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L'oeil du Selen - le Retour
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11 mars 2008

Réveil de Malice, Chapitre 3

17 - Protection spirituelle

    Mardi matin. Ainsi avait-elle passé sa première nuit complète depuis la semaine précédente. Ce matin là, en descendant chercher son courrier, elle se sentait, sans vraiment savoir pourquoi, toute neuve. Toute fatigue semblait l'avoir abandonnée, définitivement ou temporairement.

    Quant au courrier, elle ne fut pas surprise d'y trouver une lettre de convocation, en plus des factures du mois. Il n'avait pas perdu de temps, le bougre. Et comme prévu, sans elle pour lui mâcher le boulot, elle était affligée de nombreuses fautes d'orthographe. Heureusement que les administrations n'en sont pas à ça près.

    Elle lut la lettre en remontant les escaliers. Son patron la convoquait à un entretien préalable à son licenciement. Licenciement ? S'offusqua-t-elle.

    "Trop tard, j'ai dé-mis-si-on-né !" Articula-t-elle en froissant le papier pour le balancer dans sa corbeille aussitôt revenue dans son appartement. Elle n'avait même pas envie de se poser la question plus longtemps.

    Puis s'asseyant sur son canapé, elle se demanda quel était le programme, ce matin. C'est alors qu'elle considéra le meuble sur lequel s'était trouvé la télé, avec à présent les fils qui pendaient autour inutilement.

    "Ah oui, c'est vrai, plus de télé..." Fit-elle, puis elle s'esclaffa bruyamment en repensant à son défoulement d'il y avait quelques jours.

    Alors ce jour-là, elle lut. Chose qu'elle n'avait que très peu faite, ces dernières années. A tel point que tous les livres qu'on lui avait offert s'étaient entassés dans un coin de la pièce, derrière l'ex-télé.

    Elle lut tant et si bien, retrouvant ce plaisir quasi oublié de son adolescence, que la journée entière passa sans qu'elle s'en aperçoive. Lorsque la lumière déclina, elle fut forcée de relever les yeux de son livre, et réalisa alors qu'elle avait à peine mangé un rapide petit déjeuner, depuis son lever. Elle réalisa qu'après tout, elle avait tout le temps de se cuisiner quelque chose, sans tout ce temps absorbé par le boulot et la télévision, alors elle fouilla ses placards et son frigo, et y trouva quelques denrées qui semblaient dignes d'être cuisinées. Une autre chose à laquelle elle ne s'était guère livrée depuis son emménagement ici, pour venir travailler dans cette ville.

    Alors elle cuisina, patiemment, sans se presser, réalisant quelle chance elle avait d'avoir tout ce temps à elle. Elle songea soudain que désormais, et jusqu'à nouvel ordre, elle pourrait se mettre à la peinture, elle qui avait quelque talent pour le dessin. Cette idée se mit alors à la démanger comme une piqûre de moustique qui se réveille, et ne la quitta plus de la soirée...

-------

    Le lendemain, elle sortit donc et visita les boutiques d'arts plastique de la ville. Elle ne connaissait rien au matériel spécialisé. Elle se contenta donc de quelques pinceaux, des tubes de gouache, une palette, et acheva de se ruiner en acquérant deux toiles et un tréteau. Heureusement, elle avait pu mettre de l'argent de côté, grâce à son travail. Puis elle rentra installer tout cela dans son salon.

    Lorsque ce fut fait, elle fit une pause, s'installant au fond de son canapé, en se demandant ce qu'elle allait peindre, au juste... C'était bien la seule chose à laquelle elle n'avait pas réfléchi, dans tout cela.

    Tandis qu'elle se posait la question, elle triturait le pantin en bois qui reposait au fond de la poche de son gilet. Elle ne savait pourquoi, mais elle avait l'impression que cela la destressait. Après tout, "Attila" avait dit que ce machin la protégerait. Ce n'est pas vraiment qu'elle y croyait, mais après tout, cela ne lui coûtait rien de ne pas rejeter cela au rang des superstitions idiotes. Alors elle commençait à s'habituer à le garder contre elle, dans une poche, ce qui, incontestablement, était une régression qui tendait à lui rappeler son enfance et son adolescence encore récente. Ce n'était pas désagréable, quoiqu'il ne lui semblait pas que c'était ce qu'elle voulait vraiment.

    Elle cessa donc, pour revenir à son problème premier. Qu'allait-elle peindre, sur ces toiles ?

    Tout d'abord, la question lui fut embarrassante. Elle avait bien griffonné quelques dessins, il y avait quelques années de ça, mais jamais elle n'avait entrepris de réaliser une peinture complète.  Elle réalisa la tâche que cela pouvait représenter, de structurer le dessin, de ne pas se tromper dans la perspective et surtout de trouver un sujet qui lui convenait pour arriver à ces fins.

