donne une explication vraisemblable de la chute des tours, et encore moins des autres bâtiments du WTC, surtout en ce qui concerne la tour 7.

4) Aucune ne prend en compte, ni ne permet d'expliquer la cascade d'événements qui eut lieu ce jour-là.

5) Elles ne sont même pas drôles, et sont même franchement scandaleuses dans les tenants et aboutissants qu'elles exposent.

Pourtant, dans la blogosphère et dans les milieux où l'on débat de cet événement, on continue d'opposer la théorie officielles à d'autres théories du complot complètement abracadabrantes, alors qu'aucune de ces théories n'est sérieuse.

Vous doutez de ce que je viens d'exposer ? Laissez-moi vous présenter des faits, et rien que des faits :

A) Ben Laden n'est pas recherché pour sa culpabilité dans les attentats du 11 septembre. Tout simplement parce que le FBI ne le tient pas pour responsable de ces attentats. En réalité, il est recherché pour d'autres attentats, et l'on se sert de lui comme bouc-émissaire pour les attentats du 11 septembre. La preuve :

http://souk.zeblog.com/215432-ben-laden-et-le-11-septembre-pas-de-preuve-tangible/

B) Le bâtiment WTC 7 se serait effondré alors qu'il n'était touché que par des incendies mineurs. En réalité, tout porte à penser qu'il a été détruit par démolition contrôlée et volontaire. C'est ce qu'estiment les experts quasi unanimement. Ce qui signifierait que sa destruction était planifiée et préparée techniquement depuis de nombreuses semaines.

http://souk.zeblog.com/232776-l-39-effondrement-du-wtc7-le-11-septembre-2001-et-le-lien-avec-enron/

C) De nombreux témoignages, émanant notamment de rescapés et de pompiers ayant oeuvré dans les tours, font état d'explosions particulièrement violentes à divers niveaux des deux tours principales, en particulier dans les sous-sols, avant, pendant et après les collisions des avions...

D) Les tours WTC 1, WTC 2 (les deux tours principales), et WTC 7 (celle dont les experts estiment qu'elle a été détruite par démolition contrôlée), sont tombées à la vitesse de la chute libre dans le vide. Ce qui implique qu'aucun étage n'a opposé aucune résistance à la chute des tours, ce qui est physiquement impossible, sauf dans un cas bien précis... Je vous laisse deviner lequel...

Je pourrais encore continuer longuement.

Au lieu de cela, je vais m'arrêter ici pour cette fois, et vous fournir quelques liens, qui permettent d'aller plus loin sur ces problèmes.

Les américains sont de plus en plus nombreux à réclamer la réouverture d'une enquête :

http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=28771

Un film complet qui pose de nombreuses questions cruciales sur le 11 septembre :

http://video.google.fr/videoplay?docid=-4049590380102614532

Pour les anglophiles acharnés ayant le courage de creuser, une véritable banque de données (commencée par une seule personne, un citoyen américain indépendant) sur la chronologie concernant le 11 septembre. Avant, pendant, après les attentats :

http://www.cooperativeresearch.org/project.jsp?project=911_project

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