    Puis tandis qu'elle rêvassait à ce propos en triturant l'homme-oiseau dans sa poche, les images commencèrent à affluer dans son esprit, sans qu'elle sache trop comment. Des paysages inconnus s'imposèrent à elle, et des êtres aux formes extraordinaires s'y mouvaient, sans qu'elle puisse mettre un nom sur toutes les choses qu'elle voyait. Elle avait certes toujours eu de l'imagination, mais cet imaginaire là, elle l'avait ignoré jusqu'à ce jour...

    Elle était tellement plongée dans ses rêveries qu'elle ne voyait plus le décor qui l'entourait. Le spectacle de ce paysage imaginaire occupait tout l'espace de ses sensations, et en particulier de son champ visuel.

    Il lui fallut pour émergée, quelque peu héberluée par le spectacle étrange auquel elle venait d'assister malgré elle, avec ses paysages inconnus et ses créatures à peine imaginables. Au moins avait-elle son sujet, même si, en définitive, elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'était ce qu'elle allait peindre...

    Elle s'installa donc devant la toile, le matériel nécessaire à portée de main, et déjà ses pinceaux commencèrent à effectuer des tracés hésitants. Au début, ce ne furent que quelques traits noirs et indigos, puis ils commencèrent à se tramer en structures compréhensibles. Elle n'avait pas vraiment l'impression de contrôler sa main, tandis qu'elle travaillait de la sorte, mais se rendit à peine compte que son esprit recommençait à vagabonder dans des sphères exotiques.

    Il fallut peut-être juste un bref instant, ou peut-être une longue éternité pour que cela se produise, mais à présent, son esprit ne faisait plus qu'un avec la toile et ses graffitis encore peu organisés. Il se mit à errer, de manière apparemment aléatoire, dans le labyrinthe de traits que sa main continuait de tracer mécaniquement, avant que tout à coup, le décor tout entier prenne vie.

    Elle se sentit comme aspirée par sa propre toile à peine esquissée. Si bien que pendant l'espace d'une seconde, elle eut la sensation que ses chairs pénétraient l'étoffe de la toile, fusionnaient avec elle, avant de s'en dégager pour resurgir de l'autre côté.

    De l'autre côté, dans un univers baigné d'une lumière nocturne, d'un bleu sombre. Dans le ciel dansaient des millions d'étoiles d'argent qui se reflétaient sur la surface d'une sorte de lac de montagne, dont la profondeur produisait une sorte de résonance, comme un battement rythmique. Ce lac était bordé de rocs, et un troupeau d'animaux paissait sur sa rive, arrachant de généreuses touffes d'une herbe grasse que l'on aurait dit de couleur bleue, par cette nuit si extraordinaire.

    Elle n'était même pas capable de se demander ce qu'elle faisait là, comment elle y était arrivée, elle sentait sa poitrine exploser, comme si un vent puissant pénétrait dans sa gorge à mesure qu'elle essayait de trouver un équilibre. Car en effet elle avait une sensation de vertige prononcée, et alors qu'elle tentait de faire quelques pas dans ce monde inconnu, elle se sentit tituber. Il n'y avait rien à sa portée, pour se raccrocher, cependant elle ne tomba pas. Son corps oscillait comme s'il était maintenu debout par de l'eau. Pourtant, et en dépit de la confusion qui avait tendance à envahir son esprit, elle était loin du lac et ne pouvait se trouver dans l'eau à ce moment là. Elle continua donc de se mouvoir un peu au hasard dans ce paysage venu d'ailleurs.

    Les ruminants d'allure bizarre lui lancèrent quelques paresseux regards, sans montrer le moindre signe d'inquiétude. Toutefois, cela changea bientôt, lorsqu'un cri strident cingla tout l'espace environnant, comme un trait rouge dans le ciel de velours. Malice sursauta en même temps que les ruminants filaient en tout sens, peinant à reformer le troupeau pour fuir enfin tous dans la même direction. Elle chercha du regard d'où était venu ce cri, et elle pensa avoir trouvé, lorsqu'elle aperçut la silhouette d'un pourpre foncé qui fendait le ciel, éclipsant momentanément les étoiles de son corps imposant soutenu par quatre larges ailes.

    L'étrange créature se mit à tournoyer dans le ciel, et elle ne mit que peu de temps à comprendre que c'était au-dessus d'elle qu'elle effectuait ce manège, comme si elle l'avait repérée et qu'elle faisait partie de ses plans prochains. Malice comprit confusément que cette créature la chassait !

    Effectuant ses cercles concentriques dans le ciel, tel un requin volant, elle cherchait à jauger sa proie, certainement inhabituelle ici, et ses cercles se faisaient de plus en plus court. C'est alors qu'elle perdit de la vitesse puis... tomba sur elle comme un rocher !

    C'est paralysée par la frayeur que Malice s'aperçut que la créature était véritablement énorme. Ce n'était pas un requin volant, mais plutôt une baleine carnivore volante, s'il avait fallut donner une comparaison sur sa taille. Et cette montagne de muscles volante, à la longue gueule armée de dents violettes, longues comme des poignards, fondait sur elle à grande vitesse.

    Elle voulut esquiver l'attaque d'un leste plongeon, mais elle continuait de se déplacer comme si elle était embourbée dans de la confiture. Elle s'affala lentement au sol, comme sur un lit de coussins. Par chance, cela lui suffit à éviter cette première charge, et elle sentit tout le sol autour d'elle trembler violemment, alors que la créature venait de heurter le sol à moins de deux mètres d'elle. Tournant son regard vers elle, elle la vit secouer la tête, puis se redresser face à elle, brandissant autour d'elle ses quatre ailes comme une menace, ou comme une barrage à une fuite éventuelle. La seule tête de la créature devait être aussi grande qu'elle, et elle trembla de tout son corps, le sentant se refroidir dramatiquement, ressentant soudain ce que pouvait vivre une souris en face d'un chat, ou encore une misérable sauterelle face à une mygale. Bientôt, cette créature ne ferait qu'une bouchée d'elle et elle terminerait ici, dans l'estomac d'un monstre venu de nulle part, ignorée de tous. Elle ne pouvait en supporter plus et tenta de reculer précipitamment.

    Sans doute excitée par cette fuite, la créature lança sa mâchoire en avant et la fit claquer à deux doigts de sa tête. Son sang ne fit qu'un tour, et elle tenta un dérisoire coup de poing sur le bout de son museau, telle une gazelle essayant désespérément d'éloigner le lion à coup de sabot.

    Le résultat de ce coup fut une surprise. A l'instant où son poing rebondit sur la peau épaisse de la bête, une énergie formidable en jaillit, sous formes d'étincelles bleutées. Et c'est de ces étincelles que surgit l'homme-oiseau. Il était immense. Aussi immense que la créature elle-même, et ses larges ailes blanches éblouirent tout le monde qui l'entourait d'une clarté surnaturelle. Une puissance solaire émanait de cet être fantastique, aux membres forts et à l'air aussi déterminé qu'un condor en quête de survie. L'on aurait dit un ange d'une espèce rare, mais ce n'était pas une naïve vertu asexuée qui le caractérisait, mais au contraire une force surhumaine et fortement masculine.

    Il s'élança d'un bond vers le prédateur et lui expédia un coup qui le fit bouler plus de dix mètres en arrière, mettant Malice hors de danger pour un temps. Puis il s'éleva majestueusement, surplombant le plateau montagneux et dominant la créature furieuse qui s'ébrouait pour retrouver ses esprits. Celle-ci était lourde, et elle eut beau essayer de s'envoler précipitamment, elle n'y parvint pas, ce qui rassura Malice, qui profita de ce répit pour se remettre debout.

    Puis l'homme-oiseau, d'un vol lent et prodigieux, faisant presque du surplace, se dressa au-dessus de la bête. Il fit mine de la menacer d'un nouveau coup, ce qui obligea celle-ci, malgré sa taille énorme et la dangerosité extrême qu'elle représentait, à se dresser sur ses pattes, également au nombre de quatre, pour faire volte face et déguerpir entre deux pics. Le sol trembla encore mollement au rythme de sa fuite, puis elle disparut définitivement de la scène. Exténuée par la terreur et le soulagement qui avaient été aussi soudain l'un que l'autre, Malice peinait à retrouver son souffle. C'est alors que l'homme-oiseau vint se poser devant elle, repliant ses ailes dont l'éclat diminua alors suffisamment pour qu'elle puisse regarder l'être plus en détail.

    Sa plastique était tellement parfaite, musculeuse et parfaitement proportionnée qu'elle lui évoqua immanquablement une statue grecque. Son visage, à la fois humain et surnaturelle, au dessin particulier, la mâchoire puissante sans être proéminente, les pommettes légèrement saillantes, semblait taillé dans le roc. Son corps nu était imberbe et sa vision jetait en elle un trouble qu'elle tenta de réprimer. Quant à ses ailes d'une parfaite blancheur, elles étaient aussi amples qu'un autobus.

    "Il m'avait dit que vous seriez mon protecteur... dit-elle enfin.

    - Oui, répondit-il d'une voix étrange, qui semblait résonner dans plusieurs tonalités simultanées. Mais à présent tu dois rentrer dans ton monde. Maintenant, tu commences à connaître les particularités et les dangers du monde des esprits, et bientôt tu devras passer à l'étape supérieure. Afin de pouvoir lutter toi-même contre les mauvais-esprits et accomplir ce que tu as à accomplir.

    Et il fit un geste de la main dans sa direction. Elle voulut poser une question.

    - L'étape supérieure ?"

    Mais déjà elle quittait ce monde, et se sentait transportée ailleurs. Vers un ailleurs qui lui était beaucoup plus familier...

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